Les conseils du CEO de Bruges Vincent Mannaert au foot belge: « Un transfert, c’est comme une partie de pêche »
A l’aube de son dernier huitième de finale de Coupe d’Europe comme manager du FC Bruges, Vincent Mannaert donne son avis sur le foot belge.
C’est une histoire trop peu connue. Elle date de l’époque où 80% des footballeurs qui foulaient les pelouses nationales étaient belges, et où certains cumulaient encore les matchs de haut niveau avec une autre vie professionnelle. Vincent Mannaert était alors aux portes de l’élite, rejointe par son club d’Alost en 1994. «Notre gardien, Hans De Schrijver, travaillait pour Assubel, Peter Van Wambeke était représentant et Gilles De Bilde, fonctionnaire», se souvient Mannaert, alors étudiant en droit à la VUB. Une voie à laquelle le natif d’Opwijk s’est entièrement consacré lorsque des blessures en cascade ont mis un terme à son rêve de devenir un joueur de D1.
Un an plus tard, quand l’arrêt Bosman permet aux joueurs en fin de contrat de quitter leur club sans indemnité de transfert, le monde du football est métamorphosé. «J’ai compris que le foot allait changer, et qu’il existait un avenir dans la combinaison du droit et du sport. Certains coéquipiers, comme Yves Vanderhaeghe ou Gilles De Bilde m’avaient déjà demandé d’examiner leurs contrats. A l’époque, de nombreux contrats-types contenaient des dispositions juridiquement non valables.»
En marge d’un parcours de footballeur poursuivi dans les divisions inférieures, Vincent Mannaert devient agent pour Sport & Entertainment Management, puis range les crampons pour devenir manager à plein temps de Zulte Waregem, en 2007. «J’avais déjà reçu une offre pour le poste de bras droit d’Herman Van Holsbeeck à Anderlecht, mais je ne savais pas exactement en quoi consisterait mon travail. A Zulte Waregem, c’était clair. Des camarades de classe comme Sven Mary m’ont cependant demandé si je ne pensais pas qu’accepter un tel poste était un risque. Aujourd’hui, ils admettent qu’eux aussi auraient voulu faire ce job.»
Quelle est la chose la plus importante que vous avez apprise en tant que manager, d’abord à Zulte Waregem puis au Club Bruges depuis 2011?
Mannaert : L’impact énorme et crucial des transferts sur toutes les sections du club. Et leur caractère imprévisible. Même la combinaison d’un grand joueur et d’un grand entraîneur ne fonctionne pas toujours. Il s’agit souvent d’une question d’alchimie humaine. J’y ai consacré beaucoup de temps, j’étais toujours très bien préparé. Que ce soit pour un joueur qui souhaite partir soudainement ou une offre inattendue, il faut être prêt à vendre. Et le vouloir. Après le titre de 2016, malgré des offres très alléchantes, nous n’avons laissé partir aucun joueur, car nous voulions faire bonne impression en Ligue des champions. Ce fut un double échec: des ambitions sportives non réalisées et beaucoup d’argent perdu. L’équilibre entre le financier et l’émotionnel, entre les dirigeants et les supporters, est une chose à laquelle il faut toujours veiller en tant que dirigeant. Si les finances dominent, vous perdez le lien avec vos supporters. Si vous commencez à faire plaisir aux supporters, vous vous retrouvez rapidement dans une situation financière difficile. Surtout dans le championnat belge, où les revenus les plus élevés ne proviennent pas des droits médiatiques, mais des transferts.
Quel est l’art d’une bonne politique de transfert?
Mannaert : Depuis le début, j’ai toujours eu beaucoup de contacts avec des collègues étrangers. Non seulement pour connaître l’organisation générale – qu’est-ce qui pourrait fonctionner au Club Bruges avec moins de moyens? – mais aussi pour lancer quelques hameçons. Ensuite, il faut être patient, comme à la pêche. Ça ne mord pas toujours, mais il est utile d’avoir plusieurs lignes à l’eau en même temps. Lors des négociations avec l’AC Milan pour le transfert de Charles De Ketelaere, par exemple, je me sentais à l’aise à la table parce que j’avais déjà un accord avec Leeds. Je savais que, le cas échéant, Charles ne refuserait pas le transfert à Leeds. De cette manière, nous avons obtenu de Milan les conditions que nous souhaitions, même si cela a pris beaucoup de temps. Il est également essentiel de rester en contact. Nous voulions notre ailier Skov Olsen lorsqu’il jouait encore à Nordsjaelland, au Danemark, mais à l’époque, il avait choisi Bologne. Nous avons continué à le suivre jusqu’à ce qu’une opportunité se présente.
Quel transfert vous a le plus surpris?
Mannaert : Celui de Carlos Bacca. Les rendez-vous avec son club colombien ont été annulés les uns après les autres. En fait, le transfert a semblé échouer complètement lorsque des clubs allemands et français se sont montrés intéressés. Lorsque je me suis rendu moi-même en Colombie, Carlos est intervenu face à son président: «Je resterai ici jusqu’à ce que vous me laissiez aller au Club.» Nous l’avons acheté pour un million et demi d’euros et nous l’avons revendu plus tard à Séville pour neuf millions, avec un joli pourcentage en sus.
De quelles négociations gardez-vous un souvenir particulier?
Mannaert : Lorsque nous cherchions un nouvel entraîneur en 2012, après le licenciement de Georges Leekens, j’ai reçu un message de Roy Keane, l’ex-icône de Manchester United. Il a posé sa candidature. J’ai cru à une blague, mais j’ai tout de même fixé un rendez-vous. L’entraîneur adjoint Philippe Clément et moi-même avons discuté avec lui pendant deux heures. Il a raconté des histoires hilarantes sur Brian Clough et Sir Alex Ferguson (NDLR: les entraî- neurs de Keane à Nottingham Forest et à Manchester United). Mais lorsque nous l’avons interrogé sur sa philosophie d’entraîneur, il n’a pas réussi à dépasser les clichés: «Travailler dur, jouer ensemble.» Finalement, Keane a conclu en disant: «Je ne pense pas que vous me prendrez comme entraîneur, mais j’ai apprécié la conversation.»
Comment se porte le football belge aujourd’hui?
Mannaert : Plutôt bien. Nous sommes en bons termes avec le gouvernement sur des sujets comme la sécurité et la fiscalité. Le football belge est devenu un marché pour les jeunes talents, le football féminin est également en plein essor. La Pro League, l’association belge de football, et les deux sections linguistiques font de grands progrès en matière d’organisation et de professionnalisation.
Il n’y a toujours pas de verdict concernant l’Opération mains propres, lors de laquelle vous et un certain nombre de personnes avez conclu un accord avec la justice. N’y a-t-il pas là une ombre au tableau du football belge?
Mannaert : Cette affaire a bouleversé tout le secteur du football belge. Il en résulte les réglementations les plus strictes du monde. Les contrôles de conformité et de blanchiment d’argent sont légion et la transparence est très élevée. Pour chaque sponsor à partir de dix mille euros, des dossiers complets doivent être demandés. Malheureusement, malgré ces efforts, de nombreux clubs du pays ne peuvent plus ouvrir de comptes auprès des banques belges car ils sont devenus suspects. C’est pourtant nécessaire pour assurer la transparence des opérations de paiement.
Le dossier du stade déposé par le Club en 2007 continue de traîner, 17 ans plus tard. Seriez-vous venu à Bruges si vous l’aviez su à l’époque?
Mannaert : Bonne question (il réfléchit). D’après les discussions que j’ai eues à l’époque, j’aurais été invité à participer à la coupure du ruban du nouveau stade en 2013 ou 2014 au plus tard. Pour de nombreux clubs, un nouveau stade fut un moteur de croissance. C’était aussi l’intention ici… C’est ma plus grande frustration à l’égard du Club.
Vous étiez favorable à la création d’une BeNeLigue, une ligue commune à la Belgique et aux Pays-Bas. Quels avantages y voyiez-vous?
Mannaert : Plus de revenus commerciaux et médiatiques, y compris pour les clubs qui n’ont pas été retenus. Cela ne s’est pas produit parce que l’Eredivisie aux Pays-Bas a commencé à se réformer et parce que le moment était mal choisi. Les clubs néerlandais se portaient très bien sur la scène européenne à l’époque. Nos voisins ne pensaient pas avoir besoin de la BeNeLigue. Mais ce projet reviendra sur le tapis.
Etes-vous toujours opposé aux play-offs dans le championnat belge?
Mannaert : Je ne vois toujours pas l’intérêt. Le système creuse le fossé entre les grands et les moins grands clubs. Ces derniers prennent également plus de risques financiers pour pouvoir être dans les six premiers et participer aux Champions Play-offs.
Lire aussi | Comment Bruges a perdu son avance sur la scène belge
Cela donne tout de même de la bonne télévision.
Mannaert : Un championnat sans play-offs est tout aussi attrayant et offre plus de garanties pour une politique financière plus saine. En plus, je trouve que les play-offs sont un handicap pour nos meilleurs clubs qui jouent en Europe. En 2017, Anderlecht a joué les prolongations en quarts de finale de l’Europa League. Et qu’a fait l’entraîneur? Il a mis ses deux meilleurs joueurs, Hanni et Praet, sur le banc, car ils devaient être frais pour l’enchaînement des matchs de play-offs. Il est donc plus important de devenir champion que de briller en Europe.
N’est-ce pas de toute façon le cas?
Mannaert : Comment Anderlecht, le Club et le Standard sont-ils devenus des clubs de premier plan, suivis dans tout le pays? Certainement grâce à leurs résultats européens.
En tant que futur dirigeant sortant (NDLR: il quittera le club à la fin de la saison), quel conseil donneriez-vous au football belge?
Mannaert : Demander aux nouveaux propriétaires de clubs – belges ou étrangers, peu importe – d’élaborer un business plan concret à long terme, avec les garanties financières nécessaires. Je suggère également une concertation, deux fois par an, entre tous les actionnaires majoritaires des clubs professionnels. Les difficultés financières de Courtrai, d’Ostende et du Standard devraient nous obliger à communiquer ouvertement à ce sujet.
Quand avez-vous commencé à penser à vos adieux?
Mannaert : Après le titre en 2022, à l’Antwerp. Après 17 saisons, j’en avais un peu marre de mon poste et de son rythme effréné. Je me demandais aussi de plus en plus si j’étais encore capable d’avoir de l’énergie tous les jours. La réponse était non et il fallait alors chercher quelque chose de nouveau. Je l’ai fait savoir en interne, de manière correcte et à temps, afin que le club puisse chercher un successeur.
Quand vous avez pris vos fonctions au Club, vous avez déclaré: «C’est un travail que je me verrais bien faire dans d’autres clubs.»
Mannaert : Cela ne s’est pas produit, mais j’étais sincère. Je n’aurais jamais pensé rester ici aussi longtemps. Lorsque j’ai signé, j’ai dit à la maison: «Nous partons pour deux ans.» Finalement, ça en aura duré treize.
Quelle direction voulez-vous prendre à la fin de cette saison?
Mannaert : Je n’exclus pas de faire autre chose dans le football, dans un autre club ou à un autre poste.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici