Le cas Kaoru Mitoma : Pourquoi des joueurs japonais font-ils leur post formation dans une université ?

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C’est l’histoire à la mode du moment, le phénomène Kaoru Mitoma qui a soit disant «refusé un contrat pro pour faire une thèse sur le dribble». Cette formulation est un immense raccourci. La thèse de Mitoma est la finalité de son cursus universitaire. Mais pourquoi et comment faire ce cursus ?

Par Killian Besson, Rédacteur sportif pour pour les médias FausseTouche / BallonRond. Il est spécialiste du football asiatique et suit notamment le foot universitaire au Japon.

À 18 ans, un jeune joueur japonais talentueux, issu soit d’une académie d’un club, soit du club de football de son lycée, se voit offrir deux possibilités. Il peut signer dans un club professionnel, ou aller faire 4 ans de cursus dans une université au club réputé. Ces clubs réputés sont majoritairement situés dans le Kanto, et même dans la préfecture de Tokyo. On trouve quelques universités cotées ailleurs, notamment dans le Kansai et sur l’île de Kyushu.

On pourrait penser que beaucoup de joueurs préfèrent aller jouer directement en club, que faire le cursus fait perdre du temps. Or, c’est faux. La culture du foot universitaire est très ancrée au Japon. Et débuter sa carrière pro plus tard, c’est aussi la finir plus tard. On le voit avec le nombre de joueurs japonais qui jouent encore au football au-delà de 36 ans.

Pendant des années, les universités ont dominé le foot japonais. L’Université Keio est le club le plus titré de la Coupe du Japon avec 9 titres bien que cela soit contesté pour diverses raisons. Presque 50% des japonais de la J1 2022 sont passés par un club universitaire (pourcentage qui augmente en J2 et J3). Cela montre bien leur importance dans le football moderne japonais.

Les dribbles de Kaoru Mitoma mettent à rude épreuve les défenseurs de Premier League. (Photo by Mark Leech/Offside/Offside via Getty Images)

En terme d’organisation, le club de foot d’une université lambda ressemble à n’importe quel club sportif que l’on voit dans un manga school-life japonais, avec un professeur d’éducation sportive organisant un ou deux entraînements chaque semaine, et un match le week-end face à l’université voisine. Puis plus le club sera prestigieux, plus il sera équipé. On aura par exemple un entraîneur des gardiens et deux ou trois scouts. On pourra aussi trouver un petit staff médical.

Enfin dans les universités prestigieuses comme Tsukuba, où est passé Kaoru Mitoma, l’équipement est à un niveau bien supérieur. Plusieurs coachs pour chaque poste (d’autant que certaines universités ont plusieurs équipes de foot) souvent issus de clubs pros, un staff technique avec de l’analyse de datas et de vidéos, des nutritionistes et parfois même des interventions de joueurs professionnels. L’équipement y est réellement digne d’un club professionnel. Le staff technique de Tsukuba, le meilleur du Japon en analyse de datas, surpasse même la plupart des clubs professionnels japonais.

Du côté de l’Université de Tokyo, on développe des nouvelles techniques d’entraînement et des techniques pour tirer les coups de pied arrêtés, avec un staff technique de plusieurs dizaines de personnes (des étudiants en sciences surtout). C’est donc là tout l’intérêt de rejoindre un club universitaire. Contrairement à un club professionnel, qui vise avant tout les résultats, l’université va aider les joueurs à progresser (même si des résultats sont attendus bien sûr), avec des entraînements sur mesure, basés sur des observations et de l’analyse des datas.

C’est cela qui a permis à Kaoru Mitoma de polir son talent. En travaillant sur ses lacunes qu’il a pu connaître précisément, il a pu les gommer. Pour devenir le joueur exceptionnel que l’on connaît. Alors que vient faire là cette histoire de thèse sur le dribble ?

Car si l’on parle de football depuis tout à l’heure, le club reste avant tout rattaché à une université. La jeune pépite est là pour jouer, mais aussi pour étudier. À la fin du cursus de 4 ans, les étudiants japonais doivent alors présenter leur thèse, celle de Kaoru Mitoma étant sur le… dribble.

Ce diplôme est aussi une des raisons pour lesquelles ces joueurs rejoignent les universités. En cas d’échec dans le monde du football, il est capital d’envisager une après-carrière dans un autre domaine. Ce n’est pas un mythe, les diplômes sont importants au Japon. La reconversion est donc beaucoup plus simple quand on en a décroché un. En étant réaliste, moins de 20% des joueurs de Tsukuba ont eu ou feront une carrière importante dans le football. Certains, parce qu’ils n’ont pas le niveau, d’autres parce qu’ils n’ont plus l’envie.

Dans les grandes facs, il y a d’ailleurs plusieurs équipes, avec justement une certaine différenciation du niveau. Les meilleurs joueurs jouent en principe le championnat universitaire régional, qui est le plus relevé. Une équipe un peu moins talentueuse joue le championnat amateur régional ou préfectoral. Et les joueurs sont surtout là pour s’amuser et disputer quelques coupes sans grande valeur.

Maintenant que le mystère de la thèse de Mitoma est résolu, on pourrait se demander comment l’actuel joueur de Brighton a rejoint Tsukuba ? Et comment intègre-t-on un club de foot universitaire ?

Les clubs rayonnants comme Waseda, Tsukuba, Kokushikan, Toin Yokohama, Hosei, Meiji, Ryutsu Keizai ou encore Tokyo International sont issus des grandes universités privées du Kanto. Les frais de scolarité sont chers. On parle de 7000€ par an pour Meiji par exemple. Pour les intégrer, il faut donc une bourse accordée par l’université, qui envoie des scouts chez les U18 pour repérer des joueurs intéressants à faire signer. Avec ces bourses, les joueurs sont aussi souvent exemptés d’examen d’entrée car ils sont là avant tout pour le foot.

Junya Itô, que l’on a bien connu à Genk, est passé par l’université de Kanagawa. (Photo by Kaz Photography/Getty Images)

Ce système, aussi formidable soit-il, a créé une forme d’inégalité. Les scouts universitaires n’offrant des bourses qu’aux joueurs d’académies et de lycées prestigieux. Certains excellents jeunes évoluant dans des équipes plus modestes ou de province ne peuvent pas y accéder. Les entraîneurs de lycées peu cotés doivent souvent se battre pour permettre à leur joueur d’intégrer un club universitaire prestigieux.

Dans le cas de Mitoma, il évoluait à Kawasaki Frontale U18, l’un des meilleurs clubs U18 de Youth League à l’époque (Cette dernière n’existe plus en tant que telle). Les suiveurs des catégories jeunes connaissaient déjà son nom et Mitoma n’a évidemment eu aucun mal à obtenir sa bourse.

Ainsi,contrairement aux idées reçues, le joueur que l’on a connu à l’Union n’a pas stoppé sa carrière pour aller étudier. Il a, au contraire, été améliorer son football dans un endroit spécialisé, et moins médiatisé qu’un club pro. Rien ne dit qu’il n’aurait pas pu atteindre le même niveau en signant à Frontale dès ses 18 ans. Mais difficile de l’affirmer à 100%.

Il n’est en tout cas pas le seul à avoir effectué ce choix de carrière. Kyogo Furuhashi est passé par Chuo, Ayase Ueda, aujourd’hui au Cercle, par Hosei, Yuki Soma par Waseda et Junya Ito, l’ancien ailier du Racing Genk, par Kanagawa. Ce ne sont que des noms importants pour l’avenir du football japonais. Et contrairement au foot de lycée qui est en lent déclin à cause du développement des académies, le foot universitaire, lui, redore son blason. Et la réussite de Kaoru Mitoma en Premier League en est un contributeur important.

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