Lenie Onzia, pionnière du foot féminin belge: «Je ressentais beaucoup moins la peur de l’échec dans le foot»
A une époque où les jeunes filles devaient s’entraîner sur des terrains annexes après leur journée de boulot, Lenie Onzia a relevé le pari du professionnalisme. Aujourd’hui, elle transmet son savoir aux plus jeunes. Car la footballeuse a grandi et la femme aussi.
Lenie Onzia, 33 ans, file vers un miroir, s’y arrête et se frotte les yeux. Pendant que le photographe prépare son matériel, elle soigne son look: «On ne doit pas voir dans le magazine que j’ai pleuré.» Cette fille est un baril d’émotions. «Si je pouvais changer quelque chose chez elle, ce serait ça. Je voudrais bien qu’elle arrête de pleurer pour un oui, pour un non.» Ces mots sont de sa compagne, Anke Boogaerts, même âge, qui vient juste de rentrer. Sur son skate, elle est allée rechercher leur fille Jenna (trois ans) et le petit Siebe (sept mois). Lenie Onzia ne peut retenir un sourire un peu gêné. Elle est obligée de confirmer le discours de sa moitié. «Je n’ai pas envie que les lecteurs se disent qu’une fois encore, je chiale pour un rien. Je suis comme ça, je n’ai rien à dire là-dessus.»
Je me suis retrouvée dans le vestiaire d’Arsenal avec Kelly Smith et Alex Scott qui venaient de gagner la Ligue des Championnes et jouaient pour l’Angleterre.» LENIE ONZIA
Pendant l’interview, à la table de la cuisine, elle sort plusieurs fois un mouchoir. Il faut dire qu’on aborde pas mal de sujets sensibles et très personnels: sa peur de l’échec quand elle était gosse, son caractère introverti, les difficultés liées à son coming-out et, sur un plan purement sportif, sa non-sélection pour l’EURO avec les Red Flames.
Cheveux courts à la garçonne!
Commençons par le commencement. Lenie Onzia est une petite fille tout ce qu’il y a de plus classique qui grandit dans une famille comme les autres, dans la norme. Elle est la deuxième enfant de la maisonnée, après Nico et avant Diede. Ils jouent tous les trois au foot, mais les deux garçons ne sont pas plus passionnés que ça. Diede, surtout, se plaint qu’il faut trop courir. Ils se tournent donc vers le volley alors que leur sœur continue dans le football. Elle est brillante dans l’entrejeu, et beaucoup de spectateurs ne se rendent même pas compte que c’est une fille, dans cette équipe de mecs. Ses cheveux courts y sont pour quelque chose.
Plus fort encore… En vacances, quelqu’un demande à son père: «Alors, trois gamins?» Il répond tout simplement: «Oui, c’est ça, trois gamins.» Pour ne pas avoir à expliquer encore et encore. La petite Lenie s’en tape. Par contre, quand on lui demande, à l’école, si elle ne préférerait pas être un garçon, elle réagit. Non, ce n’est pas le but. Elle décide alors de se laisser pousser les cheveux. «J’aime bien être une femme», dit-elle aujourd’hui. «Et j’aime bien aussi le montrer.» À partir de ce moment-là, plus possible de se tromper. On voit directement à sa coiffure que c’est une gamine qui fait du tout bon boulot dans une équipe de gamins. Évidemment, ça fait réagir. Parce qu’il y a peu de filles dans les équipes mixtes à l’époque, et surtout peu de filles aussi brillantes. Jouer avec des garçons, affronter des mecs, ça l’endurcit. Elle continue à perfectionner sa technique et sa vitesse d’exécution. Elle est toujours persuadée aujourd’hui que c’était «la meilleure école.» Dans son job d’entraîneuse à Voetbal Vlaanderen, l’aile flamande de la Fédération, elle aligne volontairement des filles dans des équipes masculines. Ses joueuses bénéficient d’un accompagnement, d’une infrastructure, d’une attention médiatique et populaire, et d’investissements qui étaient impensables quand elle avait le même âge. «On s’entraînait deux fois par semaine. Maintenant, c’est cinq ou six fois, en plus des séances de muscu, du coaching mental et des conseils nutritionnels.»
Une peur maladive de l’échec
Vu comme ça, Lenie Onzia aurait évidemment aimé venir au monde quelques années plus tard. Mais ça ne l’empêche pas de garder d’excellents souvenirs de cette période, de sa jeunesse, de la famille dans laquelle elle a grandi. «Une famille très normale où on était très heureux. Mes parents nous ont toujours laissé faire ce qu’on avait envie de faire. Ils nous disaient que si on voulait devenir bons dans ce qu’on entreprenait, il fallait tout donner. Et si on voulait arrêter, ce n’était pas un problème pour eux. Ils avaient toujours le sourire et comme je jouais au foot, mon père s’occupait un peu plus de moi. Il m’a emmenée tous les jours à la gare à six heures du matin pendant deux ans.» Elle se voit comme une copie de son paternel. «Je suis calme et réfléchie. Il réfléchit à tout et il est aussi très émotif, même s’il ne le montre jamais.» Être émotive, pour elle, ce n’était pas un choix. Déjà quand elle était gosse, les larmes venaient facilement. «À l’école, j’avais toujours peur de l’échec. Ça me venait peut-être du foot. Je visais toujours le plus haut possible. Mais ce n’est pas possible dans tous les domaines et ça me frustrait.»
Elle illustre cet état d’esprit par une situation vécue en première année d’humanités. «En latin, je devais apprendre deux cents mots par cœur. Je demandais à mon père de me faire réciter et je commençais la liste. Tout allait bien, jusqu’au moment où je ne retombais plus sur un mot. Je paniquais en pensant que la prof allait peut-être me demander ce mot-là, et au lieu d’avoir dix sur dix, je n’allais avoir que neuf. Tu imagines, un bulletin où je n’aurais pas eu le maximum dans toutes les branches? Je me mettais à pleurer. J’avais l’impression que j’allais décevoir les gens autour de moi si je n’étais pas la meilleure ou si je n’avais pas le maximum. Pourtant, personne ne me mettait la pression. Au contraire.»
« Une fois que j’ai confiance en une personne, je peux aller au feu pour elle » Je ressentais beaucoup moins la peur de l’échec dans le foot.» LENIE ONZIA
En foot, elle a longtemps été considérée comme l’une des meilleures individualités de son équipe. «C’est peut-être justement ça, le problème. On le voit avec tous les footballeurs qui arrivent au plus haut niveau. Chez les jeunes, ils sont au-dessus du lot. Puis, au moment où ils arrivent au sommet, ils constatent qu’ils ne sont plus seuls à survoler les débats. Il faut apprendre à vivre avec ça. Et certains n’y arrivent pas.»
Quand elle est arrivée à l’école pour sportifs de haut niveau de Louvain, elle a rencontré pour la première fois des filles qui faisaient aussi du foot. Elle a continué à progresser en s’entraînant avec les meilleures du pays. Et quand elle a quitté les sélections d’âge pour évoluer dans le noyau des Red Flames, elle remarqué qu’il y avait une fameuse concurrence. Pourtant, son adaptation s’est faite assez vite. «Je ressentais beaucoup moins la peur de l’échec dans le foot, je sais que ça peut paraître bizarre. Peut-être parce que je partais du principe que je ne le faisais que pour moi, donc je n’avais pas la crainte de décevoir d’autres personnes. Et puis j’arrivais à mettre les choses en perspective. Je suis assez modeste et je comprenais que je faisais partie des meilleures footballeuses de Belgique, je voulais être la meilleure version de moi-même, mais je ne me comparais pas aux autres.»
Apprendre le discours direct des mecs
À la fin de ses humanités, un entraîneur de jeunes lui a parlé d’un programme mis en place par Arsenal, le grand nom du foot féminin à l’époque. Des filles de 17 et 18 ans avaient la possibilité de s’entraîner en journée pendant leur rhéto. Une petite révolution parce qu’en 2007, ça ne se faisait nulle part. C’était le temps où les joueuses de foot avalaient une tartine en vitesse après leur boulot pour aller à l’entraînement. À Londres, Lenie Onzia avait la possibilité de combiner le foot et sa scolarité. «J’ai été admise dans le programme et le quatre ou cinq meilleures joueuses de la deuxième équipe pouvaient s’entraîner le soir avec la première. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée dans le même vestiaire que Kelly Smith et Alex Scott. Elles venaient de gagner la Ligue des Championnes et elles jouaient pour l’Angleterre. C’étaient des légendes. J’ai ouvert des yeux comme ça!»
Elle a ainsi marché sur les traces de Femke Maes. Elle a prouvé qu’une joueuse belge pouvait aussi partir à l’étranger, qu’une footballeuse de chez nous pouvait ambitionner une carrière professionnelle. «Je ne m’en rendais pas compte au moment même, mais j’ai compris quand j’ai entendu des réactions d’autres joueuses. Elles m’ont dit que je leur avais ouvert les yeux.» Elle est ainsi devenue une pionnière chez nous, sans bien le comprendre elle-même.
Au terme de son année à Arsenal, elle a suscité l’intérêt du FC Twente, a signé là-bas et y est restée deux saisons. «Je suis assez calme, plutôt dans la retenue. Et là, c’était la petite Belge qui se retrouvait aux Pays-Bas. Là-bas, j’ai découvert une mentalité complètement différente. C’est très direct, on n’a peur de rien. Les filles se disent les choses, elles mettent le doigt sur ce qui ne fonctionne pas, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Elles peuvent se rentrer dedans, mais après, on oublie et on retrouve la bonne humeur. Cette culture n’est toujours pas arrivée en Belgique. Ici, on n’accepte pas les personnes qui sont très directes. Enfin, c’est possible, mais c’est parfois pris personnellement.»
Elle l’a constaté quand elle est rentrée au pays pour y continuer son parcours. «J’ai commencé à dire les choses comme je les voyais, à m’exprimer ouvertement. Mais les autres joueuses étaient quand même relativement ouvertes parce que je le faisais à ma manière, calmement et en respectant tout le monde. Je vois que les choses évoluent, mais ce n’est pas encore naturel en Belgique. Ni dans le football féminin ni dans la société en général.» Elle constate que les entraîneurs doivent s’y prendre autrement, par rapport aux coaches dans le foot masculin. «Il faut faire attention à la manière dont on dit les choses, veiller à la dynamique de groupe. Les hommes disent ce qu’il en est puis oublient, alors que les filles continuent à parler derrière le dos de leurs coéquipières et font traîner les problèmes en longueur.»
Un come-back improbable aux Pays-Bas
Après deux saisons à Twente, elle est passée dans un autre club néerlandais, Venlo. Elle a continué son master en éducation physique et psychomotricité, mais sans grand succès, vu la difficulté de combiner foot à l’étranger et études. En 2011, elle est rentrée en Belgique pour se consacrer à son cursus, et elle ne pensait plus à une carrière professionnelle. «La décision la plus difficile de mon parcours de joueuse. Mais je ne pouvais pas continuer à ramer dans mes études. Ce n’était pas possible de gagner très bien ma vie dans le foot et il fallait que je pense à mon avenir. Je voulais décrocher un diplôme. Donc, j’ai donné la priorité aux études et le foot ne venait plus qu’en deuxième position. Mais j’ai eu l’impression de faire subitement une croix sur ma carrière professionnelle. Là, je me suis dit que j’étais décidément née quelques années trop tôt.»
Quitter le football professionnel a été la décision la plus difficile de ma vie.» LENIE ONZIA
Pendant son master, elle a choisi l’option entraînement et coaching – ce qui lui permet d’avoir les diplômes pour entraîner. C’est dans ce cadre qu’elle a fait un stage avec des équipes de jeunes de Twente. Elle a ainsi retrouvé un environnement qu’elle connaissait parfaitement. «Le club m’a proposé de reprendre du service. Mais je n’étais pas certaine d’avoir encore le niveau. En Belgique, j’avais reculé dans le jeu.»
Anouk Dekker et Shanice van de Sanden, deux des joueuses-vedettes de l’équipe, sont parties pendant la trêve hivernale et Onzia s’est révélée être la solution idéale pour combler ce vide. Elle est devenue titulaire indiscutable, elle a fêté le titre national, a disputé la Champions League avec les Tukkers et, cerise sur le gâteau, elle a disputé l’EURO en tant que titulaire avec les Red Flames, aux Pays-Bas, en 2017. «Cette saison et demie a été la plus belle période de ma carrière. Juste au moment où je pensais que le foot de haut niveau était terminé pour moi, j’ai subitement connu plein de grandes choses. C’était complètement improbable.»
Coming-out
Et pour ne rien gâcher, elle a entre-temps rencontré l’amour de sa vie. Ça s’est passé à Louvain, à l’université. Elle jouait avec Anke Boogaerts dans l’équipe universitaire de futsal, et entre les deux filles, le courant ne passait pas uniquement dans le jeu. Aujourd’hui, elles sont ensemble depuis une dizaine d’années. Pour Onzia, son homosexualité n’a pas été simple à accepter. «Je m’y suis longtemps opposée.» Quand elle aborde le sujet, les larmes sortent. «Pendant très longtemps, j’ai été incapable d’en parler. C’est Anke qui m’a aidée à sortir de ma coquille. On est parfaitement complémentaires, on s’apporte mutuellement de l’équilibre. Elle est rationnelle, extravertie, et elle dit ce qu’elle pense. Je suis émotive et je préfère rester en retrait.» Anke provoque un peu Lenie. «Elle me pousse à sortir ce que je pense, ce que je ressens. J’avais déjà vécu ça aux Pays-Bas, mais avec elle, ça se fait au quotidien et c’est beaucoup plus personnel, plus ciblé.»
Sa proximité avec les filles, et ses doutes par rapport aux hommes, c’est une vieille histoire. «Mais pendant longtemps, je n’en ai pas eu conscience. Ou je ne voulais pas le voir. Les idées préconçues sur le football féminin sont nombreuses et injustifiées: des lesbiennes, des couples dans la même équipe, des drames. Je ne voulais pas confirmer cette image, et donc je la repoussais. J’ai essayé d’avoir des relations avec des hommes, mais ça ne marchait pas. Après m’être battue très longtemps contre ça, j’ai dû me rendre à l’évidence et avouer – si c’est le bon terme – que j’étais faite pour avoir une femme dans ma vie.»
Pour son entourage, ça n’a jamais été un souci. «Évidemment, ça m’a aidée, même si c’était mon histoire et pas celle des autres. Mais j’ai du mal avec certains clichés. Des gens pensent que certaines filles seraient avec un homme si elles n’avaient pas joué au foot. C’est peut-être vrai dans certains cas. Mais moi, je vois les choses autrement: sans le foot, je n’aurais peut-être pas osé avouer mon orientation sexuelle, je serais peut-être avec un homme et je serais peut-être malheureuse. Ce milieu m’a ouvert les yeux. Parce que dans ce monde, c’est accepté.» La femme de sa vie ajoute: «Je suis très fière que Lenie et moi prouvons que les clichés sont faux! On vit ensemble, on a deux enfants et on est heureuses.»
L’ex-valeur sûre de Twente fait toutefois attention à tout. Elle a déjà vu des lesbiennes se faire incendier en rue. «C’est pour ça qu’on ne se balade jamais main dans la main.» Et, directement, elle nuance: «Mais peut-être que je ne le ferais pas non plus avec un homme. Je n’ai pas besoin de ça, je n’ai rien à montrer aux gens que je croise. Maintenant, c’est clair que les réactions qu’il peut y avoir vis-à-vis de deux filles, ça peut jouer un rôle dans ma réflexion.»
Mama et mima
Elles ont donc eu deux enfants. Anke a porté Jenna et Siebe. «Pour moi, la situation était comparable à ce que vit un futur papa», explique Lenie. «En même temps, j’imaginais mieux ce que pouvait ressentir Anke. C’était fantastique, j’étais terriblement impatiente.» Sa compagne enchaîne: «Même s’il n’y a aucun lien au niveau de l’ADN, Siebe a quelque chose de Lenie. Le même caractère calme, la même joie de vivre, la même sensibilité.»
Pour les enfants, Anke est mama et Lenie se fait appeler mima. «On ne savait pas trop comment ils allaient m’appeler, on a dû un peu chercher. Ils auraient pu dire mama pour Anke et moi, mais dans certaines situations, ça n’aurait pas été très pratique. Mammie, c’était possible, mais c’est comme ça que j’appelle ma grand-mère.»
Quand Lenie a arrêté le foot, elle pensait avoir plein de temps libre, mais ce n’est vraiment pas le cas. Avec son poste d’entraîneuse à Voetbal Vlaanderen, sa fonction d’adjointe chez les WU23 et sa place occasionnelle dans le staff des Red Flames, elle a bien plus qu’un temps plein. Sa copine aussi. Quand on leur demande comment elles font pour s’en sortir, sa réponse fuse: «Il faut bien s’organiser, bien planifier. Mais ça signifie aussi que je suis encore souvent loin de la maison, lorsque je pars en stage par exemple, et qu’Anke n’a pas encore pu poursuivre pleinement sa carrière dans l’entreprise médicale Johnson & Johnson.» Anke ajoute: «Je soutiens Lenie à fond, comme elle m’a toujours soutenue. J’ai encore des ambitions et elle me laisse faire. Je lui ai toujours dit qu’elle pouvait choisir le moment où elle arrêterait sa carrière. Je lui dis aussi que si elle a des opportunités pour progresser, elle doit les saisir. Il y a une formule que je trouve horrible: Je suis amoureuse de quelqu’un d’autre, mais je reste pour les enfants. Je veux qu’elle soit heureuse de partager ma vie.»
J’aime bien être une femme et le montrer.» LENIE ONZIA
Après dix ans de vie commune, les deux femmes restent clairement super amoureuses. Quand on demande à Anke de définir sa moitié, ça ne traîne pas: «Elle est super fiable. Et réfléchie. On a beaucoup d’amis qui disent aussi qu’elle a un côté mystérieux.» Lenie prend la parole: «Je pense plutôt que je suis difficilement accessible.» Anke: «Oui, il y a de ça aussi, mais tu es un mystère difficile à résoudre. Beaucoup de gens essaient de t’approcher mais tu les bloques, tout en restant cordiale. Tu es une fille gentille, une personne avec qui on a envie de passer du temps. Il faut percer ta carapace, mais une fois que c’est fait, ça se passe très bien.» Lenie: «C’est vrai, une fois que j’ai confiance en une personne, je peux traverser un mur pour elle, aller au feu.» Là-dessus, ses yeux se mouillent à nouveau. Anke: «Tu as aussi ce côté très émotif. Il suffit que les enfants disent qu’ils veulent passer du temps avec toi et tu te mets à pleurer.»
Deux mamans? Toujours inconcevable pour certains!
Elles ont toujours su qu’elles voulaient des enfants. Mais en tant que couple de femmes, elles ont dû y réfléchir plus longtemps. «On s’est interrogées sur ce qu’ils allaient vivre, avec deux mamans dans le monde actuel… Je ne sais pas si j’aurais fait le même choix il y a vingt ou trente ans. Peut-être que je n’aurais pas réalisé mon rêve, simplement par crainte des réactions. On a finalement décidé d’avoir des enfants parce qu’on a l’impression que la situation a évolué, qu’il y a une meilleure acceptation de ces choses-là. On ne se pose pas de question sur l’avenir des enfants, le fait qu’ils ne soient pas les seuls à vivre ça rend quand même la situation plus facile.»
Mais pour certaines personnes, ça reste improbable. Lenie raconte une scène révélatrice. «Jenna venait de naître et on est allées au resto à trois. Je suis marraine chez mon frère et cet enfant m’avait offert un porte-clés avec le mot marraine. Je l’avais déposé sur la table. Quand le serveur est arrivé, il a dit à Anke: Vous êtes la maman? Et à moi: Et vous, la marraine alors? Sur le moment même, je me suis dit: Laisse tomber. Mais ça m’a fait quelque chose. Pour cet homme, il était inconcevable que cet enfant soit à nous deux.»
Quel genre de maman est l’ancienne joueuse? «J’essaie de combiner les normes et valeurs que j’ai reçues quand j’étais gamine avec les connaissances que j’ai acquises en cours de route. Pendant mon adolescence surtout, je parlais très peu à la maison de ce qui me passait par la tête. Je pouvais le faire, mais on ne le faisait pas. Grâce à Anke, j’ai appris à dire les choses, et maintenant, on peut discuter de tout avec mes parents. C’est une chose que je veux enseigner à nos enfants: ils ne doivent pas avoir de tabous, quel que soit leur âge.»
La petite Jenna s’invite alors dans la conversation. Elle fixe sa maman et lui lance: «Tu es triste, mima?» Réponse: «Oui, je suis un peu triste. Tu me connais, quand même? Mais tout va bien, ne t’inquiète pas.» Jenna: «Pourquoi tu es triste?» La conclusion: «Parce qu’on parle de choses qui me touchent beaucoup.»
«Avoir raté l’EURO, ça a été terrible»
Lenie Onzia ne veut pas trop s’épancher sur le sujet mais elle peste toujours autant de ne pas avoir pu participer au dernier EURO comme Red Flame. «J’y ai connu une très belle expérience en étant dans le staff, ça me servira dans mon métier de coach, et j’en suis très fière. Mais rater ce tournoi en tant que joueuse restera une cicatrice douloureuse.»
Elle a mis fin à sa carrière de footballeuse à Louvain quand elle était au sommet de son art, c’était ce qu’elle voulait. Elle aurait voulu faire la même chose avec l’équipe nationale, jouer cet ultime grand rendez-vous pour boucler la boucle. «C’est pour ça que ça fait si mal. J’estime qu’on ne m’a pas donné la chance que je pensais mériter.»
Elle n’en dira pas plus. Cette retenue naturelle, toujours… Mais Anke Boogaerts, comme à son habitude, est plus directe. «Comme beaucoup d’autres, je n’ai pas compris ce choix. Mais il faut accepter les choix de l’entraîneur». Elle laisse un silence. «Pour être claire, on ne doit pas sélectionner une joueuse sur la base des services rendus, certainement pas. Mais quand vous avez deux joueuses du même niveau, c’est quand même normal de choisir celle qui apportera le plus en dehors du terrain, non? Et clairement, Lenie était importante pour ce groupe. Donc je trouve ça très grave.»
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