Lukaku, contrairement à De Bruyne, revient finalement au chevet des Diables. © BELGAIMAGE

Lukaku revient au chevet des Diables: pourquoi les tauliers râlent sur la nouvelle génération

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Ils devaient faire le passage de témoin entre les Diables de la génération dorée et ceux de demain. Aujourd’hui, De Bruyne et Courtois sont partis et Lukaku ne cache pas son spleen. Explications sur une transition manquée.

Un hoodie surmonté d’une chemise à carreaux. Un regard noir surplombé d’une casquette. La tenue semble prédestinée à frapper fort. Les coups de massue sortent de la bouche de Romelu Lukaku, invité de prestige du podcast Koolcast où il livre ses vérités pendant près de deux heures, notamment sur les Diables.

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Quelques jours plus tôt à peine, Domenico Tedesco l’a indirectement appelé à l’aide. Le SOS d’un sélectionneur en détresse, envoyé en conférence de presse dans la foulée de la nouvelle défaite des Diables pourtant méritants contre la France. Alors qu’atteindre la deuxième place du groupe de Ligue des nations, indispensable pour prendre part aux quarts de finale de la compétition, semble presque devenu illusoire, le coach de la Belgique promet du changement. Cette fois, il appellera «les meilleurs joueurs possibles». Dont Lukaku, laissé au repos une fois de plus pour reconstruire sa meilleure forme à Naples? «Je crois qu’en novembre, après plusieurs semaines, il sera disponible», glisse alors Tedesco, qui conclut dans un sourire: «Big Rom is back, j’espère.»

Parfois, les émotions entrent en jeu. Si tu ne peux pas le supporter, alors tu pars.»

«J’ai toujours joué avec le feu en moi, en équipe nationale. J’espère qu’avec le temps, je retrouverai la passion de jouer pour elle. Mais le feu ne brûle plus depuis un moment. C’est surtout mental», lance pourtant Romelu Lukaku face au micro de Koolcast. Au rayon des arguments, on trouve alors le chemin trop long vers la prochaine grande compétition ou le tempérament discuté de la nouvelle génération, déjà pointé du doigt par De Bruyne et Courtois: «Kevin, Thibaut et moi disons toujours la vérité. Parfois, les émotions entrent en jeu, mais c’est normal. Si tu ne peux pas le supporter, alors tu pars. Tu n’es pas à ta place.» Finalement, de multiples échanges téléphoniques initiés par Domenico Tedesco ces dernières semaines auront amené le buteur belge à raviver la flamme. Pour l’instant, il est le seul des trois capitaines à remonter à bord du navire.

Thibaut Courtois avait prévenu: «Si on n’a plus l’équipe favorite pour gagner un tournoi, je n’irai pas jouer trois ou quatre semaines pour être éliminé en huitièmes de finale.» © BELGAIMAGE

La Belgique qui perd

Tout est parti de Thibaut Courtois. D’un soir de colère dans la foulée d’un match de galère. Face à l’Autriche, pour la première de Domenico Tedesco au stade Roi Baudouin, les Diables souffrent contre la pression étouffante des hommes de Ralf Rangnick et ne doivent le point du partage qu’à un but de l’inévitable Romelu Lukaku. Si la postérité retiendra surtout la querelle du brassard de capitaine et que le débat s’orientera autour de la fin supposée des privilèges de l’ère Martínez, le grief majeur du gardien du Real Madrid est ailleurs. «Je n’ai jamais dit que les joueurs n’étaient pas assez bons, objectera Courtois à Sporza. La seule chose que j’ai dite, et je n’ai pas peur de la répéter, c’est que si tu es mené contre l’Autriche et que sur le terrain, tu as des joueurs qui ont fini la saison par une descente et ont perdu plus de matchs qu’ils en ont gagné… alors c’est difficile d’inverser le cours du match.»

Plus d’un an plus tard, c’est avec une colère similaire mais un constat différent que Kevin De Bruyne débarque devant les micros dans la foulée d’une défaite humiliante contre une France largement remaniée. A VTM, il répète un discours déjà tenu dans le vestiaire à la mi-temps: «On doit faire mieux à tous les niveaux. Si tu n’es pas assez bon pour le top, tu dois tout donner et je n’ai pas vu ça. Je peux accepter qu’on ne soit plus aussi bon qu’en 2018, je suis le premier à l’avoir dit, mais d’autres choses sont inacceptables.»

Aux yeux de ses ténors, la Belgique ne serait donc plus capable d’être un pays qui gagne? «Si vous jouez dans un certain type de club où vous ne ressentez pas toujours la pression de gagner et de jouer pour les titres, puis que vous rejoignez l’équipe nationale où, lors des derniers tournois, vous avez toujours joué pour gagner… Si vous n’êtes pas ce genre de joueur qui se surpasse, alors c’est très difficile», résume Lukaku. «Je pense que c’est le problème auquel nous sommes confrontés», ajoute l’attaquant, qui synthétise également son état d’esprit par rapport à son avenir chez les Diables: «Je veux seulement revenir en équipe nationale avec un bon sentiment. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que je sois heureux si nous ne gagnons pas

NBA et centres de formation

Plus que l’amour du drapeau, c’est celui de la victoire qui servait de trait d’union entre les caractères souvent bien trempés de la génération dorée. Lors de la Coupe du monde au Qatar, après que les mines déconfites ont remplacé les successions de victoires, le vestiaire avait d’ailleurs explosé en plein tournoi. Même l’éternelle bonne humeur d’un Eden Hazard sur le déclin ne suffisait plus à masquer les ego, entre un dialogue très chaud à même la pelouse entre Kevin De Bruyne et Toby Alderweireld contre le Canada ou des échanges débordants de testostérone dans les travées du stade Al Thumama après la défaite face au Maroc.

La Belgique unie était celle qui gagnait, et sa culture était bien plus américaine que belge. Fans de NBA pour la plupart d’entre eux –on les aperçoit d’ailleurs souvent au bord des parquets quand leur agenda le permet–, les Diables de la génération dorée partageaient la culture des playgrounds, ces terrains de basket de rue où «tu gagnes ou tu sors». Terreur des agoras footballistiques de la capitale en compagnie de sa bande de dribbleurs fous, le buteur Michy Batshuayi résumait à merveille cette mentalité systématiquement tournée vers la victoire: «Si tu ne savais pas jouer, tu n’étais pas notre ami.» Après la troisième place lors de la Coupe du monde 2018 en Russie, la majorité du groupe de Roberto Martínez ne comprend d’ailleurs pas pourquoi elle doit faire le tour de Bruxelles puis la fête sur la Grand-Place.

Cette Belgique-là a changé. Sans doute dans la foulée de Youri Tielemans, trait d’union entre une génération dorée dont il était l’élément le plus jeune et cette nouvelle vague dont il a été le capitaine lors du rassemblement des Diables Rouges en octobre. Lancé dans le grand bain du football professionnel à 16 ans, sa trajectoire ressemble à mille autres. Un prototype tout droit sorti d’un centre de formation, rapidement glorifié sur un parcours où les embûches sont rares. Certes, la concurrence fait rage dans ces usines à talents, mais tout est fait pour que les joueurs et leur énorme valeur marchande potentielle grandissent dans la ouate. C’est un football où les galériens sont de plus en plus rares. «Quand tu as toujours vécu dans un centre de formation, tu as toujours été… je n’ai pas envie de dire dans la facilité, parce que je n’y ai jamais vécu, mais en tout cas tu n’as jamais été dans la merde. Tu es dans un certain confort», racontait voici bientôt trois ans Felice Mazzù, interrogé par Sport/Foot Magazine. «Il faut trouver un équilibre entre la modernisation de la préparation des jeunes et les vraies valeurs de la vie. Parce que le football, ce n’est pas la vie normale.»

Pour Lukaku, De Bruyne et Courtois aussi, il est inimaginable de rigoler quand on concède un petit pont d’Ousmane Dembélé. Toujours à Koolcast, Lukaku ajoute que ce qu’il manque à cette génération, ce n’est pas le talent mais l’obsession pour la victoire. Et se considère visiblement capable de les guider vers cette voie indispensable.

Les leaders d’aujourd’hui n’ont jamais été ceux d’hier.

Les faux leaders des Diables

Le décalage générationnel fait des ravages. Accentué, peut-être, par le fait que les leaders d’aujourd’hui n’ont jamais été ceux d’hier. Dans la hiérarchie du vestiaire de la génération dorée, les capitaines du début de l’ère Tedesco jouaient des rôles secondaires. D’abord sous la coupole de l’omniprésent Vincent Kompany, le groupe s’était progressivement rangé derrière un Eden Hazard qui parlait avec les pieds. Certes, Romelu Lukaku tenait souvent le crachoir lors du speech d’avant-match, quand les Diables se rassemblent en cercle pour faire monter la température, mais il n’a jamais été l’homme fort des moments difficiles. En période de galère, «Big Rom» préfère se retrancher sur lui-même. Avant la saison 2020-2021, sans doute la meilleure de sa carrière (champion d’Italie, 24 buts et onze passes décisives), le buteur avait profité de la crise sanitaire pour se préparer dans sa bulle, entre sprints dans l’allée des garages du complexe où il vivait et moments privilégiés avec sa mère et son fils. «J’avais besoin d’être seul pendant un certain temps», confie-t-il d’ailleurs à Koolcast quand il évoque sa déprime post-Qatar.

Thibaut Courtois, lui, a toujours été un homme à part dans le groupe belge. Les gardiens passent beaucoup de temps entre eux, et la Pieuvre n’a jamais été le coéquipier favori de ses concurrents. Longtemps, l’entraîneur des gardiens était Erwin Lemmens, l’un de ses proches, confortant cette sensation de vie en vase clos. Homme fort par ses prestations, qui l’ont hissé parmi les meilleurs gardiens de la planète, il est un animal de compétition qui grandit grâce à sa haine de la défaite. Peu de temps avant l’Euro 2021, il était d’ailleurs déjà clair sur son avenir international: «Maintenant, on a une équipe qui joue la gagne, mais si dans quatre ans, on sent qu’on n’a plus l’équipe favorite pour gagner un tournoi, je n’irai pas jouer trois ou quatre semaines pour être éliminé en huitièmes de finale, ce n’est pas chouette

Qui sera là pour mener la barque belge sur la route vers le Mondial 2026 outre-Atlantique? Romelu Lukaku semble en tout cas avoir décidé de servir de guide.

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