L’année où la comète Victor Osimhen a survolé Charleroi
Quatre ans avant de ramener le titre de champion d’Italie à Naples, Victor Osimhen a fait un passage éclair par la Belgique. Souvenirs d’un phénomène.
Personne ne parle de lui, ou presque. Les projecteurs sont sur Adama Niane, un titre de meilleur buteur de D2 française sur le CV et le statut médiatique de remplaçant de Kaveh Rezaei. Le buteur iranien, révélation de la saison précédente, a signé à Bruges et s’apprête à se noyer dans les eaux troubles de la Venise du Nord. Pour le faire oublier, en plus de Niane, le Sporting de Charleroi attire un jeune attaquant nigérian entouré de doutes: Victor Osimhen. Sous contrat avec les Allemands de Wolfsburg, il vient d’être refoulé par Zulte Waregem et le FC Bruges après un verdict médical négatif.
Coach historique du modeste club ouest-flandrien, Francky Dury se souvient avec précision: «Osimhen m’avait été conseillé par un agent que je connais bien, Didier Frenay. Il m’avait envoyé des images et c’était assez impressionnant pour un jeune de 19 ans. Je suis tombé directement fou de lui.» L’agent organise alors un rendez-vous entre son poulain et l’ex-coach de Zulte dans un hôtel de Waregem.
Victor Osimhen passe le «screening médical» et les médecins du «Essevee» distribuent les feux rouges: un problème au genou, une contamination à la malaria et une récente opération à l’épaule qui l’a éloigné des terrains depuis près de quatre mois, avec pour conséquence des tests physiques désastreux. Malgré l’avis négatif, Francky Dury insiste: «J’ai dit que je voulais le prendre malgré tout. Il fallait regarder plus loin que ses derniers pépins physiques. Ils pouvaient se régler à la reprise de la compétition puisqu’il était encore jeune.» Une grande discussion dans les couloirs de l’Elindus Arena ne changera pas le verdict. Dury est seul face aux dirigeants, au staff médical, au staff physique et même au scouting, pas convaincu de l’adaptation européenne d’Osimhen vu ses prestations sous le maillot de Wolfsburg.
On lui mettait des ballons en profondeur et à chaque fois, il bouffait son défenseur.
Le récit est teinté de regrets. «C’était une affaire en or, reprend Francky Dury. Le prêt avec option d’achat de 3,5 millions d’euros limitait le risque d’échec. J’étais persuadé qu’on avait fait une grande erreur. Tout comme Bruges, qui ne l’a pas pris, par la suite, pour les mêmes raisons.» Un verdict qui avait renforcé la conviction waregemoise d’avoir fait le bon choix.
L’œuvre au Pays Noir
Didier Frenay continue malgré tout son tour de Belgique. Il aboutit à Charleroi et convainc le boss du Sporting, Mehdi Bayat, de signer son poulain sans passer par des tests physiques qui seraient de toute façon négatifs. Arrivé comme un pari pour l’avenir, Victor Osimhen se conjugue immédiatement au présent. Un exercice de passes anodin, dès le premier entraînement, suffit à l’entraîneur Felice Mazzù pour saisir l’ampleur du phénomène. Il n’est pas le seul. «Il n’avait pas encore signé à ce moment-là, se souvient le gardien Nicolas Penneteau, ancien cadre du vestiaire carolo aujourd’hui à Reims. On s’est croisés du regard avec le coach, en se disant qu’il fallait le prendre le plus vite possible.»
Le staff carolo se frotte les mains. Le reste de l’entraînement du Nigérian devient une attraction. Rapidement, les adjoints de Felice Mazzù comprennent qu’ils ont affaire à un crack. Si son adaptation est évaluée à trois semaines, Victor Osimhen marque déjà d’une talonnade spectaculaire lors de sa première titularisation contre Waasland-Beveren. Les buts s’enchaînent, dont un doublé décisif dans les derniers instants d’un match contre le Zulte Waregem de Francky Dury, forcément désabusé. Le Nigérian savoure sa revanche sur un club qui n’a pas cru en lui. Son enfance difficile dans la banlieue de Lagos lui sert de carburant. «Plus tu marques des buts, plus ta vie s’améliore», résume-t-il, cette année-là, dans une interview accordée à Sport/Foot Magazine.
En plus d’améliorer son existence, Victor Osimhen égaie celle de Cristian Benavente, ancien du centre de formation du Real Madrid devenu maître à jouer de Charleroi. Le Péruvien s’amuse aux côtés de Victor, qui lui offre des espaces, des passes décisives et, indirectement, un juteux transfert vers l’Egypte et le Pyramids FC dès le mois de janvier. La fin d’une entente parfaite que Benavente conclut par des éloges: «Victor a un vrai sens du but. Il sait faire la différence, il va vite. De la tête, c’est un animal. Je pense qu’il marquera beaucoup de buts.» Trop pour le nouveau venu Adama Niane ou la vieille gloire locale Jérémy Perbet, tous deux relégués sur le banc par le phénomène nigérian.
Les statistiques donnent le sourire. Le vestiaire, aussi. Aux premières loges de l’éclosion de Victor Osimhen, l’adjoint Samba Diawara – aujourd’hui bras droit de l’entraîneur Will Still à Reims – se souvient avant tout de sa joie de vivre: «Il était vraiment jovial. Il est arrivé dans un groupe au top, avec des leaders comme Núrio Fortuna ou Marco Ilaimaharitra qui n’hésitaient pas à mettre l’ambiance, et il adorait ça.» Le contraste entre sa solitude dans la ville-usine de Wolfsburg et la chaleur familiale du vestiaire hainuyer explique en partie le décollage de la fusée.
La panoplie idéale d’un profil rare
Collectivement, pourtant, la saison 2018-2019 est loin d’être une réussite pour Charleroi. Felice Mazzù cherche longtemps son meilleur système mais ne fait briller que Victor Osimhen sans conserver sa réputation d’imperméabilité défensive. Les Zèbres se retrouvent à disputer les play-offs 2, marathon de matchs sous les radars pour espérer conquérir le dernier ticket européen. Eloigné de l’attention médiatique, le buteur nigérian explose définitivement. Nicolas Penneteau se souvient de cette équipe retournée aux fondamentaux avec une grosse assise défensive et entièrement vouée aux qualités de son buteur à l’autre bout du terrain: «On lui mettait des ballons en profondeur et à chaque fois, il bouffait son défenseur à la lutte. Il avait une agressivité naturelle dans les duels qui le rendait inarrêtable dans ces situations.»
Terriblement complet, Victor Osimhen possède un profil assez rare, avec une faculté à s’adapter rapidement au style de jeu de son équipe, pouvant être utile pour jouer en contre par ses appels dans l’espace et ses inspirations de joueur instinctif, mais également pour une équipe plus dominatrice par ses courses de pressing et son sens du but qui lui permet d’être toujours bien placé dans le rectangle adverse. Egalement très bon de la tête grâce à une fantastique détente et un timing optimal, l’attaquant se montrait aussi important sur les coups de pied arrêtés défensifs. «On avait l’une des équipes avec les joueurs les plus petits du championnat, reprend Nicolas Penneteau. Je le mettais en première zone pour qu’il prenne un max de ballons avec sa détente et je savais que je pouvais intervenir sur tout ce qui passait au-dessus de lui car cela voulait dire que le ballon était assez haut pour que je puisse sortir.» Simple et efficace.
Le Sporting de Charleroi se met à enchaîner les victoires. Un plaisir pour celui qui «avait énormément de mal à accepter une défaite, même aux entraînements», se rappelle Samba Diawara. Un caractère qui générait parfois de la frustration, brèche dans laquelle plusieurs adversaires aimaient tenter de s’engouffrer. En finale des play-offs 2 contre Courtrai, les Zèbres sont menés et doivent calmer leur buteur, sur le point d’en venir aux mains avec le défenseur Gary Kagelmacher qui n’hésite pas à le chambrer. La réponse d’Osimhen est cinglante. Un doublé et une qualification carolo pour le barrage européen contre l’Antwerp. Les deux buts racontent d’ailleurs parfaitement sa panoplie: une longue passe suivie par une course qui dépose le défenseur, puis une superbe reprise de volée sur corner qui frappe violemment la barre transversale avant de franchir la ligne du gardien Sébastien Bruzzese.
Depuis le banc de touche, Nicolas Penneteau n’est même pas surpris: «Il est tellement souple. Sa dextérité sur les centres est incroyable, ça le rend trop fort sur les reprises de volée. D’ailleurs, il aimait bien travailler ça après l’entraînement. Je restais avec lui pour le faire. Il a une force naturelle fantastique dans ses frappes de balle.»
Le nouveau Drogba?
«Ce sera difficile pour Charleroi de le garder en fin de saison», avait prophétisé Jérémy Perbet, concurrent chevronné qui connaît la loi des buteurs. Vingt buts en 36 matchs, la facture est colossale. Presque autant que celle que Mehdi Bayat, administrateur délégué des Zèbres, adressera à ses homologues lillois. Le Sporting paie 3,5 millions d’euros pour lever l’option d’achat, puis le transfert d’Osimhen vers le nord de la France se chiffrera à treize millions d’euros, en plus d’un copieux pourcentage à la revente négocié par un club carolo qui sait déjà que les Dogues ne seront qu’une étape. D’ailleurs, Victor Osimhen aurait déjà pu répondre à des appels du pied du grand Milan AC ou d’écuries du sub-top anglais, mais préfère l’étape intermédiaire de l’autre côté de la frontière.
«La Belgique était déjà trop petite pour Victor. Il ne lui fallait pas d’étape supplémentaire ici, il aurait perdu son temps, analyse Samba Diawara. Le truc, c’est que la France est rapidement devenue trop petite pour lui également.» Une saison suffit au buteur nigérian pour faire trembler les filets (18 buts marqués) et les grands championnats européens. La trajectoire fulgurante pousse Nicolas Penneteau à la comparaison majuscule: «Pour moi, c’est le futur Didier Drogba. Il lui ressemble sur beaucoup de points, il a le même style.»
La légende ivoirienne avait connu la France, mais pas l’Italie. Victor Osimhen, lui, s’est dirigé vers Naples, au bout d’un transfert controversé à septante millions d’euros, aujourd’hui sous l’œil de la justice italienne. Entre ennuis de santé, blessures à l’épaule puis à la tête et soucis personnels – plusieurs changements d’agent et des querelles familiales – la trajectoire exponentielle s’est quelque peu calmée, avant de repartir de plus belle cette saison. Sous les ordres de Luciano Spalletti, le Nigérian est devenu l’un des buteurs les plus redoutés d’Italie. Son absence lors du quart de finale aller de Ligue des Champions a peut-être coûté une campagne historique à ses couleurs, mais l’ancien Zèbre est revenu à temps pour permettre aux siens de brandir le Scudetto, titre de champion d’Italie qui échappait à Naples depuis 33 ans. A l’époque, le grand artisan du sacre des «Partenopei» était un certain Diego Armando Maradona.
Forcément, le mercato entoure son nom de superlatifs. Au rang des rumeurs, en plus des puissants PSG ou Bayern Munich, la Premier League qui a consacré Didier Drogba vient déjà aux nouvelles. Une façon pour Victor Osimhen de marcher sur les traces de son modèle? «Je ne suis pas à la moitié ou même au quart de ce que Drogba a été, mais pour moi, prendre certains de ses atouts, c’est la clé», confiait-il lors de son passage au Pays Noir. Une comparaison née d’un dialogue de jeunesse avec un recruteur, qui l’avait complimenté sur son potentiel avant de l’inciter à dévorer des vidéos de l’ancien attaquant de Chelsea. «Evidemment, j’essaie d’adapter ça à mon style, parce que je ne veux pas uniquement être une copie de Didier Drogba, concluait alors Osimhen. Je tente de mettre un peu de Drogba dans mon football, pour me rendre plus déterminant.» Visiblement, c’est plutôt réussi.
Robin Maroutaëff
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