Swann Borsellino
La chronique de Swann Borsellino: séparer l’homme de l’artiste
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Il faisait plutôt beau, ce dimanche, aux quatre coins de l’Europe. Alors le coup de tonnerre est venu du Brésil, où en pleine trêve internationale et en préambule d’un match de la Seleção, le média DAZN a proposé un documentaire : Neymar Jr. And the Line of Kings. Encore plus sous le feu des projecteurs – si toutefois c’était possible – depuis sa rentrée compliquée avec le Paris Saint-Germain, le numéro 10 auriverde s’est fendu, face caméra, d’une pensée sincère au sujet de la Coupe du monde 2022 : « Je pense que c’est ma dernière Coupe du monde. Je ne sais pas si j’ai la force mentale pour continuer encore dans le football. »
Une déclaration qui déclenche une avalanche de réactions, notamment à cause de l’âge du génie de Mogi das Cruzes : 29 ans. Né en 1992, l’ancien joueur de Santos se voit immédiatement comparé à Leo Messi, 34 printemps, ou Cristiano Ronaldo, 36 balais, et à en croire certains, il manquerait d’ambition et devrait au moins pousser jusqu’au Mondial 2026. Quand le problème n’est pas la comparaison avec les deux monstres, celui-ci est financier : Neymar est millionnaire, il ne devrait pas se plaindre d’usure mentale. Et si jamais le souci n’était pas les zéros sur son compte en banque, celui-ci est ailleurs : Neymar est joueur de football professionnel, le rêve de tout le monde – le mien également – de quoi se plaint-il ? Ultime argument de ceux qui ne comprennent pas la déclaration faite à DAZN : le Brésilien est sous contrat avec le PSG jusqu’en 2026, de qui se moque-t-il à dire qu’il n’aura peut-être plus envie de jouer au foot après 2022 ?
« Peut-on séparer l’homme de l’artiste ? » Une question que l’on entend souvent, généralement lorsqu’une oeuvre fondamentalement qualitative a été produite par une personne qui l’est vraiment moins, voire pas du tout. Aujourd’hui, il est temps de voir ce questionnement sous un autre angle et surtout de comprendre qu’en sport de haut niveau, et ici en football, l’artiste qui fait vibrer les foules sur le terrain est indissociable de la personne qu’il est. À savoir une femme ou un homme souvent secret.e, dont on ignore les faiblesses, mais dont on apprécie les qualités visibles. Une part d’ombre qui reste dans l’ombre, justement à cause des réactions suscitées par les propos de Neymar ce dimanche.
Starifié depuis son plus jeune âge, scruté par les médias depuis trop tôt, Neymar Jr. aura essayé.
Revenons précisément à ce qui fait de Neymar Jr. ce qu’il est aujourd’hui : le terrain. Rentré hors de forme de vacances, le N de la MNM n’est que l’ombre du joueur qu’il a été depuis le début de la saison. Des performances qui suscitent assez logiquement la frustration des supporters, les interrogations des journalistes et ces questionnements légitimes : pourquoi est-il dans cette condition physique ? Pourquoi produit-il ces performances alors même que la semaine passée, sur Twitter, est apparue une compilation de sa saison 2017-2018 qui donnait l’impression de dater de vingt ans en arrière tant la différence était frappante ?
Dans la carrière d’un athlète de haut niveau, nos yeux nous bernent souvent sur la réalité du rapport condition physique/talent. Combien de génies du sport n’ont pas fait la carrière qu’on leur prédisait ? Combien de sportifs que les observateurs trouvent « lambda » font une carrière plus que respectable ? Ce constat posé, Neymar, génie reconnu depuis son enfance, devrait-il être en forme physique irréprochable ? La réponse est oui. Peut-il être dans une forme physique irréprochable ? La réponse est non. À ceux qui le comparent par exemple avec Messi et Ronaldo, il faut prendre le problème à l’inverse : combien d’athlètes de haut niveau sont capables d’avoir l’éthique et la force mentale pour conserver cette éthique aussi longtemps ? Peu. Très peu. Ce sont ceux que l’on appelle les GOAT, les LeBron James, les Rafael Nadal. Quand Neymar dit : « Je ne sais pas si j’ai la force mentale pour continuer après le Mondial 2022 », il dit : « Je ne sais pas si moi, en tant qu’être humain, j’arriverai à faire ces sacrifices. » Des sacrifices immenses, que des joueurs dont vous n’aurez jamais un poster arrivent à faire, mais que d’autres ne parviennent pas, ou plus à faire. Se rendre compte de la difficulté de la vie de sportifs que l’on adule, c’est accepter qu’ils sont comme nous : faillibles. Ils ont reçu un talent immense, des cartes en mains qu’on n’aura jamais, mais ce n’est pas pour autant que tous sont capables, psychiquement, de les jouer à la perfection.
Starifié depuis son plus jeune âge, scruté par les médias depuis trop tôt, Neymar Jr. aura essayé. Et pour ça, je lui dis merci. La réalité, c’est que j’admirais certains éclats du joueur, mais ne l’appréciais pas particulièrement. Après tout ça, je lui souhaite de finir comme il l’a dit à DAZN : en réalisant son rêve avec le Brésil.
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