Le nostalgique moderne : portrait de Wouter Vrancken, le nouvel entraîneur du KRC Genk
Dans cette rubrique, partons à la découverte de l’homme derrière le footballeur ou l’entraîneur. Qui est-il? Comment est-il devenu ce qu’il est? Que veut-il? Notre invité: Wouter Vrancken.
Un soleil radieux après d’interminables journées de pluie et de vent… on se sent revivre. On retrouve Wouter Vrancken au bord d’un terrain de club abandonné, tout près de Saint-Trond. Le coach de Malines observe les chevaux qui laminent la prairie d’à côté et se marre quand un poulain se lance dans une série de cabrioles. « C’est magnifique, quand même. » L’homme kiffe la vie au grand air, la nature à l’état pur. « Parfois, ma femme arrive à me faire sortir du monde du foot en m’emmenant en pleine nature. C’est important pour mon équilibre. Si je le veux, je peux travailler jour et nuit. Alors, il lui arrive de m’arrêter: Allez viens, on va faire une balade. Je découvre parfois des trucs magnifiques à deux pas de chez moi. Par exemple, c’est superbe ici au mois d’avril, pendant la floraison. »
Si on me dit demain que je dois partir, et si personne ne vient me chercher, pas de souci, je ferai autre chose. » Wouter Vrancken
Pour lui, la vie d’entraîneur a commencé ici, au RDK Gravelo. Au plus bas échelon possible: la quatrième provinciale. Le club totalisait à tout casser 150 joueurs, un seul terrain pour les matches et deux pelouses pour l’entraînement, trois bornes plus loin. Dix spectateurs pour un match du RDK, c’était déjà beaucoup. Tout ça pour dire que ce n’était pas le décor rêvé pour un coach qui aurait eu l’envie et l’ambition de s’imposer chez les pros.
De toute façon, ce n’était pas ça, la feuille de route de Wouter Vrancken. Parce qu’il en avait marre du foot. En tout cas marre du milieu. Il continuait à adorer le jeu en lui-même mais tout ce qui tournait autour le gonflait méchamment. « Je voulais quitter ce monde hypocrite », nous balance l’homme.
Ce terme, il l’a lâché au moment où il a stoppé sa carrière de joueur. Un entraîneur l’a incité à s’épancher dans la presse, à confier publiquement ses états d’âme, à expliquer ce qu’il pensait vraiment de ce monde particulier. Le même coach lui a dit qu’il n’arriverait de toute façon pas à changer les choses. Ou alors, il fallait qu’il se lance lui-même dans le métier et le fasse à sa manière, en toute transparence, en étant extrêmement open. Ça n’a pas suffi pour qu’il se lance du jour au lendemain. Mais il a quand même fini par franchir le pas. À Gravelo pour commencer, donc. Puis à Thes Sport.
De 2010 à 2017, Wouter Vrancken a quitté le foot professionnel. Et il s’est investi sur le marché du travail. Il voulait connaître une vraie vie active. De peur de tomber dans un trou noir. Il est ainsi devenu représentant pour une marque d’articles de sport, il est brièvement passé par une banque, il a aussi été manager chez Nespresso.
Pas assez mûr
Pour occuper son temps libre, il entraînait. À un bas niveau. Il a conduit Gravelo à deux titres improbables. Il est alors passé à Thes Sport, ce qui lui a permis de retrouver les séries nationales. Dans ces deux clubs, il est toujours accueilli à bras ouverts aujourd’hui. On en a la preuve lors de ce reportage. Omer, 74 balais, et Tonny, 66 piges au compteur, ont fait le déplacement pour venir ouvrir la buvette. Ils sont comme des gosses quand ils voient Wouter Vrancken parquer sa Mercedes sur le parking. Ferre, le petit-fils de Tonny, repartira avec deux maillots dédicacés. Le coach de Malines semble un peu mal à l’aise face à tant d’admiration. Il a beau être un entraîneur apprécié en première division, il sait être à la fois très dur et très soft, mais impossible pour lui de dissimuler le gars modeste et presque timide qui sommeille en lui.
Retour à son parcours dans les séries provinciales. Il y a fait du bon boulot, et très vite, des clubs pros se sont intéressés à lui. Avec Lommel, il a joué le haut du tableau en D1 amateur. Mais il trouvait que ça allait trop vite. Subitement, il a quitté son poste. On a alors entendu diverses rumeurs. On a raconté qu’il avait des soucis cardiaques. On a dit qu’il avait reçu des propositions pour entraîner plus haut. Rien de tout ça, nous dit-il. « Quand un gars qui est dans la lumière prend une décision que personne d’autre n’aurait prise, les gens commencent à inventer toutes sortes d’histoires. Mais la situation était très simple. J’estimais que je n’étais pas encore assez mûr pour entraîner une équipe pro. Je voulais d’abord comprendre comment ça se passait dans les coulisses, je tenais à prendre de l’expérience avant de me lancer définitivement. » Il envisageait deux options. Soit devenir adjoint, soit côtoyer chaque semaine un entraîneur différent pour continuer son apprentissage. Quelques semaines plus tard, il a reçu une offre de Courtrai pour devenir T2. Il l’a acceptée. Et dès l’année suivante, il s’est retrouvé entraîneur principal à Malines. Aujourd’hui, quatre ans plus tard, il a déjà garni son CV avec une promotion en D1A et une Coupe de Belgique.
Après quatre ans à Malines, j’ai envie de sortir de ma zone de confort. » Wouter Vrancken
La vie est écrite
Tout roule donc pour Wouter Vrancken. Sans qu’il ne cherche jamais à brusquer les événements. Simplement, chaque fois qu’un train est passé, il l’a pris. « C’est parfois inattendu. J’aime bien cet aspect du foot. » L’homme n’a pas de plan de carrière, il n’envisage rien de précis pour la suite, il reste simplement ouvert à tout. Ça fait de lui un gars à part dans un milieu où on a l’habitude de viser les certitudes, où il n’est pas rare qu’on marche sur des cadavres pour atteindre son but.
Lui, donc, ne mange pas de ce pain-là. Jos Beckx, l’ancien entraîneur de gardiens, lui a dit un jour: « Des comme toi, je n’en ai pas croisé beaucoup. Toi, tu n’as pas peur du tout de disparaître du paysage. » Vrancken confirme sur toute la ligne: « Si on me dit demain que je dois partir, et si personne ne vient me chercher, pas de souci, je ferai autre chose. Je m’implique à 200% pour que ça fonctionne, et si on estime que ce n’est pas suffisant, pas de problème, je m’inclinerai. Je veux toujours gagner mais ce n’est qu’une pression à court terme. À long terme, je suis quelqu’un de très tranquille. Si tu as vraiment envie de bosser, tu trouveras toujours quelque chose. Et pour moi, ça ne doit pas nécessairement être dans le monde du foot. »
Cette façon de considérer son boulot le pousse parfois à poser des choix étonnants, comme quand il a quitté son poste à Lommel. « Pour la majorité, un entraîneur qui fait des bons résultats passe ensuite dans une meilleure équipe. Ça pourrait être mon cas aussi. Mais il n’y a rien de sûr. La prochaine étape, pour moi, ça pourrait être quelque chose de complètement différent. Je n’exclus rien, ça peut partir dans tous les sens. Simplement, après quatre ans à Malines, j’ai envie de sortir de ma zone de confort. Il est fort possible qu’on ne comprenne pas bien le choix que je ferai. »
Il n’a rien en tête pour le moment. Simplement, il sait que son histoire malinoise pourrait se terminer prochainement. Il part du principe que la vie lui offrira ce qu’elle a à lui offrir. « Je pense que tout est écrit à l’avance mais je n’ai aucune idée de mon futur. J’ai pleine confiance en l’avenir et ça me rend serein. Je verrai bien ce qu’on me proposera, et au moment venu, j’y réfléchirai. »
Traumatisme familial
La différence est saisissante avec le jeune Wouter Vrancken qui était un gars peu sûr de lui. « Je n’avais rien de bien spécial. J’étais un suiveur, je laissais les autres prendre les initiatives. Par contre, je proposais moi-même qu’on fasse des activités. Et tout était bon, en fonction de ce que mes copains avaient envie de faire. Du foot, du vélo, du tennis ou d’autres activités en extérieur. »
Wouter et sa petite soeur Miet ont grandi dans un village, Rijkel, à deux pas de Saint-Trond. « Miet et moi, on n’a jamais fait qu’un. Quand elle a mal quelque part, je le ressens. Même chose pour elle. On est sortis du même nid, on a un lien que je ne saurais pas décrire par des mots. Quoi qu’il lui arrive, je serai toujours là pour elle. Et elle sera toujours à mes côtés si j’ai besoin de quelque chose. »
Il décrit son enfance à Rijkel comme celle d’un gamin ordinaire. Ses parents bossaient dur pour ramener de l’argent à la maison. Sa mère travaillait à l’urbanisme, son père a longtemps été représentant et chauffeur routier. « Une jeunesse très banale. Chaque année, on partait en Espagne en voiture, et surtout, il y avait beaucoup de football dans ma vie. Les amis de mes parents étaient surtout des parents de coéquipiers. »
Le petit Wouter n’avait pas d’envies d’ailleurs. Il passait la plus grande partie de son temps avec ses potes au village. « Ça me convenait parfaitement, j’étais très bien où j’étais. »
Une question d’éducation, aussi. La sécurité, la famille, deux valeurs essentielles dans son cocon. « On n’était pas du genre à prendre beaucoup de risques. En général, cette envie de sécurité, ça vient d’une expérience négative. » Ses grands-parents étaient à la tête d’une entreprise qui s’est effondrée. Les conséquences financières ont été terribles. Ils ont dû se battre pour pouvoir conserver leur maison. Ils y sont finalement parvenus. « Ils ont transmis leur expérience à leurs enfants et petits-enfants. Ils nous disaient par exemple: Faites attention à ce que vous faites avec votre argent, sinon… Pour eux, cette histoire a été un vrai traumatisme. Qui s’est transmis aux générations suivantes. »
Le coach de Malines a finalement réussi à sortir de cet état d’esprit, quand il est devenu footballeur pro et a découvert d’autres horizons. « J’aurais peut-être dû évoluer plus tôt dans ma façon de penser mais bon, je me dis que tout ce que j’ai vécu dans ma jeunesse a été une bonne chose. C’est bien aussi d’avoir trouvé moi-même ma voie. J’ai découvert la vie en commençant à investir, avec des risques calculés. Au lieu de continuer à miser à fond sur la sécurité, au lieu de ne rien vouloir changer. »
La peur de ne pas être capable
Le football lui a permis d’évoluer. Le petit Wouter timide est devenu un gars sûr de lui qui n’hésitait pas à remettre des gens à leur place quand il relevait des injustices. « Quand tu sais que tu fais bien les choses, tu prends confiance. Je peux remercier le foot pour ça. Si je n’avais pas pratiqué ce sport, je serais aujourd’hui beaucoup moins sûr de moi. Parfois, je regarde en arrière et je me demande encore pourquoi je doutais autant. J’aurais peut-être pu aller plus haut, dans les études notamment. Mais il y avait constamment, en moi, cette crainte de ne pas être capable. »
Il reconnaît qu’il ne déborde toujours pas d’aplomb dans la vie de tous les jours, dans son boulot. « Je continue à douter, mais j’arrive mieux à le dissimuler. Mes expériences positives m’ont permis de croire en mes capacités. »
À l’entendre, une confiance en soi innée n’est pas un avantage. Dans chaque force, il y a une faiblesse. Et lui, de sa faiblesse, il a fait une force. « Si tu es toujours très sûr de toi, tu ne réfléchis plus. Moi, je me remets continuellement en question, et comme j’analyse tout, mon argumentation est mieux construite. La confiance que j’acquiers, je parviens à la transmettre autour de moi. En conclusion, la partie de moi qui manque de confiance, je la vois comme un atout. »
Son épouse, Karen, joue un rôle clé dans son développement personnel. « C’est une femme spirituelle. Elle travaille dans le secteur de la beauté, elle croit au holisme et fait du reiki. » Pour faire simple, le holisme est « une doctrine qui considère les objets et les concepts comme appartenant à un tout » tandis que le reiki est « une approche complémentaire à la médecine classique qui aiderait à combattre le stress, la fatigue, les troubles du sommeil, la dépression. » Le couple a trois enfants: Anouck (17 ans), Manou (quinze) et Jesse (huit). « Ils sont super importants pour moi, ma famille passe bien avant ma carrière. »
Ma soeur et moi, on a un lien que je ne saurais même pas décrire par des mots. » Wouter Vrancken
Wouter et Karen sont ensemble depuis 2000. L’année précédente, elle avait été élue Miss STVV. Ça fait toujours rire le coach, qui signale qu’il ne l’a pas choisie pour cette écharpe locale. Il la connaissait déjà avant, via le frère de Karen, qu’il a entraîné en équipes de jeunes à Alost. « On ne peut pas comparer la relation qu’on a aujourd’hui avec celle qu’on avait il y a vingt ans, ou même il y a dix ans. C’est le cas pour tous les couples, je pense. On évolue, chacun de son côté, et ça permet de se rapprocher. Au début, tu es amoureux et tout est rose. Après, on apprend à se connaître, à voir l’autre comme il est vraiment, à comprendre de quoi il a besoin. »
Grâce à des cours de communication et de développement personnel qu’ils ont suivis ensemble, ils ont appris à mieux gérer les hauts et les bas. « Il faut bosser pour entretenir une bonne relation. C’est dur. La communication est hyper importante. À partir du moment où on ne se parle plus, où chacun commence à faire sa petite popote, on s’éloigne. C’est comme ça pour tout dans la vie. Je veux de l’ouverture, de la transparence. »
S’il devait refaire sa vie, Wouter Vrancken s’orienterait vers des études de psychologie et de développement personnel. On n’est pas loin de la spiritualité. Mais, si son épouse explique les événements de la vie sous un angle spirituel, lui a plus une analyse matérielle. « C’est aussi parce que je suis dans le monde du football. Dans ce milieu, la spiritualité est un sujet tabou et je ne me vois pas l’introduire dans mon travail au quotidien. Le fait que ma femme appréhende les choses d’une façon non matérielle, ça me stimule. Ça me force à réfléchir et ça influence mon propre développement, la façon dont je travaille avec mes joueurs, mon staff et les autres personnes dans le club. » Et il n’oubliera jamais le conseil d’un ancien entraîneur: si tu veux changer quelque chose, c’est à toi de faire les choses autrement.
« En étant toi-même, tu te fragilises »
À la fin de sa carrière de joueur, Wouter Vrancken en avait ras-la-casquette. Il ne supportait plus l’hypocrisie qui régnait dans le milieu et il voulait faire autre chose. De retour entre-temps dans le même milieu, il a compris qu’il devait s’y prendre à sa façon pour tenir le coup. Plus facile à dire qu’à faire, surtout pour un gars qui n’était pas sûr de lui dans ses jeunes années. « C’est aussi à cause de ça que j’en ai eu assez. Une fois que je n’ai plus souffert de ça, j’ai vu les mêmes symptômes chez des jeunes que j’entraînais. Je ne supportais plus l’injustice. Je ne supportais plus qu’on ne me dise pas franchement pourquoi je ne jouais pas ou pourquoi je devais partir. Que des gens se déchargent de leurs responsabilités ou parlent en mon nom. C’est toujours comme ça aujourd’hui. Dans la vie de tous les jours et certainement dans le milieu du foot. Pour moi, des situations pareilles n’étaient plus tenables. »
Comme entraîneur, il s’adapte. Il a su le faire parce que ce job lui permet d’avoir une plus grande influence sur le fonctionnement d’une équipe. Et il met en permanence deux valeurs en avant: l’honnêteté et la clarté. « Je m’adresse à tout le monde de la même façon. Mais quand des choses que je veux changer ne changent pas, je peux être très direct. »
Il constate les effets positifs de son authenticité et ça l’encourage à aller encore plus loin. « Je n’ai pas la prétention de croire que je peux changer ce milieu mais c’est chouette de voir qu’en restant moi-même, je réussis à tenir le coup. Être quelqu’un de vrai dans ce monde, c’est donc possible. Je me dévoile beaucoup, j’en dis beaucoup sur ma vie privée. Quelque part, je m’expose, je me rends vulnérable. Mais ça ne m’a jamais valu de mauvaises surprises. Au contraire. Je remarque que les joueurs apprécient ma façon de faire et qu’ils se donnent encore plus. »
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