Le chaudron liégeois est en ébullition face à la gestion du propriétaire 777. © belgaimage

Les dessous des finances du Standard

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Entre erreurs du passé et prudence du présent, la situation financière du Standard reste complexe. Petite histoire de comptes plongés dans le rouche.

La rentrée scolaire provoque tout juste ses premiers émois. C’est un peu tôt pour voir chuter des marrons. Pourtant, le 2 septembre, le média norvégien Josimar agite à distance l’un des marronniers les plus prolifiques de la presse sportive belge des dernières années: les finances du Standard. Lancé dans une enquête de grande ampleur consacrée à 777, propriétaire du club liégeois depuis le mois de mai 2022, le site d’investigation journalistique se penche sur la situation financière à Sclessin. Erigés en exemple de la mauvaise gestion de patrons américains qui visent désormais le rachat du club d’Everton, les Rouches seraient ainsi en grand danger, l’article évoquant «un avenir en tant que club pro en jeu». Les marrons se cuisinent à toutes les sauces sur le sol belge, assaisonnés par un mercato alors discret et les déclarations de plus en plus explicites d’un Carl Hoefkens de moins en moins patient dans l’attente de renforts pour ses couleurs. Les fruits sont à ébullition au soir de ce 2 septembre, date à laquelle le Standard accueille le RWDM en bord de Meuse. Le chaudron liégeois déploie des banderoles incandescentes dans ses tribunes: «777, les calculs ne sont pas bons» d’un côté, «777, sans pognon pas d’ambition» de l’autre.

Seules les factures indispensables sont honorées, souvent à quelques minutes de l’échéance.

Si les jours suivants permettent au supersonique Moussa Djenepo, à l’expérimenté Isaac Hayden et au percutant Kamal Sowah de se vêtir de rouge, les calicots de Sclessin n’y sont probablement pour rien. Le déclencheur du mercato liégeois se situe un millier de kilomètres plus au sud, à Toulouse. Dans la ville rose, dont le club est gouverné par les algorithmes statistiques, on s’est laissé séduire par les dribbles et les expected assists (NDLR: passes décisives estimées en fonction de la qualité des occasions offertes à un coéquipier) du Norvégien Aron Donnum. Un coup de cœur chiffré à un peu plus de quatre millions d’euros qui fait gonfler d’un coup l’enveloppe jusque-là bien maigre du marché estival rouche. Une réalité frustrante pour les supporters autant que pour les dirigeants locaux, mais pas surprenante pour autant. Dès sa première interview en tant que nouvel homme fort du Standard, accordée à la DH en avril 2022, Josh Wander avait effectivement affirmé que «dans chaque business, la première chose à faire est de créer un profil financier durable qui permet, ensuite, au business d’entrevoir le succès. On doit s’assurer d’être dans un confort financier dans les années à venir et de ne pas être dépendants du marché, d’un joueur ou du Covid, par exemple. Pour ce faire, on doit regarder à chaque dépense et à chaque entrée, trouver un équilibre pour comprendre comment minimiser les risques et maximiser les revenus potentiels.»

Conforté dans le fauteuil de CEO du club depuis la reprise, Pierre Locht ne disait pas autre chose quand il expliquait, dans une vidéo publiée sur les canaux du club, que le Standard était encore «convalescent» sur le plan financier. «Plus en péril, comme il a pu l’être au moment de la reprise, mais la situation n’est pas non plus ce qu’elle devrait être.» Les finances rouches ne sont plus aux soins intensifs, mais la médecine de 777 n’a pas injecté de potion magique suffisante pour mettre un terme rapide à son hospitalisation.

Pointés du doigt, les Américains ne sont pourtant pas directement responsables des problèmes financiers actuels du Standard. Ils aiment d’ailleurs se dédouaner, ne s’estimant pas redevables d’une bonne partie des dettes laissées par Bruno Venanzi lors de son houleux départ de Sclessin. Récemment, c’est l’entourage de Marouane Fellaini qui est venu aux nouvelles concernant le remboursement des trois millions d’euros prêtés par le joueur en avril 2020, à une période où le manque de liquidités et des primes à la signature impayées avaient mis le Standard en défaut de licence. Trois ans plus tard, l’heure est au règlement des comptes, mais 777 n’aurait toujours pas payé l’addition, pas plus que les commissions de plusieurs intermédiaires restées en suspens depuis la reprise. Seules les factures indispensables sont honorées, souvent à quelques minutes de l’échéance, pour éviter des sanctions venues des organes officiels qui régulent le football belge. C’est donc essentiellement pour tenter d’équilibrer la lourde dette du club que les propriétaires ont injecté un peu plus de 27 millions en un an et demi, permettant à Pierre Locht de déclarer: «La perte financière du prochain exercice sera moins élevée que celle de la saison précédente, mais elle sera tout de même conséquente.»

Pour Josh Wander, propriétaire du club, il faut minimiser les risques et maximiser les revenus potentiels.
Pour Josh Wander, propriétaire du club, il faut minimiser les risques et maximiser les revenus potentiels. © BELGAIMAGE

Quatorze millions investis, 600 000 euros récoltés

Difficile, pour le patient liégeois, d’entrevoir la date du terme de sa convalescence. Son début, par contre, est désormais une histoire connue: passé à un souffle du titre en 2018 sous les ordres de Ricardo Sá Pinto, le Standard appuie sur l’accélérateur sportif en s’offrant un retour au bercail de Michel Preud’homme, avec l’étonnant intermédiaire de Mogi Bayat. Un an plus tard, les départs très rémunérateurs de Moussa Djenepo, Razvan Marin ou Christian Luyindama et les rêves de sacre de Bruno Venanzi sont les détonateurs d’un mercato à trente millions d’euros piloté par un MPH qui fait aussi office de directeur sportif. Au bout de la saison, pas de champagne, mais une crise sanitaire et un gouffre financier.

«Réinvestir cet argent n’était pas une mauvaise idée en soi, parce qu’on ne pouvait pas imaginer qu’une pandémie paralyserait le monde entier la saison suivante, se justifiera Alexandre Grosjean, ancien directeur général du club, au printemps 2021. Par contre, avec le recul, force est de constater qu’il n’a pas été bien investi et que nous le payons très cher aujourd’hui.» Achetés pour un montant cumulé effleurant les quinze millions d’euros, Felipe Avenatti, Obbi Oularé, Nicolas Gavory, Aleksandar Boljević et Eden Shamir n’ont en effet apporté que 600 000 euros au club lors de leur départ, en plus d’avoir porté un coup conséquent à une masse salariale qui n’avait jamais été aussi élevée à Sclessin. C’était alors l’heure du sauve-qui-peut et des recettes à court terme.

Heureusement renforcé sportivement par une génération intéressante sortie de son académie, le Standard a renfloué ses caisses avec les ventes prématurées mais indispensables de talents comme Michel-Ange Balikwisha (vers l’Antwerp) ou Hugo Siquet (à Francfort), lesquels auraient probablement rapporté plus d’argent si leur départ n’avait pas été une question de survie financière. A la chasse à l’argent frais, faute d’une Coupe d’Europe dont les recettes étaient pourtant budgétisées – le Standard ne s’est plus qualifié depuis 2020 – ou de promesses sportives dénichées à moindre coût dans des championnats inférieurs et susceptibles de générer une plus-value, Bruno Venanzi a donc multiplié les stratagèmes: de la création d’une société immobilière censée gérer les travaux de rénovation du stade à la vente anticipée de ses droits télévisés à une banque allemande, jusqu’à une dernière saison avec un staff miniature et une cellule sportive dirigée par le président, tête pensante d’un dernier mercato qui aura encore alourdi la masse salariale avec le retour de Renaud Emond ou l’arrivée de Joachim Van Damme. Ce dernier, indésirable à Malines à cause d’une addiction aux somnifères qu’il tentait alors de soigner, avait finalement rapporté de l’argent contre toute attente au KaVé sous l’impulsion d’un Venanzi passionné de longue date d’un joueur qui n’a finalement joué que 114 minutes en rouge et blanc. Libéré de son contrat cet été, le milieu de terrain flamand était l’un des derniers vestiges de l’ère Venanzi en bord de Meuse.

Standard en péril et ventes au rabais

Avant de céder le témoin, le fondateur de Lampiris avait pris soin d’évacuer quelques dossiers gênants, qui bloquaient la revente de son club. Le plus gros caillou qui lui maltraitait la semelle était sans doute «l’affaire Edmilson», révélée par Sport/Foot Magazine au début de l’année 2020: Edmilson Junior, acheté par le Standard à Saint-Trond en janvier 2016 puis vendu chez les Qatariens d’Al-Duhail un an et demi plus tard, avait quitté Sclessin pour un montant sous-évalué, permettant d’éviter une importante plus-value à payer aux Trudonnaires qui avaient négocié un pourcentage à la revente lors du deal de l’hiver 2016. Menacé d’une interdiction de transfert, le club liégeois était devenu moins attrayant pour d’éventuels repreneurs. Bruno Venanzi avait donc réglé l’affaire avec les dirigeants de Saint-Trond au début de l’année 2022, laissant notamment filer pour un montant dérisoire le jeune et prometteur défenseur Ameen Al-Dakhil chez les Canaris du Limbourg. Douze mois plus tard, le joueur prenait la direction de Burnley contre cinq millions d’euros (soit dix fois plus que les 500 000 euros demandés à Saint-Trond pour acquérir le joueur et régler le litige) avant de devenir Diable Rouge.

Les erreurs de l’ère Venanzi pèsent encore très lourd sur les comptes du Standard.
Les erreurs de l’ère Venanzi pèsent encore très lourd sur les comptes du Standard. © BELGAIMAGE

Aujourd’hui, le Belgo-Irakien représente uniquement une belle perte financière pour le Standard par rapport à sa valeur réelle, tout comme Nicolas Raskin qui a quitté Liège pour Glasgow l’hiver dernier, à six mois de la fin d’un contrat que la direction précédente n’avait jamais pu renouveler, laissant le joueur en position de force quand 777 a rejoint la table des négociations. Une fois de plus, le Standard ratait le coche financier sur un joueur à la cote pourtant intéressante. Depuis l’été 2020, le club n’a plus vendu un joueur au-delà des six millions d’euros (hormis Zinho Vanheusden, dans un montage financier artificiel préalablement établi avec l’Inter). Dans le même temps, douze clubs belges ont pourtant récolté une somme équivalente ou supérieure pour au moins un de leurs joueurs, dont les plus modestes Courtrai, Malines, Westerlo, Cercle Bruges, Ostende ou Charleroi.

C’est là, également, que les Rouches doivent redresser la barre. Quand Pierre Locht parle d’une «augmentation des revenus pour ne plus perdre d’argent», il dégaine rapidement des anglicismes comme «merchandising» ou «fan experience», mais sait également que les transferts sortants sont l’une des sources de revenus les plus importantes des clubs de football en Belgique, encore plus quand les droits télévisés – autre source majeure de revenus du foot belge – ont déjà été intégralement récoltés grâce à l’opération avec la Raisin Bank au printemps 2021. Vendu pour une somme proche de cinq millions d’euros, qui pourrait même les franchir si tous les bonus sont activés, Aron Donnum est le premier jalon d’un Standard qui veut désormais mieux se vendre.

Des salaires à dégonfler

Déjà entamé quand le départ de Michel Preud’homme avait laissé la cellule sportive entre les mains de l’ancien milieu de terrain français Benjamin Nicaise – aujourd’hui dans la cellule de recrutement du Paris Saint-Germain –, l’autre chantier sportif majeur du Standard était la réduction de sa masse salariale, décollée jusqu’à 38,9 millions d’euros au bilan financier de l’exercice 2019-2020. Réduite à 28,8 millions lors de la dernière publication (2021-2022), la somme devrait encore diminuer grâce aux contrats récemment arrivés à terme ou prématurément interrompus de Noë Dussenne, Joachim Van Damme, Felipe Avenatti ou Gojko Cimirot. Pour ce dernier, encore important sportivement la saison dernière dans le onze de Ronny Deila, les nouveaux dirigeants du club avaient proposé un nouveau bail assorti d’une importante diminution de ses émoluments, environ 40% inférieurs à ceux de son contrat précédent. Face à son refus, les patrons liégeois sont restés fermes et ont donc accepté de perdre sportivement un poids lourd financier.

La Pro League réclame que ses clubs aient des fonds propres positifs à l’horizon 2027, laissant à tous le temps nécessaire à une recherche de l’équilibre. Pour le convalescent liégeois, les trois années à venir seront indéniablement précieuses pour remettre ses finances à l’endroit. Avec la politique autosuffisante voulue par 777, un redressement plus rapide serait miraculeux. Un peu comme si les fruits s’arrêtaient de tomber des marronniers.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire