Le jeu de Felice Mazzù est-il compatible avec Anderlecht?
Le coach de la meilleure défense du Royaume s’installe sur le banc de touche d’un club qui aime mettre son football léché en avant. Une histoire de médicament, d’étiquettes et de surprenants points communs.
Dans l’imaginaire des enfants de Neerpede, le spectacle est dans les passes. Elles sont autant l’étalage de la maîtrise technique que la preuve de la domination. Vincent Kompany n’a jamais caché l’influence de Pep Guardiola, son coach trois saisons durant en Angleterre, sur ses idées de jeu. Et donc, par extension, sur le football désormais prôné par Anderlecht. « Le club aura une identité », promettait ainsi l’ancien capitaine des Diables lors de son intronisation officielle, après le divorce avec Frankie Vercauteren. « Le prochain coach ne doit pas venir jouer défensivement, en 5-3-2, avec de longs ballons. »
Avec le recul, la sentence prête forcément à sourire. Parce que personne n’a encaissé moins de buts que l’Union cette saison et qu’Anthony Moris conclut l’exercice avec une facture de 45% de passes longues (contre 22% pour Hendrik Van Crombrugge). Il n’en faut pas beaucoup plus pour faire de Felice Mazzù l’anti-héros symboliquement défini par Vince The Prince au milieu de ses premiers mots comme entraîneur du Sporting bruxellois. D’autant plus que, de ses années zébrées, le Carolo traine déjà une encombrante, voire stigmatisante étiquette de « coach défensif », reproche déjà adressé par ses détracteurs lors de son arrivée à Genk.
Sur chaque attaque, il y a quatre ou cinq joueurs dans le rectangle
Felice Mazzù
Les mots quittent le fond de la gorge sans emporter avec eux le tapis d’amertume. En poste depuis quelques semaines dans le Limbourg, Felice Mazzù s’est alors installé sur le banc des champions de Belgique avec la réputation d’entraîneur à rétroviseurs. « Je sais que durant ma période à Charleroi, on a constamment analysé mon football comme un football défensif », concède un coach qu’on croirait alors sur le banc des accusés. Un verdict visiblement pas partagé par les décideurs limbourgeois: « Dimitri De Conde a été le premier à me dire qu’il estimait que mon football n’était pas spécialement défensif parce que sur chaque attaque, il y a quatre ou cinq joueurs dans le rectangle. »
Les étiquettes ont la vie dure. L’Union de Felice Mazzù peut bien conclure sa saison avec 83 buts marqués, s’installant ainsi dans le club très restreint des équipes qui bouclent leur exercice belge au-delà des deux buts par match, le coach sambrien reste néanmoins essentiellement jugé en brandissant une possession de balle moyenne de 46,7%, témoin considéré incontestable d’une vie plus confortable à l’écart du ballon. Sous les yeux mauves, en quatre confrontations, les hommes de Mazzù n’ont tenté que 1305 passes en 360 minutes de jeu cette saison. Plus de mille de moins que ceux de Kompany (2389), symbole d’un retour du style maison sur la pelouse du Lotto Park. Tant pis si le score final de la quadruple confrontation est un cinglant 9-2 en faveur des Saint-Gillois. Le nouvel Anderlecht semblait se targuer de ne pas négocier avec le style, mais vient de poser le débat du fonds de jeu sur la place publique.
Avec 12,28 tirs par match, les Unionistes sont bien au-delà des chiffres du Charleroi de 2017-2018, le meilleur de Mazzù.
Plutôt que dans la passe, le spectacle du jeu unioniste de Felice Mazzù est plutôt dans l’espace. Le Parc Duden est le repaire des courses diagonales les plus tranchantes du Royaume. Teddy Teuma semble être une réincarnation gauchère du Ruud Vormer des plus grandes heures, et Dante Vanzeir dévore la profondeur à l’opposé du ballon. Les Saint-Gillois sont une redoutable machine à créer des brèches et des opportunités. Avec 12,28 tirs par match, ils sont bien au-delà des chiffres du Charleroi de 2017-2018, le meilleur de Mazzù (9,64 tirs/match). Ces Zèbres-là jouaient douze ballons par match dans la surface adverse, les Unionistes ont dépassé les vingt. Le football de Mazzù s’est modernisé et complété, portant son rendement offensif à la hauteur de ses fondations défensives. Au point d’être désormais prêt à greffer ses idées à la philosophie du club le plus titré du pays?
Du côté d’Anderlecht, on semble voir le Coach de l’Année comme un médicament pour les maux mauves. Peter Verbeke le présente comme mettant l’accent sur « le pressing agressif et la transition offensive », parlant d’ajouter « une nouvelle dimension » au jeu bruxellois. À y regarder de plus près, les chiffres anderlechtois en la matière ne sont pourtant pas si inférieurs à ceux de l’Union. Si les Saint-Gillois ont semblé brillants sur les reconversions rapides cette saison, ils n’ont marqué qu’un but de plus que les Mauves suite à une contre-attaque (dix pour l’Union, neuf pour Anderlecht). Quant aux chiffres de pressing haut, mesurés par le PPDA (passes autorisées par action défensive dans le camp adverse), ils sont semblables et placent les deux clubs bruxellois en milieu de tableau, loin des références nationales que sont le Cercle ou Malines. On n’a pas le même ballon, mais on a les mêmes transitions.
Reste qu’au-delà de ces résultats qui ont gonflé ses certitudes, Felice Mazzù n’en a pas moins grandi comme un caméléon. Capable d’adapter son système de jeu à son noyau, même s’il n’a jamais caché sa préférence pour les vrais duos d’attaquants et surtout le 4-4-2, le Sambrien devra réussir une nouvelle métamorphose s’il veut conquérir les tribunes mauves et un vestiaire qui sera peuplé de profils techniques plutôt que de coursiers revanchards. Probablement épaulé par un Samba Diawara qu’il a connu à Charleroi et qui aime surtout travailler avec les jeunes, Mazzù devra aussi battre en brèche sa réputation de coach qui ne compte pas sur les jeunes joueurs. Un défi supplémentaire qui ressemble à un plongeon dans une marmite au bord de l’ébullition. Mais après tout, ne dit-on pas que c’est en l’immergeant dans l’eau chaude qu’on a le plus de chances de décoller une étiquette?
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