
Les coulisses de la fin des play-offs: «Tout le monde sait que 18 c’est trop, mais tout le monde veut y être»
Le football belge a mis un terme à sa formule de play-offs. Un vote étonnant où chacun semble avoir pensé à son propre club en prétendant défendre l’intérêt général.
C’est une histoire que tout le monde raconte à visage masqué. Parce que les tensions des négociations ont même fait dire à Georges-Louis Bouchez, le président du MR, que la refonte du format du championnat de Belgique avait engendré des discussions «trop politiques» pour finalement aboutir à un compromis qui n’arrange presque personne mais que n’aurait pas renié l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene. Au coup de sifflet final de ces négociations à faire tourner la tête, l’élite du football belge se retrouvera à 18. Deux équipes de plus, alors qu’aux prémices des négociations, les grands clubs du pays rêvaient plutôt d’une formule à deux équipes de moins.
C’était il y a environ un an, dans le château de Bever, là où certains fuient le ring pour emprunter la route d’Anvers. Président du Club de Bruges, place forte du football belge et donc leader naturel des négociations, Bart Verhaeghe rassemble en sa demeure le «G8», qui regroupe les sept forces majeures du foot national (Bruges, Anderlecht, Gand, Genk, l’Antwerp, l’Union et le Standard) et l’influent Charleroi, représenté par un Mehdi Bayat qui sert souvent de porte d’entrée vers le reste des clubs de D1 pour les géants de l’élite. L’avenir semble alors se dessiner autour d’une formule à quatorze équipes, indispensable pour alléger le calendrier tout en maintenant l’attractif système de play-offs.
Le problème est qu’il faut parvenir à convaincre les clubs les plus modestes de D1, mais aussi ceux de D2, puisque le vote pour un changement de formule est réalisé par les membres de chaque club selon des modalités bien particulières. Face aux urnes, il y a 29 équipes, mais 50 bulletins: les membres du «G5», qui regroupent les clubs ayant obtenu les meilleurs résultats moyens lors des cinq dernières saisons (Gand, Genk, Bruges, l’Antwerp et Anderlecht) votent trois fois; les autres équipes de D1, membres de ce qu’on appelle le «K11», ont deux votes, tandis que les pensionnaires de D2, sans prendre en compte les équipes de moins de 23 ans des clubs de l’élite, n’ont droit qu’à un vote simple. Il faut une majorité des deux tiers pour modifier la formule du championnat, et donc 33 votes positifs après la disparition du club de Deinze, qui a déclaré forfait en cours de saison. La date butoir du 1er mars, fixée par les détenteurs des droits télévisés pour un éventuel changement de formule, approche à grands pas. Les négociations se font avec une calculatrice dans la tête.
«En vérité, personne n’a voté dans l’intérêt général du football belge.»
Bruges prend la main
A trois semaines du vote, le premier coup de pression des patrons est une lettre ouverte. Le G5 et le Standard proposent une formule alambiquée, en restant à seize mais en n’ayant pas deux confrontations contre chaque adversaire, inspirée du nouveau format des coupes d’Europe. En joignant les Liégeois –machine à audiences– à leur demande, ils brandissent de façon voilée la menace d’une négociation au cas par cas des revenus de droits télévisés. Parce que la formule actuelle fonctionne avec une clé de répartition décidée par une négociation collective, alors qu’un passage à table au cas par cas grossirait encore les comptes des clubs les plus médiatisés et fragiliserait l’équilibre financier des autres. La menace ne prend pas.
En catimini, Bruges prend alors la main. Le Club sait que pour convaincre les plus petits, il ne peut ni les priver de leur place potentielle au sein de l’élite ni de leurs affiches à domicile contre les ténors. Il sait aussi que pour lui, les play-offs sont accessoires. Ses revenus principaux viennent des compétitions européennes, et sa volonté est donc d’alléger son trop lourd calendrier national. C’est des Blauw en Zwart que vient donc l’idée de jeter les play-offs à la poubelle et d’intégrer deux équipes supplémentaires en Division 1. En compagnie de Wouter Vandenhaute, le président d’Anderlecht, devenu son meilleur allié dans ces négociations, Bart Verhaeghe pousse donc vers cette nouvelle formule. Les contours de l’accord sont dessinés en petit comité, dans le Brabant flamand, à quelques jours du vote. Harm van Veldhoven (Lommel) et Jorik Toreele (Lierse) négocient une plus grande part du gâteau financier pour les équipes de deuxième division, tandis que Mehdi Bayat est chargé par Lorin Parys, le CEO de la ligue professionnelle, d’user de son bagout pour rallier un maximum de clubs à cette cause nouvelle et inattendue.
L’homme fort du Sporting de Charleroi est à la fois flatté d’être au cœur du game grâce à ses talents de négociateur, et chagriné de devoir faire une croix sur une formule dont il a toujours été l’un des ardents défenseurs. Un double sentiment qui explique qu’à l’heure de passer au vote, plusieurs sources concordent pour dire que Mehdi Bayat a voté une fois en faveur et une fois contre la réforme.
La volte-face de Genk
A la sortie du vote, personne n’a vraiment le sourire, excepté peut-être Bob Madou, le CEO de Bruges. «Nous avons trouvé un compromis avec une courte majorité, un plan qui nous convient en grande partie», évoquant une bonne nouvelle pour les clubs qui «nourrissent des ambitions européennes». Wouter Vandenhaute va plus loin, évoquant un choix fait dans le sens de la volonté des supporters. «En vérité, personne n’a voté dans l’intérêt général du football belge», glisse un dirigeant présent autour de la table des négociations. «Chacun a pensé à son propre intérêt. Par exemple, tout le monde sait que 18 équipes en première division, c’est trop. Mais puisque tout le monde veut y être, beaucoup votent en se disant que ça augmente leurs chances de faire partie de la fête.»
Malgré cette technique de drague plutôt efficace envers les petits clubs, il manquait encore quelques votes pour atteindre la barre des 33. Genk (et ses trois votes) faisait encore pencher la balance du mauvais côté en s’accrochant à la formule des play-offs. Il fallait donc un dernier compromis, un de plus, pour obtenir le verdict espéré. Les clubs de Pro League l’ont trouvé en proposant d’imposer la présence de quatre équipes «U23» au sein de la deuxième division, les empêchant de descendre vers le football amateur sauf si elles peuvent être remplacées par une autre équipe B. Quatre équipes sans le moindre enjeu, ça a de quoi rendre furieux les autres équipes de D2, mais la colère de certains est apaisée par le rappel que chaque équipe «B» présente au sein de la division doit verser une compensation d’un million d’euros à répartir entre les autres membres de la série. Comme les U23 de Genk sont au bord de la relégation et que deux millions, c’est beaucoup moins que quatre pour des clubs aux finances exsangues, le calcul financier est rapidement fait.
«Le pire, dans tout ça, c’est qu’il y a une conscience quasi générale que ça ne durera pas.»
Une fois obtenue la certitude que ses U23 resteront au sein du football professionnel, profitant d’un précieux avantage sur la concurrence en matière de postformation des jeunes talents sans devoir trop dépenser pour les rendre compétitifs, Genk change de bord. Une volte-face sous forme d’un triple vote positif du président Peter Croonen, pour un total de 34 voix dans la balance en faveur d’un retour à 18 au sein de l’élite. L’homme a fait basculer l’avenir du football belge, mais refuse de commenter son choix. Joint par Le Vif, il répond par l’intermédiaire de l’attaché de presse du Racing Genk: «Tant que les discussions juridiques ne seront pas terminées, nous ne souhaitons pas discuter plus en profondeur de la réforme de la compétition.»
Evidemment, les clubs qui souffrent actuellement au bas de la deuxième division ont la dent dure contre ce changement, et sont prêts à prolonger la saison face aux tribunaux si elle fait basculer une équipe dans le football amateur au détriment des U23 de Genk. Plus que jamais, le football belge marche sur des œufs.
Une nouvelle formule, jusqu’à quand?
Machine à engranger des droits télévisés, les play-offs appartiennent donc au passé. Il y a trois ans, pourtant, une étude menée par la société Hypercube et grassement payée par la Pro League confirmait que ce format de compétition était le meilleur à adopter pour la médiatisation et la compétitivité du championnat de Belgique. Tous les cabinets spécialisés qui se sont penchés sur le dossier affirmaient également qu’un championnat de première division à seize participants, c’est trop pour un territoire comme le nôtre. Pourtant, les dirigeants du football national ont décidé d’aller à rebours de ces études, privilégiant au nom de l’intérêt général une somme éparse d’intérêts particuliers.
«Le pire, dans tout ça, c’est qu’il y a une conscience quasi générale que ça ne durera pas», glisse un décisionnaire de l’élite. Tous savent que cette formule est loin d’être idéale, mais c’était la seule qui pouvait récolter assez de voix pour sortir des inconvénients du format actuel: trop de matchs pour les gros calibres qui veulent batailler hors des frontières, trop de risques de descendre pour ceux qui luttent en bas de tableau et craignent cette treizième place qui les emmène dans l’incertitude des play-downs.
Tout s’est donc fini par un compromis à la Jean-Luc Dehaene. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’ancien Premier ministre était un fervent supporter du Club de Bruges.
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