Swann Borsellino
La chronique de Swann Borsellino: le fameux maillot italien…
Notre chroniqueur Swann Borsellino évoque ses souvenirs d’enfance… sur fond d’Italie et de maillot vintage.
L’avantage de l’élasticité de l’iconique maillot Kappa de l’Italie 2000 – et de l’avoir acheté un peu trop grand – est que j’ai pu le mettre entre mes neuf et mes quinze ans. L’âge où on arrive à se convaincre qu’on commence à enfin être moulé dans ce tissu bleu reconnaissable entre mille. L’âge où on se rassure en se disant que pas même Alessandro Del Piero, l’une de mes idoles de jeunesse, ne remplissait vraiment cette beauté textile. Ce maillot, acheté dans une boutique qui n’existe plus dans le quartier des Halles, à Paris, je ne l’ai plus. Je m’en suis séparé à la fin du mois de mai 2009. Pas à la suite d’une guéguerre avec mon grand-père sicilien, mais pour remercier quelqu’un qui m’était cher. C’était la fin de l’année scolaire, j’étais en terminale, l’année du baccalauréat en France, et il régnait dans la classe de Madame Gatulle l’atmosphère des jours précédant les vacances. Ceux où l’ambiance est légère et les jeux légions. Madame Gatulle n’était pas simplement la meilleure professeure de l’ensemble de ma scolarité. Elle n’était pas seulement ma professeure d’italien. Elle était une supportrice fidèle du Milan AC et celle grâce à qui j’ai pu parfaire le lien linguistique qui me rattache à une partie de ma famille. Ce jour de mai, j’ai sorti le maillot Kappa de mon sac à dos peinturluré au tipp-ex et je l’ai posé sur ma table. Un feutre noir dans la main, je l’ai signé comme un footballeur rendant un fan heureux depuis le siège de sa voiture. Puis, mes camarades ont fait de même. Nous avons remis ce maillot à madame Gatulle en témoignage de notre reconnaissance. Douze ans plus tard, quand je vois jouer l’Italie de Mancini, j’ai une pensée pour elle et ce maillot. Je me dis qu’à bientôt trente ans, il m’irait peut-être enfin.
Mancini a déjà remporté une grande victoire: réconcilier les Italiens avec leur équipe nationale.
Mon lien avec l’Italie va au-delà de celui du sang. Le premier texte que l’on m’a confié devait être facile. Le calendrier indique la date du 24 juin 2010, mon ordinateur pesait quinze kilos, soit quand même moins lourd que le climat en France quatre jours après que les joueurs de Raymond Domenech avaient refusé de descendre du bus. Ce jour-là, l’Italie affronte la Slovaquie et les coéquipiers de Toto Di Natale tombent face à Robert Vittek. Battus 3-2 après deux nuls face au Paraguay et à la Nouvelle-Zélande, les joueurs de Marcello Lippi quittent l’Afrique du Sud la tête basse. Une décennie et des centaines de textes plus tard, Leonardo Bonucci et Giorgio Chiellini sont encore là et l’Italie, elle, apparaît métamorphosée après l’échec de 2018.
Le premier tour du groupe A terminé, nous sommes en mesure d’affirmer que l’épatante série de l’Italie de Mancini avant l’EURO n’était ni anecdotique ni le fruit de rencontres face à des petites nations. Participant au plan de jeu le plus léché et à l’attitude collective la plus cohérente, l’Italie contraste parfaitement avec d’autres équipes plus dotées en termes de potentiel, mais dont la froideur des coaches et prestations fait mal au coeur et aux yeux. Évidemment, comme souvent, on a retenu des individualités. Leonardo Spinazzola, son appétit pour la ligne de touche et sa relation avec Lorenzo Insigne. Manuel Locatelli, qui a su faire rimer élégance avec efficacité. Marco Verratti, dont le come-back face au pays de Galles ressemblait à tout sauf à un retour de convalescence. Mais finalement, c’est du groupe italien, de son onze, mais pas que, que quelque chose se dégage. De son milieu, évidemment, des courses incessantes offertes par les offensifs, mais aussi de son équilibre. La gauche offensive, la droite rigoureuse, la solidité de Chiellini, le jeu long de Bonucci, le baromètre Jorginho, la tempête Chiesa. Un vrai « un pour tous, tous pour un » cher à Alexandre Dumas, qui donne envie de voir cette sélection aller plus loin. Alors évidemment, certains diront que la Suisse, le pays de Galles et une Turquie méconnaissable ne font figure que d’ antipasti avant des plats de résistance plus sérieux. Ils auront raison s’ils se demandent comment l’Italie va se comporter face à des gros morceaux. Nous aurions tort de croire que cette équipe-là n’a pas la tête de celle qui triomphe ou meurt avec ses idées et son attitude. Une mort qui n’aurait rien de tragique, même si l’Italie, nation légendaire du football mondial, est toujours attendue rien que par ce qu’elle représente. Mais ne nous y trompons pas: Mancini a déjà remporté une grande victoire. Réconcilier les Italiens avec leur équipe nationale qui n’était que l’ombre d’elle-même sous Gian Piero Ventura. Il est aussi celui qui aura donné envie aux observateurs de ne pas louper une seule minute de jeu de son équipe. Pour ma part, il m’a donné envie de me rappeler de ce que j’avais fait du plus beau maillot de ma collection. Mais je l’avoue, je n’ai aucun regret de l’avoir donné. Je sais qu’il est entre de bonnes mains et quelque part, j’espère qu’en cas de victoire italienne, madame Gatulle le ressortira et aura une pensée pour ses élèves.
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