La folle ascension de l’Union Saint-Gilloise: «Un petit club avec une grande équipe»
Arrivés à quelques jours d’intervalle en janvier 2019, Teddy Teuma et Ismaël Kandouss sont les «anciens» du vestiaire de l’Union et les témoins d’une folle ascension.
On a connu meilleur cadeau de Saint-Nicolas. Le 6 décembre 2019, c’est presque à contre-cœur qu’Ismaël Kandouss grimpe dans la voiture de son agent et voit défiler les sorties d’autoroute entre le nord de la France et la commune bruxelloise de Saint-Gilles. Le parc Duden s’échauffe pour un huitième de finale de Coupe de Belgique contre Knokke et le Franco-Marocain est convoité par l’Union. A première vue, l’attirance est loin d’être réciproque. Au point de ne pas révéler à son entourage professionnel que son père travaille et vit dans la capitale belge. «Mon objectif était de réussir en France, de trouver un club en Ligue 2, rembobine Kandouss, assis dans un sofa du bureau du staff sous la tribune principale du stade Joseph Marien. L’Union, quand mon agent m’en parle, je ne connais pas du tout. Finalement, je suis venu voir ce match contre Knokke, même si j’avais des a priori. J’ai vu l’ambiance, le football était sympa. Ça m’a donné envie.»
«Isma» signe le 14 janvier 2019, quelques jours avant Teddy Teuma, tout aussi peu emballé par cette deuxième division belge à huit équipes et à l’allure de mouroir. «C’est vrai qu’on m’avait vendu un projet avec le rachat par le patron de Brighton, embraie le capitaine. Mais ce qui a vraiment fait la différence, c’était le discours du coach. Il m’a décrit avec une précision folle. Il avait compris mon jeu, ce que je devais améliorer.»
Sans Luka Elsner, entraîneur des Saint-Gillois cette année-là, Ismaël Kandouss et Teddy Teuma n’auraient peut-être jamais porté le maillot de l’Union. Quatre années plus tard, pourtant, ils l’enfilent toujours. Les bourbiers de la deuxième division belge ont cédé la place à la Coupe d’Europe, avec un quart de finale historique contre les Allemands de Leverkusen dans le viseur. Une longévité qui fait des deux tauliers du vestiaire des témoins privilégiés d’un décollage vers les sommets. Rencontre.
Sur le papier, le projet avait quand même de quoi plaire: quelques solides joueurs, une demi-finale de Coupe de Belgique à jouer, des ambitions de montée. Qu’est-ce qui a fini par vous séduire, outre le discours du coach?
Teddy Teuma: Comme le club m’avait déjà fait une première proposition à l’été précédent, j’avais commencé à suivre ses prestations du coin de l’œil. Par ailleurs, les dirigeants avaient signé quelques joueurs comme Faïz Selemani et Youssoufou Niakaté, que je connaissais des divisions inférieures en France. Je savais qu’ils étaient bons.
Ismaël Kandouss: Et puis, il y avait cette demi-finale de Coupe de Belgique quand même, en étant en D2. Ça montrait que le club était présent.
Finalement, il n’y a pas eu de montée et le coach est parti, tout comme plusieurs joueurs importants. La deuxième saison fut un peu galère. Avez-vous douté, à ce moment-là?
T.T: De toutes mes années à l’Union, ce fut sans doute l’équipe la moins expérimentée. La cellule de recrutement était allée chercher beaucoup de joueurs à l’étranger, et il y a eu pas mal de flops. Ce n’était pas simple de s’adapter à ce championnat. Pareil pour le coach, Thomas Christiansen (NDLR: ancien joueur du Barça) qui ne connaissait pas les joueurs ni les adversaires. L’adaptation a pris du temps, et ce championnat à huit n’en laissait pas.
I.K: Je me souviens d’un match à domicile contre Roulers. On menait 3-0, et on n’a pas gagné. Quand on voit les résultats engrangés à la maison depuis, ça semble inimaginable.
T.T.: La direction a appris de cette saison, je pense. L’année suivante, ils ont engagé Felice Mazzù qui connaissait bien la Belgique et les divisions inférieures. Et puis, on a recruté certains des meilleurs joueurs du championnat de D2 comme Dante Vanzeir, Loïc Lapoussin, Anthony Moris…
Tous ces gars ont pas mal galéré dans leur carrière, avant de percer. Est-ce le dénominateur commun de votre vestiaire?
I.K.: On sait que personne ne nous donnera rien, c’est ce qui fait notre force. Si on veut quelque chose, on doit aller le chercher nous-mêmes. Felice Mazzù était très fort pour nous transmettre ce sentiment-là.
T.T.: En tant qu’anciens, on a réussi à créer une identité à l’Union, à donner des valeurs à ce club. Le fait de rester nous permet de les maintenir, et de systématiquement les transmettre aux nouveaux. Bien sûr, il y a eu Felice. Il a créé un cocon autour de cette idée que personne ne nous donnera rien, que tous essayeront de nous niquer. Il te met toujours, entre guillemets, dans la posture de la victime, et ça finit par te sublimer.
Le club acquiert tout de même des joueurs plus renommés, avec de meilleurs CV. N’est-ce pas difficile de garder votre ligne de conduite dans ces conditions?
T.T: Les profils des nouveaux ne sont pas choisis au hasard. Il ne faut pas être fou, non plus. Quand tu viens ici et que tu vois le stade, les vestiaires, tu sais très vite où tu mets les pieds. Nos vestiaires ne sont pas ouf. Le stade n’est pas le plus moderne de Belgique. On s’entraîne à Lier, qui est hyper loin. On a souvent deux ou trois galères: pas les bons équipements, une pelouse inondée dès qu’il pleut deux gouttes… Là, j’ai l’habitude de dire aux nouveaux: «Welcome to Union!» Nous, en voyant ça, on garde le sourire.
I.K.: C’est un club qui nous ressemble, en fait. Aucun de nous deux n’est passé par des centres de formation. Donc, les petites galères ne changent pas vraiment nos habitudes de toujours.
T.T.: Quand tu prends ta douche, si quelqu’un appuie en même temps que toi pour avoir de l’eau, il n’y a plus de pression. C’est l’Union, c’est comme ça (il sourit). Disons que pour un José Rodriguez, qui avait fait toute sa formation au Real Madrid, ça n’a pas été facile (NDLR: l’Espagnol a rompu son contrat le 15 février dernier, après seulement six mois passés à l’Union).
I.K.: Je crois que tout le monde s’intègre bien à ça, au final.
T.T.: Et puis, le club fait beaucoup d’efforts pour améliorer nos conditions. Au début, notre bain froid, c’était un bateau gonflable dans lequel on mettait un peu d’eau et des glaçons. Maintenant, ils en ont acheté un vrai. Peu à peu, ça évolue. Je pense que le plus difficile pour les nouveaux venus d’un grand club, c’est qu’ils voient les installations, se disent que c’est un petit club et que donc, ils joueront. Or, c’est un petit club, mais avec une grande équipe!
Karel Geraerts est votre quatrième coach depuis votre arrivée. Que retenez-vous de chacun?
I.K.: Luka Elsner était vraiment très discipliné. Il fallait que tout soit carré. On avait parfois deux séances par jour, par exemple, et ça ne rigolait pas. Je me souviens d’un soir où on dormait au centre d’entraînement: je suis sorti de ma chambre pour me brosser les dents et pour lui, il était déjà trop tard. Le lendemain à la vidéo, il nous a fait la morale. Ensuite, Christiansen… Tu veux enchaîner, Teddy?
T.T.: Non, pour le moment, je suis d’accord avec toi, je le dirai si ce n’est pas le cas. Je t’écoute.
I.K.: Christiansen, on sentait qu’il aimait le beau jeu. Le ballon et la technique. Il jouait avec nous dans les toros (NDLR: un jeu de conservation du ballon entre plusieurs joueurs, avec un ou des chasseurs au milieu) pour nous montrer comment faire. Felice Mazzù insistait plutôt sur le fait qu’on forme un bloc compact, il voulait qu’on soit bien défensivement avant d’attaquer. Et maintenant, Karel Geraerts, je crois qu’il a appris de ce qu’il avait vu en tant qu’adjoint de Christiansen et de Felice, et qu’il essaie de faire un petit mix. Il insiste plus que Felice sur l’importance d’avoir le ballon, mais tout autant sur le fait d’être compact.
T.T.: Je suis entièrement d’accord avec ça. Il y a pas mal d’exemples qui le prouvent. Quand Christiansen était coach, il avait installé certains exercices récurrents, des possessions ou des toros à thème. Ensuite, quand Felice est arrivé et qu’il a confié certains exercices à Karel ; Karel a repris pas mal de choses qu’on faisait avec Christiansen. Déjà à ce moment-là, il avait senti que beaucoup de ces exercices lui plaisaient. Il a vraiment pris chez chacun ce qui semblait intéressant pour lui. Et puis, ça faisait longtemps qu’il était là aussi, presque comme nous. Il connaissait les valeurs du club, les joueurs du vestiaire. Le lancer, c’était le bon choix.
En début de saison, quand vous perdez à Glasgow au match retour des tours préliminaires de la Ligue des Champions, avez-vous eu peur que le rêve s’arrête?
T.T.: Franchement, et je l’ai déjà dit plusieurs fois dans le vestiaire, je suis quasi sûr que si on ne s’était pas cassé les dents contre Glasgow, on ne serait pas là à l’heure actuelle. C’était une défaite un peu salutaire. Elle nous a permis de prendre conscience qu’il nous manquait encore certaines choses pour performer sur la durée.
Un noyau plus large, notamment. Ce qui signifie des joueurs importants sur le banc, voire en tribunes. Ça n’a pas créé des tensions?
I.K.: L’année dernière, surtout en attaque, on avait quand même un peu de mal lorsqu’on devait se passer de Deniz Undav ou de Dante Vanzeir. Ici, on a plus de possibilités et ça pousse tout le monde. Forcément, ça fait des déçus, et les choix doivent parfois être un sacré casse-tête pour le coach. Mais le groupe reste soudé et l’ambiance est bonne.
Quel regard portez-vous sur tout ce que vous êtes en train d’accomplir? Avez-vous l’impression de toucher les limites?
I.K.: On ne se met pas de limite parce qu’en fait, on est déjà dans l’exceptionnel. On se dit juste que quitte à y être, autant y rester le plus longtemps possible. C’est incroyable, mais je ne crois pas que c’est encore une surprise pour nous.
T.T.: Pour moi, ce n’est plus une surprise, mais ce n’est pas normal non plus. Tout a l’air de rouler naturellement mais il ne faut pas croire que ce qu’on fait est simple. C’est difficile. Mais des limites, on ne s’en fixe pas. Le plus important est de n’avoir aucun regret. Comme la saison passée. On a fait le maximum. Bruges, on les a joués quatre fois, on n’a pas mis un but, c’est qu’on ne pouvait pas faire mieux.
Le plus fou, ce n’est pas d’être deuxième la saison passée, mais de repartir derrière. Parce qu’après être passé aussi près du rêve, tout aurait pu s’effondrer.
T.T.: Sur le moment, ça nous avait mis un coup, c’est clair. Mais après, on a pris du recul, et on est obligé de constater que c’est magnifique. On vient de deuxième division et on finit deuxième. Rappelle-toi d’où on vient. Tout ce qu’on a accompli, c’est magnifique.
I.K.: On s’habitue à jouer tous les trois jours, à jouer de plus en plus de matchs à enjeu. C’est quand même plus intéressant que des matchs de D2.
Leverkusen, c’est plus sympa que Knokke?
I.K.: C’est clair, c’est mieux (il rit).
Que manque-t-il encore au club pour rester au sommet en Belgique?
T.T.: Un trophée! Tout le monde nous dit que c’est bien ce qu’on fait, mais si on finit encore deuxième ou troisième et qu’on est éliminés en Europa League, au final il n’y a rien. Pour marquer toutes ces années, tout ce travail depuis quatre ans, il faut graver notre nom sur un trophée. Là, on aura marqué l’histoire. Pour le moment, c’est beau ce qu’on fait, mais il n’y a rien.
Par Guillaume Gautier et Robin Maroutaëff
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