La face cachée de Kompany: « Il est obsédé par la crainte d’être espionné »
Qui est vraiment Vincent Kompany ? Un champion d’exception, imprégné de l’ADN anderlechtois, et que l’on dit têtu et mégalo ? Une formule (gagnante) pour aller au bout de ses idées ? Enquête.
C’était il y a six mois, le 19 mai dernier. Marc Coucke sort de son chapeau le coup de com’ magique sous forme de : » We brought the legend back. We made the impossible possible « . Vince The Prince est de retour à la maison ! Ce jour-là, à la Ghelamco Arena, l’information principale n’est pas la non-qualification européenne du Sporting pour la première fois en 56 ans, mais bien l’arrivée du capitaine de Manchester City, tout juste auréolé d’un fantastique triplé. Le président du Sporting éteint par la même occasion l’incendie allumé par ses supporters quelques semaines plus tôt à Sclessin à coups de fumigènes et de » Coucke buiten « lancés des tribunes.
Il est obsédé par la crainte d’être espionné, voire hacké et change régulièrement de téléphone.
Derrière l’emballement médiatique des premières heures, quelques observateurs s’étonnent tout de même de ce rôle hybride qui va être confié au plus grand joueur mauve des trente dernières années. Car les attributions de Kompany, exigées par le Diable rouge lui-même, ne se limitent pas au terrain. Loin s’en faut, puisqu’il doit être joueur, manager, coach, conseiller sportif, responsable des transferts. Pour espérer faire revenir The Prince, il fallait lui donner toutes les clefs de la maison. C’était » All or nothing « , comme nous explique l’un de ses proches.
Out of the box
Michael Verschueren reconnaît d’ailleurs : » C’est un peu out of the box, mais je pense que le Sporting a besoin de se renouveler et c’est le premier pas. Il a le sang mauve, il a envie que ce club redevienne ce qu’il était avant. » La direction anderlechtoise tombe sous le charme de l’enfant prodig(u)e. Et son arrivée doit marquer une rupture avec le passé, les années Vanden Stock, Van Holsbeeck, Bayat, et le fiasco imputé à Luc Devroe. On entre désormais dans une nouvelle ère, celle de Vincent Kompany. Le nom claque, brille, de quoi faire plaisir au milliardaire bling-bling ostendais.
Kompany se veut en tout cas prometteur : » Pep Guardiola a rallumé mon amour du jeu. J’ai observé, participé, analysé, étudié. City pratique le football que je veux jouer. C’est le football que je veux enseigner « , explique-t-il sur Facebook. Le 25 juin, lors d’une conférence de presse à laquelle les médias du pays se bousculent, l’intéressé précise : » Au moment où j’ai décidé de cette nouvelle carrière de manager, Thierry Henry connaissait des problèmes à Monaco. C’était incompréhensible à mes yeux. Je voulais comprendre la raison derrière ça et je lui ai téléphoné. J’ai aussi appelé de jeunes coaches qui venaient de se lancer. » Quant au fait qu’il n’a pas de diplôme d’entraîneur, sa réponse fuse : » Beaucoup d’entraîneurs n’ont pas un diplôme de management comme moi. » Six mois plus tard, difficile d’avaler le discours officiel qui clame que Kompany n’a jamais été coach.
Mais on n’en est pas là. Très vite, l’été se veut prometteur. Anderlecht se prend plusieurs claques lors des matches de pré-saisons, mais un football de possession se dessine avec l’aide de la jeunesse anderlechtoise. » Le beau jeu avant le résultat « , clame-t-il. Puis quelques noms ronflants débarquent : Michel Vlap, Nacer Chadli, Samir Nasri, voire Philippe Sandler dont on dit le plus grand bien. Couckenbak peut enfin se dandiner comme aux plus belles heures. C’est en tout ce qu’il pense.
Aveuglé par la technique des jeunes
L’entrée en lice en championnat face à Ostende le fait vite déchanter. La grande lessive initiée durant l’été par le nouveau boss du Sporting connaît des ratés. Exit Thomas Didillon, Adrien Trebel, Sven Kums, etc. Des cadres qui ne collent pas avec le process que veut mettre en place le disciple de Pep Guardiola. » Il m’a dit qu’il me voyait comme numéro 6 devant la défense, mais qu’il avait d’autres solutions. J’ai apprécié cette explication honnête. C’est mieux que de tourner autour du pot « , déclare Kums.
Kompany se loupe dans ses évaluations. Il questionne des proches quant au niveau réel du championnat qu’il a quitté treize ans plus tôt, une compétition qu’il semble dénigrer. Le blé en herbe anderlechtois devrait faire le taf, se dit-il. D’autant qu’il est impressionné, ou plutôt aveuglé, par la qualité technique des jeunes joueurs du centre de formation et oublie bien d’autres paramètres. Lors du déplacement à Benfica, le 11 juillet, il emmène avec lui des joueurs qui ne sont même pas titulaires en U21. La victoire face aux Lusitaniens, qui reprennent à peine les entraînements, masque encore davantage la réalité.
Mais Kompany fait une fixette sur les jeunes et continuera à le faire tant qu’il est en poste. » Il aime la formation. Il pourrait parler des heures de la formation de jeunes. Et de tactique. C’est le foot à l’état brut qui l’intéresse pas le foot business « , explique son ami et assistant, Floribert Ngalula. Du haut de ses 33 balais et fort d’une incroyable expérience, Kompany doit faire figure de guide pour la classe biberon. S’il n’hésite pas à promulguer de nombreux conseils aux jeunes de Neerpede, sa fragilité aux ischios ne l’autorise pas à faire de même en match. Quant aux chiffres, ils sont accablants puisque les Mauves ne gagnent pas quand Kompany est titulaire (du moins en championnat).
S’il pensait jouer les premiers rôles avec un mélange de noms ronflants et de jeunes, il reconnaît désormais, par l’absurde, s’être trompé puisqu’il parle désormais de saison de transition.
L’ADN de Neerpede
Mais à l’image de Romelu Lukaku, qui était venu s’entraîner à Neerpede cet été dans l’attente de son transfert vers l’Inter, où d’un Anthony Vanden Borre – qui évoque toujours Neerpede et non Anderlecht quand il faut se remémorer le passé -, Kompany a été marqué par ses jeunes années en Mauve et Blanc. Issu d’une génération talentueuse (Dries Mertens, Vanden Borre, Onur Kaya, Pelé Mboyo, etc), Vince a toujours en mémoire les larges succès en jeunes face aux grosses écuries européennes comme le Real Madrid, ou Lyon. » Si l’Ajax peut le faire, on doit en être capable « , assène-t-il en aparté. Un écolage l’a marqué dès son plus jeune âge.
» Il dormait dans des draps d’Anderlecht quand il était petit « , raconte son petit frère, François. L’enfant du bâtiment 33 de l’avenue de l’Héliport, au coeur du quartier nord de la capitale, se trimballait fièrement avec son training mauve et blanc. » D’ailleurs, il était surnommé Anderlecht « , raconte son ami de toujours, Rodyse Munienge, devenu son assistant personnel au Sporting.
En juin dernier, il s’adresse à tout le personnel de la maison mauve, des coaches des jeunes aux employés administratifs. Plusieurs personnes sur place sont unanimes : le speech transpire de sincérité et d’amour pour ce club. » Il n’arrêtait pas de marteler qu’il fallait qu’Anderlecht retrouve son identité, le jeu qui a construit son histoire. S’il est revenu, c’est parce qu’Anderlecht, c’est son sang. Il le répète souvent : Manchester City, c’est mon coeur, Anderlecht c’est mon sang. »
Apprenti businessman
Ce retour-maison devait assurément prendre d’autres contours. Depuis l’été, des caméras filment le quotidien du Prince, avec la volonté de transformer les heures de bande en documentaire et dévoiler des images inédites du come-back kid. À l’image des » Diables au coeur « , docu en plusieurs épisodes qui suivait la campagne qualificative des Diables pour la Coupe du Monde 2014 (voir cadre), produit par Bonka Circus, boîte de prod’ dans laquelle Kompany possède des parts, et fondée par son bras droit, Klaas Gaublomme (ex-musicien qu’il rencontra lors de déplacements pour SOS Village d’enfants). Le but étant de scénariser cette année dans les coulisses de Neerpede, ce qui jusqu’ici ressemble davantage à la descente aux enfers de Sunderland (diffusée sur Netflix) que le » All or Nothing « à la gloire de Manchester City (disponible sur Amazon).
Il le répète souvent : Manchester City, c’est mon coeur, Anderlecht c’est mon sang.
Si Kompany ne semble pas craindre les conflits d’intérêts, comme du temps des » Diables au coeur « , ceci démontre ou plutôt confirme sa toute-puissance au sein du club. Et renforce également l’image du » businessman Kompany » qu’il porte volontiers, et qui enfant adorait le Monopoly, avant de décrocher, quelques années plus tard, un MBA à la Business School of Manchester. » Son envie, c’est d’être bien plus qu’un footballeur. Mais pas pour autant un homme d’affaires « , tempère son agent de toujours, Jacques Lichtenstein.
Car Kompany a diversifié ses investissements, mais en a déjà planté quelques-uns. S’il a investi massivement dans l’immobilier mancunien, on se rappelle aussi du fiasco de ses bars » Good Kompany « , ce qui lui a fait perdre plus de deux millions d’euros, ou de sa société de taxi de luxe basée à Manchester qui fit long feu, sans parler de la gestion toujours balbutiante du BX Brussels. » Je suis probablement le joueur le mieux préparé pour son après-carrière « , avait-il déclaré au Guardian en fin de saison dernière. » Il s’est créé une image qui n’est pas fidèle à la réalité « , poursuit l’un de ses ex-collaborateurs. » Il est rapidement tombé sous le charme des grands chefs d’entreprise qu’il a pu côtoyer via le foot. Et pense être de leur niveau… »
Solitaire
Ce statut de capitaine qu’il a toujours aimé porter, associé à cette image d’homme d’affaires créent parfois des jalousies voire des moqueries de la part de ses collègues de travail. Afin de comprendre le personnage, et cette volonté d’être davantage qu’un footballeur, un de ses anciens coéquipiers nous avait raconté ce voyage en train entre Manchester et Londres, où quelques wagons avaient été privatisés par une marque de sport pour les besoins d’une action commerciale. Alors que plusieurs sportifs s’étaient retrouvés pour discuter le coup et échanger, Kompany était lui assis un peu plus loin avec son associé et son pc pour parler » affaires « . Pas question de se mélanger, ce qui pouvait être pris pour une forme de dédain.
Mais peut-on lui reprocher de se détacher de l’image du footballeur » playStation et canapé » ? Contrairement aux apparences, et cette fidélité envers ses amis d’enfance ou l’importance de la famille qu’il n’hésite pas à mettre en avant, Vincent Kompany est quelqu’un de très méfiant, qui ne se mélange pas facilement, et d’assez seul. Qui masque quand ça va mal, quand les critiques se font de plus en plus dures, toujours en bombant le torse, la démarche fière.
Le boss, encore et toujours
Ces derniers mois sont marqués d’une pierre noire dans sa carrière puisque les blessures ne l’ont pas épargné, et que sa prise de pouvoir ressemble à un mauvais-film. Après le piètre match nul à domicile face à Beveren, le club – Marc Coucke en tête – a souhaité éteindre le début d’incendie en écartant Simon Davies, abandonné depuis le début de saison à son sort de figurant, et en le remplaçant par une personnalité bien plus légitime. D’où ce coup de téléphone de Michael Verschueren à Franky Verctauteren, début octobre. Si Vincent Kompany avait souhaité attirer Besnik Hasi avant la nomination de Simon Davies, l’arrivée de Vercauteren avait pour but d’offrir davantage de clarté au monde extérieur et d’éviter, par la même occasion, à Kompany de perdre des centaines de milliers d’euros que constituent les avantages fiscaux propres aux joueurs évoluant en Belgique (régime dont ne bénéficie pas les coaches).
D’autant que l’arrivée de l’autre Prince du Parc n’a pas fondamentalement modifié le quotidien des joueurs anderlechtois. Vercauteren est venu en connaissant parfaitement les conditions de travail : ne pas toucher à la philosophie de jeu. Kompany reste le boss, il continue à diriger les entraînements. Vercauteren observe, en retrait, à l’image des managers à l’anglaise.
Nul n’est prophète…
Si Kompany poursuit donc la ligne qu’il s’était tracée en interne, le monde extérieur, que ce soit les médias, les réseaux sociaux ou les supporters adverses, ne l’ont pas loupé. Kompany a pu se rendre compte de cette impopularité dès le déplacement à Genk, où sa sortie sur blessure avait été accompagnée de huées. Contraste saisissant avec ses adieux aux Skyblues quelques mois plus tôt. Parmi les louanges : » Son but face à Leicester est le plus incroyable de l’histoire du club « , avait affirmé Pep Guardiola. » Où veux-tu ta statue, Vincent Kompany ? « , s’était même exclamé Gary Neville, pourtant illustre défenseur des Red Devils de United.
Pour l’ex-buteur et présentateur vedette de la BBC Gary Lineker : » Kompany fait partie de ce cercle restreint de joueurs qui sont aimés et respectés partout dans le monde. Il transcende les rivalités. » L’expression, » nul n’est prophète en son pays » prend véritablement tout son sens.
La crainte d’être espionné
Depuis ses débuts en Belgique, Kompany traîne auprès de certains l’image de quelqu’un de hautain, d’arrogant, alors qu’outre-Manche, il est difficile de trouver la moindre critique le concernant. Marc Degryse avait allumé la mèche après la défaite à Courtrai : » Il pense être Dieu, alors qu’il y a des limites à tout. » Une forme de narcissisme que d’autres partagent, même au sein du club, et qui est encouragée par ses proches, dont son conseiller, Klaas Gaublomme, à qui il est arrivé de signer ses mails par » le représentant de Vincent Kompany sur terre. »
Et Kompany se sent parfois investi d’une mission : » Je vais intervenir dans le dossier du stade national « , confie-t-il il y a quelques années à l’un de ses proches. Ou quand il interpelle Nicolas Sarkozy ou évoque les problèmes en Syrie sur Twitter. » Je ne dis pas que j’ai la vérité, loin de là. Je ressens le besoin de m’exprimer comme d’autres ressentent le besoin d’aller voter. Je ne suis pas le genre de personnes à rester dans son coin. Je ne suis pas né avec la bouche cousue. »
» Vincent se définit comme une marque, avec une vision à long terme « , explique un ex-collaborateur. Mégalo ? Certainement. » C’est la seule personne au monde qui a quatre miroirs tout le temps autour de lui « , sourit un membre du staff des Diables. Obsédé aussi par la crainte d’être espionné, voire hacké. Il change régulièrement de téléphone. Par mesure de sécurité, il a même crypté son appareil il y a quelques années.
Pas de compromis
Dès qu’il franchit les portes de Neerpede, il se sent chez lui. Et salue chaleureusement tout le personnel. Des petites mains aux membres de la direction. Tout le contraire d’Hein Vanhaezebrouck ou de René Weiler, deux hommes dont la chaleur humaine n’était pas la marque de fabrique. Vincent Kompany est chez lui à Anderlecht, et depuis longtemps.
» On peut tout lui reprocher, mais certainement pas de ne pas s’investir. Car il s’investit à 200% pour ce club « , raconte un membre du RSCA. Quand il n’a pas match, il arrive régulièrement à Neerpede à 8 heures pour en repartir vers 20 heures, alors qu’à l’inverse, Coucke se fait de plus en plus discret du côté de Neerpede. » J’ai besoin d’être occupé constamment « , explique Kompany. » Je ne me rappelle pas d’un dimanche sans rien. » On l’a d’ailleurs récemment vu à un match dominical du BX Brussels lors de la trêve internationale.
» Chaque chapitre dans ma vie a débuté par un revers et une lutte, mais cela s’est toujours terminé par de la gloire et du succès « , confie-t-il au Guardian, le 16 novembre. » Cela ne vient pas en doutant de soi-même, ni en abandonnant dans des circonstances difficiles. Mais en apprenant et en restant calme dans l’adversité. Vous n’apprenez jamais autant que lorsqu’on vous botte le cul. Si vous êtes capable de regarder les problèmes en face, vous pouvez alors essayer de les résoudre. Et si vous êtes capable de les résoudre, qu’est-ce qui peut vous arrêter ? … J’ai analysé la situation et me suis assuré que le plan était entièrement réalisable. Rien ne changera mon avis. Je ne ferai pas de compromis. «
L’EURO semble bien loin
Depuis la qualification pour la Coupe du monde 2014, et le soutien voire le matraquage publicitaire, les Diables renvoient une image d’Épinal, qui ne colle pas toujours à la réalité.
L’affaire Bonka Circus a fait des dégâts à l’époque dans le giron des Diables, souvent poussés par leur conseiller respectif à ne pas accepter que Kompany se fasse de l’argent via un documentaire sur le dos de ses équipiers. Personne ne s’en est plaint publiquement, mais certains ont fait passer le message.
En 2016, alors que Kompany doit déclarer forfait pour l’EURO et céder son brassard à Eden, un haut responsable de la fédé nous glisse : » Par rapport à Kompany, il y a trois clans dans le noyau. Ceux qui le suivent à fond, ceux qui ne le suivent pas du tout, et ceux qui s’en foutent complètement. » Kompany perd définitivement son brassard de capitaine, mais participe à l’épopée russe, où il est titularisé dès les huitièmes face au Japon. Quant à la suite ? Si Roberto Martínez laisse publiquement la porte entre-ouverte quant à sa participation à l’EURO, il ne se fait guère d’illusion. D’autant qu’il est convaincu d’avoir trouvé la parade.
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