Swann Borsellino
Le retour des frissons
Découvrez la chronique de notre consultant Swann Borsellino.
« Les gens ne le savent pas, mais l’une des raisons pour lesquelles mon mari a joué malgré les blessures et la douleur, c’est parce qu’il disait qu’il se souvenait d’avoir été un enfant assis dans les gradins avec son père, à regarder son joueur préféré. Il n’a jamais oublié ses fans et s’il avait pu, il aurait joué chaque minute de chaque match. » Ces mots à graver dans la tête de chaque grand sportif sont sortis ce samedi, de la bouche de Vanessa Bryant, au moment de l’intronisation de son regretté mari, Kobe, au Hall of Fame, le panthéon du basket-ball américain.
On avait oublié que le bruit du filet après une frappe de mule demeure une mélodie inachevée sans les cris décousus de supporters dans la foulée.
Illustrations parfaites de ce qu’incarnait le Black Mamba, ces paroles m’ont rappelé à quel point le monde du sport dans lequel athlètes, observateurs et spectateurs évoluent depuis plus d’un an est anormal. Suivre les performances de son équipe derrière son téléviseur, souvent seul, est anormal. Jouer dans une enceinte privée de supporters où l’on entend ses propres cris résonner comme seul dans un gouffre, est anormal. Le sport, et en l’occurrence le football, est un organe où chacun se nourrit de l’autre. De l’amour comme de l’adversité.
Aujourd’hui, je ne compte plus les joueurs qui m’ont confié être lassés de jouer sans supporter et je ne compte plus les supporters qui se lassent du football sans stade. De fait, ce que je garde de ce week-end, ce ne sont pas seulement les sages paroles de Vanessa Bryant, ce sont aussi les enfants, les mamans et les papas que j’ai aperçus dans les gradins de Wembley ce samedi. Je ne suis supporter ni de Leicester ni de Chelsea, pourtant, je crois que cette finale de FA Cup a été mon match préféré depuis un an. Il était anormalement normal.
On s’adapte tellement vite que l’on avait oublié. Oublié que le bruit du filet après une frappe de mule demeure une mélodie inachevée sans les cris décousus de supporters dans la foulée. Oublié que le commentaire magnifique de Patrick Stein après la praline de Youri Tielemans n’était qu’une frite sans sauce privée des visages incrédules des fans des Foxes avant le ralenti. Oublié que la célébration pleine de spontanéité du ket de Leicester aurait été triste comme une pluie anglaise s’il avait tapé du poing sur son blason devant des sièges vides. Cette finale de FA Cup a marqué un retour du foot. Un foot où l’émotion n’est pas une denrée que l’on s’administre en images d’archives. Pour que la dose soit complète, Kasper Schmeichel s’est précipité en tribunes pour aller chercher Aiyawatt Srivaddhanaprabha, propriétaire du club, afin de célébrer le succès avec lui. Heureux comme un gosse, le fils de Vichai, tragiquement décédé en 2018, a d’abord pris Brendan Rodgers dans ses bras, puis les joueurs, avant de soulever le trophée sous les chants d’une équipe qui en est vraiment une. Un incroyable pied de nez à un foot anglais touché par des luttes idéologiques entre supporters déçus et propriétaires hors-sol. Une oasis de bonheur pour étancher une soif de plaisir collectif qui dure depuis trop longtemps. Et puisque ce week-end était fou jusqu’au bout, Alisson Becker a profité du dimanche pour administrer à tout le monde une deuxième dose de folie histoire d’être bien vacciné contre le foot dépourvu de frissons avant l’EURO.
Véritable moteur d’émotion, l’équipe nationale sera officiellement composée quelques minutes après avoir couché ces lignes. Aux 26 Diables qui auront l’honneur de représenter mon pays d’adoption, profitez-en et faites une belle campagne européenne. Aux supporters sans qui rien de tout ce que je viens de raconter ne serait possible, on aura tous, très vite, un but « à la Tielemans » à célébrer.
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