La philosophie du sergent: portrait de Jesper Fredberg, le CEO du Sporting d’Anderlecht
Leader moderne à l’approche avant-gardiste, le Danois Jesper Fredberg est un homme de terrain. Et une arme pour faire évoluer le Sporting d’Anderlecht cette saison.
Il est comme ça, Jesper Fredberg: à la recherche du moindre détail qui peut faire la différence sur et en dehors du terrain. En 2015, c’est d’ailleurs ce à quoi consiste son job pour la société belge Double Pass, qui offre des services d’optimisation et de développement de talent. Avec Ariël Jacobs, il fait partie de ces auditeurs qui se rendent auprès des clubs, réalisent un scan global, puis pointent du doigt les carences. «J’ai fait trois-quatre missions avec Jesper», se souvient l’actuel directeur sportif d’OHL. «Il avait une ligne directrice et la respectait à la lettre, sans dévier. Il montrait beaucoup d’expertise dans sa façon d’aborder les clubs avec une connaissance nécessaire du football et une grande force de persuasion, parce qu’il devait quand même convaincre des professionnels d’épouser une autre approche, ce qui pouvait effrayer.»
Quand il a une idée, Fredberg avance tout droit vers sa mise en œuvre. À Viborg, où le natif d’Aarhus débarque en qualité de directeur sportif en 2019, il décide de compenser le manque de budget par l’établissement d’une philosophie. Elle implique un recrutement réfléchi de joueurs pouvant apporter une plus-value financière à la revente et un football tourné vers l’offensive avec un dispositif à quatre défenseurs qui ne bouge pas, même en cas de changement dans le staff. C’est le club qui fixe la doctrine et détient le pouvoir: ça permet d’éviter de mauvaises surprises quand le coach s’en va. Et si quelqu’un hésite ou semble émettre des doutes sur ce fonctionnement, Fredberg tranche pour lui. Laars Friis en fait les frais lorsqu’il annonce en janvier 2022 son intention de rejoindre Aalborg et que le directeur sportif refuse de le libérer de son contrat, placardisant alors son ex-coach pendant plusieurs semaines. Idem pour le défenseur Lars Kramer qui rend publiques ses envies d’ailleurs au même moment et se voit écarter sur demande de Fredberg. En plein exercice, alors qu’il s’agit d’un joueur-clé. «Si tu veux implanter une philosophie, tu ne peux pas faire d’exceptions. C’est peut-être un héritage de son passé de sergent de l’Armée Royale, puis de policier, où il a appris le leadership», commente Marius Fischer, analyste en chef au Viborg FF. «Ces décisions avaient pour objectif de préparer le futur et, avec le recul, il est difficile de les critiquer vu l’important succès du club.»
« Jesper, c’est un homme ouvert, capable de prouesses pour convaincre un joueur de rejoindre son projet et surtout actif sur le terrain. »
MARIUS FISCHER, ANALYSTE EN CHEF AU VIBORG FF
Promus en Superligaen en 2021, les Verts suivent depuis une trajectoire façon Union Saint-Gilloise puisqu’ils se sont mêlés – un peu – à la lutte pour le titre lors de la défunte saison. Un exploit pour un club qui traînait jusque-là une réputation d’ennuyeux. «Beaucoup attribuent la réussite de Viborg au travail de Jesper Fredberg», enchaîne Marius Fischer, embauché en 2021 en tant qu’analyste vidéo. «À l’époque, mon poste n’était pas fréquent dans les clubs, Jesper a donc eu une approche avant-gardiste. Il vise toujours l’amélioration et a une grande faculté d’improvisation.» Quand le budget de l’écurie du centre du pays ne lui permet par exemple pas de se payer de gros logiciels avec caméras dernier cri pour son dispositif de recrutement, il renforce lui-même son réseau de scouts pour effectuer des missions. «En Allemagne, les directeurs sportifs sont souvent cantonnés à leur bureau, assez fermés et dominants. Jesper, c’est tout l’inverse: c’est un homme ouvert, capable de prouesses pour convaincre un joueur de rejoindre son projet et surtout actif sur le terrain.»
Leader moderne
Un leader moderne biberonné à la formation de jeunes à Brøndby IF, puis Aarhus et obnubilé par la recherche de high performance. Une qualité qui lui ouvre notamment les portes de la Grèce, où il devient responsable de l’équipe première au Panathinaïkos en 2018, après une expérience de directeur technique à l’Omonia Nicosie, à Chypre, où il co-fonde également Preskills. Cette compagnie offre aux joueurs des outils pour s’entraîner individuellement et ainsi combler le développement individuel que les coaches n’ont pas le temps ou les capacités de mettre en place.
Jesper aurait pourtant pu totalement disparaître des radars du foot au moins à deux reprises. En 2014, après sa première aventure de coach à Aarhus, ponctuée par onze défaites en treize matches et une relégation. Une expérience qui aurait brisé plus d’un jeune loup, mais qui le convainc de se développer en tant que manager. Cinq ans plus tard, nouvelle déconvenue lors du recrutement d’un certain Bernio Verhagen au Viborg VV. D’abord présenté dans un communiqué comme un joueur «rapide et agressif», le Néerlandais de 25 ans est rapidement démasqué par les médias nationaux: sa soi-disant carrière internationale n’est que du flan. «Au début, Fredberg nous a dit que Verhagen était un vrai footballeur qui avait besoin de temps, que le deal avait été fait via un agent réputé en vue d’une revente en Chine pour faire avancer le réseau international de Viborg», resitue le journaliste de BT Lasse Vøge. Après quelques séances d’entraînement, il devient toutefois impossible de nier l’évidence: Verhagen est un footballeur bidon, un vrai imposteur. Cerné de toute part, le club finit par reconnaître l’arnaque. «Depuis le premier jour, nous avons reçu des documents falsifiés, des courriels et des appels de personnes prétendant être de véritables agents du (célèbre, ndlr) groupe Stellar», apprend alors un nouveau communiqué.
Démasqué, le Néerlandais transite ensuite par la prison pour violences conjugales. Une affaire qui fait tache sur le CV du dirigeant, plutôt connu pour respecter le cadre fixé que pour transférer en toute hâte. «J’ai cru que Fredberg était fini, que Viborg allait le virer et que l’on n’entendrait plus parler de lui», concède Lasse Vøge. «Au contraire, il a pu démontrer qu’il était bien plus que ce gars qui avait amené Verhagen et qu’il avait un vrai talent de réseautage à l’international. En général, au Danemark, on est sceptique quand des clubs achètent de nombreux footballeurs étrangers, mais sur les deux-trois dernières années, à Viborg, ils ont presque tous été des succès sportifs puis commerciaux.»
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