L’année d’Eden Hazard: « Je sentais que ça allait être mon moment »
Jamais un Diable n’avait porté aussi haut les couleurs noir-jaune-rouge. Coupe du Monde, réception triomphale, non-transfert au Real : retour sur l’année 2018 du nouveau Roi des Belges.
Moscou, 23 juin 2018. La Belgique vient d’étriller la Tunisie (5-2) et impressionne la planète football. Dans les catacombes du stade du Spartak, Eden Hazard traverse la meute de journalistes avec le sourire. Rien d’étonnant quand on connaît le bonhomme. Sauf qu’ici, on lit sur son visage une forme de soulagement mais aussi une grande détermination. Avec deux buts au compteur, dont un second superbe, le capitaine des Diables est l’homme du match. Il était attendu au tournant, il répond présent et annonce la couleur pour la suite.
» C’était une après-midi presque parfaite « , raconte aujourd’hui Eden. » On a produit un très bon football, on a marqué à cinq reprises et, le soir, on avait rendez-vous avec nos familles. Je ne pouvais qu’être heureux. Et sportivement, j’étais aussi rassuré sur la prestation collective après un match plus galère face au Panama. Même si je savais très bien qu’une première rencontre dans un tournoi, c’est toujours un passage compliqué et que le résultat prime sur la qualité du jeu. »
Plus fort que jamais
Le démiurge de Braine-le-Comte ne sera jamais un homme de chiffres, ou quelqu’un d’obnubilé par ses statistiques personnelles. Lors de son court passage à Chelsea lors de la saison 2013-2014, Samuel Eto’o prend le jeune Hazard sous son aile. Et lui dit : » Ne quitte jamais le terrain avant d’avoir affiché ton nom au marquoir que ce soit à travers un but ou une passe décisive « . Un conseil d’ancien qu’il ne va jamais véritablement intégrer.
Mais avec ce doublé face à la Tunisie et une passe décisive face au Panama, Eden Hazard marque au fer rouge ce début de Coupe du monde. Plusieurs équipiers avaient d’ailleurs pressenti ce qui allait suivre. Lors de la préparation qui précède le Mondial, Toby Alderweireld ou Thomas Meunier se disent époustouflés du niveau de jeu atteint aux entraînements par leur capitaine.
De fait, Eden Hazard n’a jamais semblé aussi fort. Le 11 juin 2018, deux jours avant de s’envoler pour la Russie, le public du Stade Roi Baudoin se régale devant la partition des Diables face au Costa Rica (4-1). Hazard fait briller ses équipiers, marche sur cette rencontre avec une facilité déconcertante, alors qu’il faut encore affiner le haut du corps.
Ce soir-là, à Bruxelles, les observateurs sont scotchés devant la classe de ce petit bonhomme d’un mètre 73. Deux ans plus tôt, à Toulouse, lors des quarts de finale de l’EURO 2016 face à la Hongrie, Hazardinho avait peut-être réalisé sa prestation la plus aboutie sous le maillot des Diables, ponctuant la rencontre d’un but magistral (4-0).
Une démonstration de haut vol qui allait malheureusement être effacée cinq jours plus tard à Lille par l’énorme désillusion, en demi-finale, face au Pays de Galles (3-1). Ce soir-là, Eden Hazard est abandonné à son triste sort en seconde période, tentant à plusieurs reprises de faire sauter seul le bloc défensif gallois, mais sans résultat.
Frais en Russie
Après l’échec de l’EURO, la génération dorée n’avait plus le droit à l’erreur. » Et pourtant, je suis arrivé à cette Coupe du Monde, sans trop de pression « , dit-il. » Je ne sentais vraiment pas le poids d’un pays sur mes épaules, comme ce qu’un Neymar ou un Mohamed Salah a pu connaître. J’étais très tranquille dans ma tête.
Avec Chelsea, notre saison avait été très compliquée. Les résultats en championnat n’étaient pas bons, et on avait été éliminés très tôt de la Ligue des Champions ( en huitième de finale face à Barcelone, ndlr). Heureusement, on a sauvé notre saison en remportant la Coupe. »
À Wembley, le 19 mai 2018, Eden Hazard marque sur penalty l’unique but de la finale de la Cup face à Manchester United. Dans une rencontre très fermée, le joyau des Blues est le seul à électriser les débats et est très logiquement élu homme du match. Sans avoir l’air d’y toucher, le numéro 10 de Chelsea réalise une fin de saison impressionnante.
La mauvaise campagne des champions en titre le confine pourtant dans un relatif anonymat. L’Angleterre n’a d’yeux que pour la triplette Salah- Mané-Firmino ou pour le football guardiolesque des Citizens, mais les vrais savent. Hazard porte en fin de saison les Blues à lui tout seul ou presque, malgré le foot robotique et les séances tactiques interminables d’Antonio Conte.
Ander Herrera, que José Mourinho oblige, lors de chaque confrontation face à Chelsea, à jouer l’individuelle sur Hazard, le considère ni plus ni moins comme le meilleur joueur de Premier League en 2018.
» Je me sentais de mieux en mieux au fil de la saison. J’avais été blessé un an plus tôt, j’étais resté plusieurs semaines sur le côté, et ça m’a peut-être permis d’arriver physiquement frais en Russie. Et c’est vrai qu’un mois avant le début de la compétition, j’avais un bon pressentiment, j’avais eu une bonne discussion avec le coach, je sentais que ça allait être mon moment.
Pas obnubilé par l’événement
Mais je n’étais pas non plus obnubilé par l’événement, même si inconsciemment la Coupe du onde me trottait en tête depuis plusieurs mois. Mais je n’ai jamais vraiment rien préparé. Un peu comme à l’école ( il rit). J’ai toujours pris les choses comme elles venaient. »
Roberto Martinez a, lui, un plan bien précis. Et ce depuis longtemps : arriver à mettre ses étoiles dans les meilleures dispositions afin qu’elles rayonnent sur l’ensemble. Kevin De Bruyne, qui sort d’une campagne brillante à Manchester City, redescend d’un cran dans le jeu et laisse les clefs du secteur offensif à son capitaine, dont la liberté est quasi totale. Hazard jouit d’un tel statut chez les Diables, que tout le monde s’incline devant son talent.
Le 6 juillet 2018 va le consacrer définitivement nouveau Roi des Belges. Quelques jours plus tôt, pourtant, les Diables évitent le couperet et une élimination honteuse et douloureuse face au Japon. » Je pense que notre génération avait besoin d’un match comme celui-là où on a bien galéré « , raconte Eden Hazard à Sport/Foot Magazine, deux jours avant le quart de finale face au Brésil.
Le 6 juillet, la génération dorée se sublime devant les quintuples étoilés et réalise le plus bel exploit de l’histoire du football belge. Eden Hazard ne marque pas ce soir-là mais fait vivre un calvaire à toute la défense auriverde. Conservation de balle, percussion, changements de rythme, Hazardinho réalise une partition sublime.
Les images de Marcelo totalement dépassé par la prise de balle et la vitesse du joueur de Chelsea, passent en boucle sur tous les réseaux. Avec dix dribbles réussis sur dix, Hazard réalise une prouesse historique. Jamais, depuis 1966, un joueur n’avait terminé une rencontre de Coupe du monde avec des chiffres aussi élevés.
Des mots de réconfort pour Neymar
Dès le coup de sifflet final, après une énième parade de Thibaut Courtois, les caméras du monde entier se braquent sur les larmes de Neymar. Eden Hazard et Thierry Henry le rejoignent et tentent de le réconforter.
Une image forte, une forme de passage de témoin entre celui qu’on annonçait comme le futur meilleur joueur de la Coupe du monde et le meilleur joueur de l’épreuve.
» Quand je suis venu auprès de Neymar, ce n’était pas réfléchi, j’ai simplement essayé de me mettre à sa place. À 26 ans, avoir une telle pression de tout un pays sur les épaules, ça a dû être un moment très difficile pour lui. »
Face au Brésil, la bande à Roberto Martinez joue le contre à merveille en première période avant de faire le gros dos en seconde, là où les fautes gagnées par leur capitaine vont avoir une importance capitale.
» Individuellement, et même si on a des grosses qualités, ils sont meilleurs à tous les postes. C’était aussi la première fois où l’on pouvait se dire qu’on n’était pas favoris. »
Au coup de sifflet final, Hazard est à genoux, les mains au ciel. Le capitaine a parfaitement conscience de l’importance de l’exploit. Mais, quelques minutes, plus tard, tout le groupe est déjà tourné vers le prochain objectif et l’équipe de France en demi-finale.
La rencontre revêt une symbolique évidemment particulière, lui dont l’écolage et l’explosion médiatique ont eu lieu de l’autre côté du Quiévrain.
Le 10 juillet, casquette vissée sur la tête, le Brainois n’a jamais semblé aussi déterminé dès sa descente du bus, avant de rejoindre les vestiaires du stade du Zenit Saint-Pétersbourg. » Je ne dis pas que je suis le meilleur, mais je fais partie des meilleurs, c’est tout « , nous confie-t-il sans fausse modestie avant la rencontre. Cette fois, il veut le prouver face à son pays d’adoption.
Le nouvel Eden
» Depuis le début de la préparation, je le sentais déterminé à réaliser quelque chose de grand. Il voulait cette reconnaissance mondiale et il l’a obtenue « , poursuit son grand pote, Christian Benteke. » Contre le Brésil, c’est toute l’équipe qui a bien joué. Face à la France, il était un peu trop seul pour faire la différence. C’est l’ego du grand joueur qui était touché. Depuis que je connais Eden, c’est la première fois que je l’ai vu aussi décidé dans son body language. J’étais même surpris de le voir comme ça.
Je le trouvais plus arrogant que d’habitude. Il fait partie des meilleurs de la planète, ce statut, il fallait cette fois le montrer. On l’a toujours connu décontracté, un gars qui se contentait d’être très bon. Mais là, il voulait atteindre l’excellence. Lors de la reprise avec Chelsea, il a débuté sur le banc, vu qu’il avait loupé le début de la préparation et qu’il n’était pas prêt physiquement, mais dès qu’il montait au jeu, il faisait basculer la rencontre en quelques minutes. C’est un nouvel Eden. »
À Saint-Pétersbourg, sur le coup de 21h50, c’est son visage défait qui est exposé sur le grand écran du stade du Zenit. Le numéro 10 des Diables pensait pouvoir inscrire les Diables dans les livres d’histoire. Ça a été longtemps leur Coupe du monde. Jusqu’à ce coup de boule de Samuel Umtiti.
Après la rencontre, Hazard accuse logiquement le coup, il sait parfaitement qu’il est passé à deux doigts d’un exploit retentissant. » La chance dont on a bénéficié face au Brésil, on ne l’a pas eue face à la France « , raconte-t-il aujourd’hui. » T’es dégoûté parce que la prochaine Coupe du monde, c’est encore loin. Tu te dis que tu ne vas peut-être jamais rien gagner avec ton pays, même si j’y crois encore. Il y a quatre ans au Brésil, on était encore un peu court, cette fois, on était prêt. Ça s’est joué à vraiment pas grand-chose. »
Reçu en héros
Face à l’Angleterre, lors du match pour la troisième place, Hazard inscrit son troisième but de la compétition sur un joli service de De Bruyne, et clôture cette Coupe du monde de la plus belle des manières.
Son nom fait désormais partie de l’élite du football international. Élu deuxième meilleur joueur de la Coupe du monde, le capitaine des Diables est reçu en héros sur la Grand-Place le 15 juillet dernier.
Après avoir joué les maîtres de cérémonie derrière sur le terrain pendant un mois, il continue à jouer les ambianceurs sur le balcon de l’hôtel de ville. La Belgique revêtue de rouge fait un accueil triomphal à son nouveau Roi.
» Grâce aux réseaux sociaux, on pouvait se rendre compte de la folie qui régnait en Belgique, on s’attendait à être fêté, mais pas d’une telle façon. Ça a été un moment magique. »
L’emballement autour du phénomène Hazard ne s’arrête pas là. La presse internationale multiplie les effets d’annonce autour de son transfert pour le Real Madrid. Les ‘scoops’ se succèdent. Après six ans années à Chelsea, on pensait la page londonienne définitivement fermée.
Quelques jours avant de débuter la Coupe du monde, le numéro 10 des Diables avait reconnu dans L’Équipe que » si je reste ( à Chelsea, ndlr), c’est pour que l’équipe soit meilleure que lors de la saison que nous venons de vivre. Je n’ai pas envie de rester pour que l’on soit moins bons. Le Real Madrid peut m’intéresser, tout le monde le sait. »
La non saga de l’été
Et pourtant, quand Eden Hazard s’envole vers Marbella pour des vacances en famille, il sait déjà de quoi son futur sera fait. » J’étais très serein puisque la direction de Chelsea m’avait fait comprendre dès la fin de la Coupe du monde, que je ne pourrais pas partir. Et je n’avais pas de soucis avec cette décision. Le club voulait se relancer à tout prix, avec de nouveaux joueurs, un nouveau coach, un nouveau style de jeu. Et je n’ai aucun regret aujourd’hui. »
Pour preuve, Eden Hazard a prolongé son bel été. Le body language n’est plus le même que par le passé. Dès qu’il monte au jeu, le 11 août dernier à Huddersfield, il fait directement la différence en offrant un caviar à Pedro. Et les statistiques s’affolent. La saison dernière, Hazard réalise 4,9 dribles par match et est le numéro un incontesté de Premier League dans le cassage de reins.
Cette saison, l’homme est resté dribbleur, mais caracole en tête du classement des key-passes (2,9) mais surtout, il est l’homme le plus décisif du championnat avec huit buts et 9 assists. À Liverpool, en League Cup, il inscrit l’un des buts de l’année à la suite d’un solo et d’une frappe sèche.
À Brighton, dimanche dernier, il ne lui a fallu qu’un petit quart d’heure pour tuer le match (un but et un assist) dans un rôle de numéro neuf. Un Eden devenu tueur. Un happy face killer. Plus que jamais…
» Je m’en fous de comment je suis perçu »
Septième joueur FIFA de l’année, huitième du classement du Ballon d’or, membre de l’équipe FIFPRO de l’année, Eden Hazard a réintégré en 2018 l’élite du football mondial. Lors de la saison 2014-2015, qui l’avait consacré meilleur joueur de Premier League, le numéro 10 de Chelsea avait déjà squatté le haut du panier des classements FIFA (6e) et du Ballon d’Or (8).
Mais, cette fois, grâce à une Coupe du monde de très haut vol, le Brainois semble avoir acquis un statut encore plus important, qui le place parmi les tous meilleurs joueurs du monde. Une nouvelle dimension qui n’a pas d’effet sur l’intéressé.
» Que je sois considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs joueurs du monde, je m’en fous un peu. Ça n’a jamais été un but en soi. Je n’ai pas besoin que l’on me place dans une catégorie spécifique de joueur. Le regard des gens a peut-être évolué, mais la dernière Coupe du monde ou mon début de championnat n’ont rien changé à mon quotidien. »
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