Le Standard ne peut plus se permettre de vivre au-dessus de ses moyens. © BELGA PHOTO DIEDERICK ETTEMA / FLUGIA

Le Standard attend sa revente: lutte de pouvoir à l’Académie, CEO aux méthodes fortes et hommes de D’Onofrio

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Le Standard est toujours détenu par l’Américain A-Cap, qui semble jouer la montre. La situation crée l’incertitude en interne, où les dossiers chauds ne manquent pas d’agiter le quotidien.

Le public est unanime. Il parle en pancartes, agglutinées au deuxième étage de la tribune 3 de Sclessin à l’occasion de la visite de Malines, premier adversaire du Standard en play-offs 2. «A-Cap Go Home», lit-on en rouge et noir, pour inciter la compagnie d’assurances américaine à accélérer le processus de vente d’un club qu’elle possède un peu par défaut depuis la faillite du projet 777 Partners. Une banque d’affaires est sur le coup, les trois offres sur la table sont à peu près connues de tous mais à l’heure d’entrer en négociations exclusives avec l’un des candidats, on dirait que les patrons d’outre-Atlantique jouent la montre.

Sur les bords de la Meuse, beaucoup spéculent car personne ne sait rien. On passe d’une rumeur à l’autre, évoquant un retour de Lucien D’Onofrio main dans la main avec des investisseurs étrangers épaulés par les fonds publics de Noshaq, un come-back de Bruno Venanzi dans les valises de l’ancien capitaine Paul-José Mpoku ou une offre essentiellement française. Les paroles s’envolent, et pas grand-chose ne reste. Si bien que dans les bureaux rouches, on se prépare à l’idée que le récent passage de témoin entre Pierre Locht et Giacomo Angelini dans le bureau réservé au CEO ne soit pas si provisoire que ça.

En préavis depuis de nombreux mois, le visage principal du passage de témoin entre l’ère Venanzi et les péripéties américaines a donc fini par quitter le navire, non sans rappeler dans un dernier message l’ineffaçable rougeur de son cœur. Pierre Locht prend la route de Tubize, pour devenir dans le giron des Diables le bras droit d’un Vincent Mannaert qui l’a toujours tenu en haute estime. Déjà à son époque brugeoise, le responsable sportif de l’équipe nationale avait tenté d’attirer Locht dans la Venise du Nord, ce dernier repoussant l’offre au profit d’une incessante montée en grade au sein d’un Standard où il aime rappeler qu’il a tout connu. Sans lui, qui parvenait à éviter soigneusement les conflits entre ses personnes de confiance aux caractères parfois difficilement compatibles, Sclessin pourrait connaître quelques secousses.

Lutte de pouvoir à l’académie

A l’heure de parler de divergences d’opinions, les regards se tournent d’abord vers le SL16 Football Campus, que tout le monde, en Principauté, continue à appeler «l’académie». Le centre de formation du Standard ne connaît pas vraiment sa période la plus faste, avec des résultats décevants excepté pour les U14, sacrés champions mais chez lesquels de nombreux suiveurs assidus des centres de formation belges annoncent un exode potentiel. Pour le reste, entre des U18 qui n’ont pas obtenu leur ticket pour une place en play-offs 1 ou des U23 qui peinent à sortir la tête de l’eau en troisième division (D1 ACFF), les perspectives d’avenir sont loin d’être radieuses. Forcément, quand la formation tourne en rond, ce sont les décideurs qui sont dans le viseur.

Depuis la fin de l’année 2023, l’académie se pilote à deux têtes. Celle de Réginal Goreux, ancien arpenteur du flanc droit de Sclessin devenu directeur sportif de la formation rouche, associée à celle de Pierre Wauters. Ce dernier, puisé hors du sérail footballistique (c’est un ancien enseignant), doit, sur papier, prendre en charge la gestion opérationnelle du centre, talon d’Achille d’un Goreux qu’on dit allergique à la paperasse. Les deux hommes ont alors la confiance de Pierre Locht, qui a poussé pour l’intégration de Wauters au Standard tout en prenant systématiquement la défense de Goreux sur les dossiers délicats, qu’ils soient sportifs ou extrasportifs.

Les chocs décisionnels sont pourtant de plus en plus fréquents entre les deux hommes. Réginal Goreux reproche à Pierre Wauters son ingérence dans plusieurs dossiers sportifs alors que le directeur général n’est pas censé se mêler de cet aspect, tandis que ce dernier s’agace de voir l’ancien joueur placer ses hommes de confiance à des postes clés, faisant parfois fi de leur réelle compétence à l’heure de faire des choix stratégiques pour le futur de la formation liégeoise. Le SL16 Football Campus prend parfois des airs de fourmilière et il se dit que Giacomo Angelini, bien plus froidement analytique que son prédécesseur, pourrait bien y mettre un coup de pied ravageur. Le tout sous le regard de Thierry Witsel –père de– et de Pino Scopel, ancien concierge de l’académie et homme de confiance de Lucien D’Onofrio, dont les présences récurrentes sur les hauteurs de Liège alimentent le fantasme du retour de l’ancien homme fort de Sclessin. Un come-back potentiel qui, en interne, n’enchante pas tout le monde, l’ex-agent étant réputé pour placer ses hommes à des postes importants de l’organigramme quand il pose ses valises dans un club.

Postes à pourvoir

En attendant ce retour potentiel, ou l’arrivée en bord de Meuse d’un autre candidat à la reprise, la situation actuelle semble toutefois partie pour durer. Parce que les Américains d’A-Cap, s’ils évitent la faillite qui les menace de l’autre côté de l’Atlantique suite à des plaintes à répétition, n’ont pas vraiment l’air d’avoir envie de vendre du jour au lendemain. Ils n’ont d’ailleurs pas rechigné à lever l’option d’achat de l’attaquant allemand Dennis Eckert Ayensa, et se renseignent auprès de la direction rouche pour connaître les conditions salariales d’une arrivée définitive du milieu de terrain Lazare Amani à Sclessin. En interne, tous se préparent donc doucement à une nouvelle saison de transition et d’incertitude, malgré les avertissements d’un Ivan Leko qui qualifie d’impossible la prolongation de cette situation.

Si elle venait à perdurer, Giacomo Angelini aurait quelques trous importants à combler. Le poste de directeur sportif, par exemple, laissé vacant par un Fergal Harkin, l’un des derniers survivants de l’ère 777. L’Irlandais sera probablement accompagné vers la porte de sortie par le directeur de la performance Daniel Watson et l’entraîneur-assistant Frazer Robertson, arrivés dans ses valises lors de son atterrissage en Principauté. S’il se dit que la cellule de recrutement a dernièrement mis en place un réseau international pour explorer de nouveaux marchés, difficile de l’imaginer collaborer en ligne directe avec le CEO sans intervention d’un responsable sportif en charge de la validation des dossiers. L’analyste de données de 777 ayant lui aussi mis un terme à son aventure liégeoise, la recette du recrutement manque toutefois de certains ingrédients pour nourrir suffisamment un noyau qui doit être amélioré. Sans oublier que pour les joueurs contactés, l’identité du directeur sportif, de l’entraîneur ou même du propriétaire sont des questions auxquelles les réponses évasives n’aident pas à convaincre de se vêtir de rouche.

Le Standard navigue donc à vue. Mais en interne, on commence à avoir l’habitude. Giacomo Angelini devra tenter de lui donner un cap, qui pourrait être une trajectoire provisoire de durée plus longue que prévu.

La méthode Angelini

L’arrivée d’Angelini à la tête du club ne fait pas que des heureux en interne. Parce que l’homme, unanimement reconnu pour ses compétences de gestion, est de ceux qui trouvent que le Standard se repose trop sur ses lauriers et son passé.

Le CEO a rapidement constaté depuis son arrivée chez les Rouches que toute modernisation des méthodologies de travail se heurte rapidement à des réticences majeures. A ce titre, sa proximité avec Quentin Gilbert suscite quelques craintes. Parce que ce dernier, devenu le bras droit de Fergal Harkin dans l’organisation de la vie quotidienne du noyau pro, avait tranché dans le vif en pointant du doigt les limites d’un encadrement médical qui avait été prié d’aller voir ailleurs. Il partage avec Angelini l’analyse d’un Standard qui doit oublier son statut pour cesser de vivre comme un club de l’élite belge qu’il n’est plus depuis plusieurs saisons. Les salaires restent élevés, surtout pour les joueurs confirmés attirés sans indemnité de transfert à payer, et handicapent démesurément les comptes d’un club qui ne peut plus se permettre de vivre au-dessus de ses moyens.

Mais quels moyens, au juste? «D’ici deux semaines, on devrait y voir plus clair», explique un employé du club. «Soit A-Cap entre en négociations exclusives avec l’un des candidats ayant remis une offre, soit ils continuent à faire l’autruche et on repart pour un été à construire une équipe sans savoir de quoi demain sera fait

Si demain n’est pas fait de nouvelles têtes, il se racontera sans doute avec de vieilles banderoles.

 

Faut-il vraiment un ancien pour sauver Sclessin?

Laissés en salle d’attente par A-Cap, les trois candidats connus à la reprise du club sont inévitablement liés à la présence d’un «ancien de la maison». Moins directement dans le chef des deux Liégeois Frédéric Jacquet et Christophe Corteil et de leur associé français Anouar Hassoune, mais il se dit en bord de Meuse que ceux-ci sont tombés sous le charme de Réginal Goreux, actuel patron sportif du centre de formation du Standard. Si leur projet finissait par avoir la main, il ne serait dès lors pas surprenant que l’Haïtien en soit le visage sportif.

Si c’est plutôt l’offre venue des Emirats arabes unis qui prend la main, la figure de l’ancien sera celle de Paul-José Mpoku. Avec ses 224 matchs sous le maillot liégeois, l’international congolais évolue aujourd’hui sous les ordres de l’ancien coach du Standard Mircea Rednic dans le championnat roumain, mais pense depuis longtemps à sa reconversion professionnelle. La société de management PMK Company, gérée par le joueur avec son épouse, pilote déjà des carrières, tandis que son agent historique Stijn Francis se verrait sans doute ouvrir les portes des bureaux les plus importants de Sclessin. Toujours populaire auprès d’une bonne partie du public, la présence de Bruno Venanzi à ses côtés dans le dossier en refroidit certains, l’ancien président n’ayant pas laissé que de bons souvenirs aux tribunes rouches.

S’il faut décerner un prix du public, il revient inévitablement à la candidature la plus mystérieuse. Celle de Lucien D’Onofrio, entouré d’un «groupe d’investisseurs européens», sans plus de détails sur leur provenance. L’ancien homme fort du Standard serait, à en croire certains, flanqué de Gaëtan Servais, l’homme qui a fait la popularité internationale des Ardentes. Ce dernier est désormais le CEO de Noshaq, fonds d’investissement liégeois qui a souvent soutenu des projets proches de Lucien D’Onofrio, comme ceux des hommes d’affaires de la Principauté que sont François Fornieri (ex-Mithra) ou Samuel Di Giovanni (Protection Unit). Il n’en faut pas plus pour amener certains à faire le raccourci d’un coup de pouce de Noshaq et d’une arrivée de Gaëtan Servais dans l’organigramme du club, au sein duquel D’Onofrio resterait évidemment dans un rôle de consultance qu’il affectionne. A ses côtés, Lucien compterait en outre sur le soutien de Thierry Witsel, le père d’un ex-Diable Rouge pour lequel D’Onofrio a toujours été précieux, surtout à l’heure d’enclencher un mouvement sur le marché des transferts.

L’un des ces projets parviendra-t-il à convaincre A-Cap de lâcher prise? Depuis les bureaux rouches, on glisse que «ici, et même en Belgique de manière générale, personne ne sait rien». C’est le meilleur moyen de faire tourner la machine à fantasmes à plein régime. Un jeu auquel Lucien D’Onofrio gagne à tous les coups.

 

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