Le discret Hugo Lloris est-il le meilleur gardien de l’histoire de l’équipe de France ?
A 36 ans, le Niçois a préféré confier ses gants bleus à la nouvelle génération avant qu’il ne dépasse la date de péremption. Discret, il a choisi, involontairement ou non, le jour de la polémique des propos de Noël Le Graët sur Zinédine Zidane, pour faire ses adieux à la maison bleue. Joueur le plus capé de l’équipe de France, est-il pour autant le meilleur dernier rempart de l’histoire de l’Hexagone ?
« Je préfère sortir en étant au plus haut ». C’est par cette phrase qu’Hugo Lloris a annoncé sa retraite internationale ce lundi. Le gardien niçois avait choisi le quotidien français L’Equipe pour rendre publique sa décision. Les journalistes s’étaient rendus à Hampstead, un quartier au nord de Londres, quelques heures plus tôt, pour parler avec celui qui a défendu les couleurs des Bleus à 145 reprises. Invité aussi au journal de TF1, Lloris s’est confié comme jamais dans sa carrière. Du départ de Karim Benzema avant le coup d’envoi du Mondial à la finale de cette dernière, il n’a pas oublié de glisser son petit mot sur la polémique qui agitait l’Hexagone depuis la veille, à savoir les propos déplacés (ou injurieux) de Noël Le Graët envers Zinédine Zidane. Un joueur avec lequel il n’aura jamais évolué puisque ses premières apparitions en équipe de France sont arrivées après la retraite, sur un coup de tête dira-t-on ironiquement, de la légende hexagonale. C’est en effet le 19 novembre 2008 que Raymond Domenech le titularise pour la première fois en équipe de France, à l’occasion d’une joute amicale contre l’Uruguay qui se terminera avec une première clean-sheet. Il aurait déjà pu faire partie des trois gardiens repris pour l’Euro 2008 s’il ne s’était pas fracturé la main lors d’un match entre Nice et son futur employeur lyonnais
Après s’être vu confier le brassard au lendemain du fiasco des Bleus en Afrique du Sud, Hugo Lloris est devenu le deuxième capitaine de l’équipe de France à soulever la Coupe du monde, 20 ans après Laurent Blanc. Malgré la longévité de son parcours, le Niçois n’a jamais semblé faire l’unanimité, alors qu’il a pourtant sorti des arrêts déterminants lors des parcours mondiaux de 2018 et 2022. La faute à une personnalité peu expansive ou à une inefficacité particulièrement marquée sur les pénalties ? Rarement souverain sur les ballons aériens dans sa surface, malgré dix ans entre les perches de Tottenham et de Premier League où il faut savoir s’imposer plus que partout ailleurs, Lloris laisse à chaque fois un goût de trop peu. A l’image de ses quelques boulettes qui laissent l’impression qu’il a tout le poids du monde sur ses épaules, alors qu’un Manuel Neuer, pourtant souvent gaffeur au cours de sa carrière, a toujours dégagé l’image d’un homme solide, sûr de lui et décisif.
Malgré un beau parcours en club commencé à l’OGC de son Nice natal, poursuivi ensuite à l’Olympique Lyonnais, quand ce dernier comptait encore sur la scène nationale française et un exil de l’autre côté de la Manche où il aura fini par s’imposer entre les perches de Tottenham, Lloris a toujours été considéré comme un excellent gardien mais sans plus. Chez les Spurs, il est même barré dans un premier temps par le vétéran américain Brad Friedel plus rompu aux combats du championnat anglais. Le Français apparaît parfois trop court et semble manquer de caractère. Alors qu’au final, tant à Londres que sous le maillot bleu, il répondra souvent présent dans les môments décisifs.
Plutôt entre le top 5 et top 10 mondial
Alors que la France compte plusieurs stars mondiales dans son noyau, Hugo Lloris n’a probablement jamais émergé dans le top 5 des meilleurs derniers remparts de la planète. A chaque fois, les noms de plusieurs gardiens se dégageaient avant le sien au moment d’établir la hiérarchie mondiale : Gianluigi Buffon, Iker Casillas, Manuel Neuer, Thibaut Courtois, Jan Oblak, Gianluigi Donnarumma, Petr Cech, Alisson Becker, Ederson, Marc-André ter Stegen pour n’en citer que quelques uns à travers les quinze années de carrière de l’Azuréen. Objectivement, il est vrai qu’Hugo Lloris n’a probablement jamais eu l’étoffe des tous meilleurs à son poste. Mais il a probablement toujours figuré entre la 6e et 10e place pendant toutes ces années, là où certains ont parfois connu des montagnes russes au cours de leur carrière.
Régularité, longévité et discrétion, tels sont ses mots d’ordre. Alors que ses chiffres vertigineux entre les perches de l’équipe de France devraient faire l’unanimité, Lloris n’est pas non plus considéré comme le meilleur de l’histoire de son pays. Certains estiment d’ailleurs qu’en rangeant les gants, la France s’en portera mieux et qu’un Mike Maignan, qui défend les cages de l’AC Milan, lui est déjà supérieur en tous points.
Pourtant, sous le maillot tricolore, le jeune retraité international détient neuf records. Il est évidemment le joueur le plus capé de la sélection avec 145 apparitions et a donc détrôné Lilian Thuram qui détenait le record jusque là avec 142 caps. Le gardien niçois s’est aussi rapidement vu confier le brassard de capitaine. Il n’avait que 23 ans, 10 mois et 22 jours lorsqu’il l’a porté la première fois, devenant ainsi le plus jeune capitaine de l’histoire des Bleus. En 2016, lors d’un 1/8e de finale victorieux contre l’Irlande, Hugo Lloris avait battu le record de matches disputés avec le brassard de capitaine de son sélectionneur Didier Deschamps. Ce dernier l’avait porté 54 fois alors que le gardien l’a cédé avec 121 capitanats à son actif. Si Kylian Mbappé devait le récupérer comme beaucoup d’observateurs l’estiment, il le portera en étant plus âgé qu’Hugo Lloris la première fois.
Record de clean-sheet et homme des tournois majeurs
Lloris aura été repêcher 124 fois le ballon au fond de ses filets et aura préservé ses filets inviolés à 63 reprises. Il n’aura donc encaissé en moyenne que 0,85 but par match lorsqu’il défendait les couleurs nationales. C’est moins bien que Fabien Barthez qui n’en prenait que 0,57 par duel sous le maillot français. Si Lloris détient aussi le record de clean-sheet, il a cependant gardé moins souvent le zéro derrière que le divin chauve. Le gardien des héros du Mondial de 1998 a préservé ses filets vierges à 51 reprises en 87 rencontres. Soit 59% du temps pour seulement 43% à Lloris.
Souvent décrié pour certaines erreurs, le gardien de Tottenham était souvent cité comme l’un des points faibles des Bleus au moment d’établir les pronostics sur le parcours de la France dans les différents tournois internationaux majeurs qu’elle a disputés. Emiliano Martinez a encore prouvé cette année qu’il ne fallait pas nécessairement être un gardien exceptionnel dans un club de haut rang pour devenir champion du monde.
Il n’empêche, difficile de reprocher quoique ce soit à Hugo Lloris lors des grandes compétitions pendant lesquelles il a défendu les cages de l’équipe de France. On aurait même plutôt l’impression qu’il avait cette faculté à élever son niveau de jeu et à sortir des arrêts qu’il n’aurait pas toujours été capable d’effectuer en club ou dans un contexte avec une pression moindre.
Lloris est d’ailleurs le joueur français le plus capé dans les tournois majeurs, avec 35 duels disputés. En Coupe du Monde, il devance son désormais ex-coéquipier Antoine Griezmann. Ce dernier, s’il devait encore être de la partie en 2026 (ce qui ne sera pas évident vu qu’il aura 35 printemps à ce moment), pourrait chiper le record puisqu’il n’a joué qu’une rencontre de moins que son désormais ancien gardien chez les Bleus. (19 contre 20). Hugo Lloris partage avec Thierry Henry le record du plus grand nombre d’éditions du Mondial disputées, soit quatre. Au niveau de l’Euro, le gardien niçois doit se contenter de la deuxième place. Lilian Thuram y a disputé 16 rencontres pour 15 à un Lloris, qui forcément ne battra pas ce record.
À l’échelle mondiale, le portier formé à Nice est celui qui a pris part au plus grand nombre de rencontres de Coupe du Monde (20). Il devance les Allemands Manuel Neuer (19) et Sepp Maier (18). Le Brésilien Claudio Taffarel a aussi disputé 18 duels dans le tournoi mondial. Hugo Lloris est aussi le Français qui a remporté le plus de matches dans des tournois internationaux majeurs (21).
Le meilleur gardien français de l’histoire ?
Muet jusqu’à hier sur la polémique Zidane, Didier Deschamps est rapidement intervenu dès qu’il a fallu revenir sur le parcours en bleu de son désormais ancien capitaine.
« Hugo a décidé de se retirer alors qu’il est encore au sommet de son art. Il m’a fait part de sa réflexion et sa décision il y a quelques jours. Je dois, nous devons, la respecter même s’il avait encore toute sa place dans notre équipe, comme il l’a démontré lors de la dernière Coupe du monde, à Doha », a estimé le sélectionneur désormais prolongé jusqu’en 2026, malgré les derniers jours qui ont secoué la Fédération Française de Football. « Au-delà de tous les records que son talent et son professionnalisme lui ont permis de battre, au-delà du rôle essentiel qui a été le sien dans nos plus belles conquêtes, la Coupe du monde 2018, la Ligue des nations 2021, dans nos plus beaux parcours, la finale de l’Euro 2016 et celle de la Coupe du monde 2022. Hugo est une personne remarquable sur le plan humain. Il était capitaine quand je suis devenu sélectionneur en 2012, je lui ai maintenu le brassard et je n’ai jamais eu à le regretter, bien au contraire », a conclu DD.
Mais est-ce pour autant une raison de le consacrer meilleur dernier rempart de l’histoire de l’équipe de France ? L’Hexagone se montre bien plus divisé sur la question. Evidemment le nom de Fabien Barthez revient sur toutes les lèvres. On l’a dit plus haut, le divin chauve est celui qui a le plus souvent préservé ses filets inviolés sous le maillot bleu. Il est aussi le dernier gardien français à avoir arrêté un tir au but en Coupe du monde, lors du quart de finale de 1998 contre l’Italie (devant Demetrio Albertini), même si certains se souviendront aussi qu’il n’avait jamais été en mesure de contrarier les tireurs transalpins huit ans plus tard, lors de la finale du Mondial perdue à Berlin.
Hugo Lloris n’a jamais spécialement brillé dans l’exercice. Il n’hésite d’ailleurs même plus à se vanner sur le sujet. Il n’était déjà pas spécialement préparé aux tirs au but par un Didier Deschamps qui estimait que ça n’en valait pas la peine. Mais si certains gardiens peu habiles sur les pénalties se sont améliorés au fil de leur carrière, comme Gianluigi Buffon ou Thibaut Courtois, Lloris a toujours stagné. Tout juste a-t-il été capable d’immiscer le doute dans la tête de son coéquipier de club Harry Kane, lorsque celui-ci devait conclure une seconde fois aux onze mètres, dans le quart de finale de ce Mondial au Qatar face à l’Angleterre.
Au cours de sa carrière, en club, en sélection et toutes compétions confondues, Lloris n’a stoppé (ou le tireur a manqué) que 17 pénalties sur 112 auxquels il a dû faire face. Sergio Agüero s’est par exemple loupé face au Français à deux reprises, une fois en Premier League et une fois en Ligue des Champions. D’autres grands joueurs comme Cesc Fabregas, Gonzalo Higuain, Radamel Falcao ou Pierre-Emerick Aubameyang figurent dans la liste des malheureux qui ont échoué aux 11 mètres face à Hugo Lloris. On retiendra surtout que les tireurs ont converti 84,8% de leurs tentatives en moyenne.
A titre de comparaison, ils ne sont que 67,7% à avoir marqué dans cet exercice contre Gianluigi Buffon, 59,3% contre Alisson Becker, 66,6% contre Gianluigi Donnarumma, 71 % contre Manuel Neuer, 70,7% contre Jan Oblak, 71,4% contre Emiliano Martinez et 72,7% contre Keylor Navas. Seul notre Thibaut Courtois national approche du moins bon rendement de Lloris avec 52 tirs aux 11 mètres concédés sur 65 tentatives. Soit 80% en faveur du joueur prenant le pénalty. Même bilan ou presque pour Fabien Barthez qui se retournait 81% du temps lorsqu’il était confronté à un pénalty. Même un David De Gea, moqué aussi régulièrement pour son incapacité à être décisif face à des tireurs à onze mètres, fait mieux avec « seulement » 81,6% de pénalties encaissés.
Les journalistes et consultants de L’Equipe TV se sont prêtés au jeu en décidant si oui ou non Hugo Lloris était le meilleur gardien de l’histoire de l’équipe de France. Sur six invités, un seul a répondu que oui et un autre l’a classé ex-aequo avec Barthez. Si tous soulignent le parcours exceptionnel du Niçois chez les Bleus, ses records et sa longévité, il semble qu’il lui manque ce petit quelque chose pour s’imposer comme le meilleur des derniers remparts français.
Certains rappellent que Fabien Barthez avait pris la place entre les perches françaises d’un Bernard Lama, pourtant jugé indéboulonnable à l’époque. On estime aussi que la carrière en club du divin chauve fut plus réussie que celle de Lloris. Notamment avec la victoire en Ligue des Champions de l’OM en 1993, sous les ordres d’un Raymond Goethals qui en avait fait son numéro 1, alors qu’il était encore très jeune et qu’il avait encore quelques cheveux sur la tête. Barthez a aussi remporté l’Euro en 2000 alors que Lloris a dû se contenter de la finale en 2016. Le style spectaculaire de celui qui portait le numéro 16 en EDF a aussi marqué les esprits par rapport à la relative sobriété de Lloris.
Jérôme Alonzo, dont la carrière fut surtout marquée par des passages au PSG et à Saint-Etienne, a connu Barthez lorsqu’il était encore jeune à Marseille avant de découvrir un Lloris qui débarquait en équipe première de l’OGC Nice. Il place les deux hommes sur un pied d’égalité. « Il y a un qui arrive, tu vas voir, c’est quelque chose de fou », lui avait-on dit, alors que l’ancien capitaine de la France n’évoluait encore que chez les jeunes. « Je les trouve spectaculaire tous les deux mais la Coupe du monde 2018, c’est la masterclass de Lloris. Ce ne sont que des matches à un arrêt. Je sais que médiatiquement il faut faire quatre ou cinq arrêts pour qu’on parle de vous, mais les rencontres à un seul arrêt, décisif de surcroît, ce sont les plus belles », estime Alonzo. « Barthez ce sont des images qui restent dans les mémoires comme le bisou de Laurent Blanc sur son crâne avant les matches, la photo de sa sortie devant Ronaldo en finale en 1998. C’est aussi notre première victoire en Coupe du monde. Barthez a inspiré une génération incroyable de gardien. C’est l’un des précursseurs du jeu au pied, avec notamment son drop de relance », poursuit Jérôme Alonzo, qui s’estime privilégié d’avoir connu les deux.
Swann Borsellino, consultant pour la RTBF lors du dernier Mondial, estime que Lloris a fait le bon choix en s’arrêtant au top et que c’est à l’image du garçon intelligent qu’il est. « Il pense que ça pousse derrière avec un gardien extraordinaire comme Maignan. C’est mieux de décider de l’heure de son départ que d’être poussé vers la sortie », estime-t-il. « Ce qui est injuste pour Lloris c’est que le charisme et la personnalité ressortent plus et marquent plus les esprits qu’un garçon sage. Lloris, c’est un joueur qui a une histoire sans histoire par rapport à un Barthez qui a une histoire avec un peu plus de piment », conclut le chroniqueur.
L’avenir de la protection du temple bleu sera-t-il donc incarné par Mike Maignan comme beaucoup le pensent ? Quel est l’avis du tout jeune retraité à ce sujet ? « On sait que Maignan est destiné à prendre la suite. Je ne lui souhaite que du bien, à lui et aux autres gardiens qui vont apparaître. […] Il y a Mike, et d’autres qui méritent : Alphonse Areola est là, Steve Mandanda aussi, et d’autres, Alban Lafont, Illan Meslier, et plus tard, Lucas Chevalier, peut-être. Je suivrai ça de près et avec passion, parce que j’aime le poste, et parce que je veux que l’équipe de France reste au plus haut dans la hiérarchie mondiale, ce qui passe par des gardiens performants« , conclut Hugo Lloris.
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