Karel Geraerts, l’une des révélations de 2022: « Quand je doute, j’écoute mon ventre, mon feeling»
Quand l’entraîneur de l’Union va au fond des choses, il peut parler de tout! Par exemple de 25.000 poulets, de Sérgio Conceição et de ses expériences avec la génération dorée des Diables. Entretien long format avec l’une des révélations de l’année 2022.
Il ne faut pas insister pour obtenir Karel Geraerts, quarante balais, à l’interview. Le coach de l’Union pose seulement une exigence: ça devra se faire quelque part entre Lierre, où le club s’entraîne, et Bruges, où le T1 réside. Notre choix s’est porté sur l’hôtel Van der Valk à Oostkamp, tout près de la Venise du Nord. Karel Geraerts déboule pile à l’heure convenue. On s’installe avec lui dans une salle de réunion. Et il se lance dans un déballage XXL qui part de dix moments particuliers qu’il a vécus en 2022.
Voir la vidéo de la rédaction de Sport/Foot Magazine qui est allé à la rencontre de Karel Geraerts. En voici les meilleurs moments.
MOMENT 1 UNION-ANDERLECHT 1-0 30 JANVIER
On pensait que l’Union allait s’écrouler après le Nouvel An, surtout que vous aviez plusieurs grosses affiches à votre programme. Mais au contraire, vous avez battu Genk, Anderlecht et l’Antwerp, et vous avez fait un nul contre le Club Bruges. Avant cette grosse série, vous étiez convaincus que vous pourriez vous battre jusqu’au bout pour le titre?
KAREL GERAERTS: C’est vrai que tout le monde pensait qu’on allait souffrir après l’interruption, mais rien de tout ça ne s’est passé. En fait, on a simplement continué à bosser comme on l’avait fait depuis le début de la saison. On a fait un stage en janvier et les liens se sont encore renforcés là-bas. Il y avait de l’intérêt pour plusieurs joueurs mais tout le monde a dit: On reste ensemble jusqu’à la fin du championnat. C’était l’idéal pour que le groupe reste calme. Pour le reste, on a continué à travailler dur et on a essayé de montrer quelque chose d’intéressant chaque week-end.
Il y a des footballeurs qu’il faut gâter parce qu’ils ont des qualités que les autres n’ont pas.» KAREL GERAERTS
Quel a été ton apport, en tant qu’adjoint de Felice Mazzù?
GERAERTS: Je le soutenais, je discutais avec les joueurs, j’ouvrais l’œil à tout moment, je regardais un peu partout. Toujours en ayant en tête que je devais être au service du coach principal et du club.
Tu n’es pas un peu trop modeste? Parce qu’on voyait que pendant les matches, tu jouais un rôle essentiel.
GERAERTS: Pendant les matches, je faisais ce que mon instinct me commandait, j’y allais au feeling. Felice me donnait des responsabilités et me laissait une certaine liberté. C’était un travail d’équipe. Il était le capitaine, on ouvrait l’œil et on lui donnait des conseils quand on estimait que c’était nécessaire. Évidemment, il avait toujours la décision finale.
Mais il t’arrivait régulièrement de lui donner des conseils tactiques ou de le tuyauter sur des changements?
GERAERTS: Oui, ça se passait effectivement comme ça. Ça faisait partie des responsabilités qu’il me confiait. Quand tu es le T1, et je le constate maintenant, tu es parfois tellement pris par le coaching qu’il y a des trucs que tu ne vois pas nécessairement. Moi, depuis le banc, je voyais tout ça. Parfois, il y avait des choses qu’on avait abordées pendant la semaine et que je devais lui rappeler dans le feu de l’action.
À la fin du mois de janvier, vous avez battu Anderlecht. Aujourd’hui, vous en êtes à cinq victoires consécutives contre ce club. Est-ce que ce sont des matches particuliers pour un groupe où il n’y a en fait pas de joueurs bruxellois?
GERAERTS: Il ne faut pas se mentir, les matches contre Anderlecht sont des gros matches pour mes joueurs, comme ceux qu’ils jouent contre Bruges, le Standard et Genk. Le parfum du derby, c’est surtout chez les supporters qu’on le retrouve, chez les Bruxellois qui sont derrière l’Union depuis leur plus jeune âge. Ceux-là ont un lien émotionnel avec les matches entre l’Union et Anderlecht.
Les joueurs le voient et ça leur donne encore un peu plus de grinta. Le coach a donc tout intérêt à rappeler l’importance du derby à ses joueurs, il serait idiot de ne pas jouer là-dessus. Mais il ne faut pas non plus forcer le trait, parce que ça ne marcherait pas. Si vous êtes dans l’exagération, ça fonctionnera une fois, mais pas deux. Vous ne serez plus pris au sérieux. La troisième fois, ils ne vous écouteront même plus. Donc, l’entraîneur doit bien choisir ses mots, trouver des formulations qui auront un impact sur le groupe.
Mazzù était un spécialiste pour motiver ses joueurs le jour de matches par des discours bien sentis. Tu le fais aussi?
GERAERTS: Oui, je trouve que c’est super important. Sur ce plan-là, j’ai beaucoup appris de lui. Ses speeches pouvaient partir dans tous les sens, il pouvait parler du match en lui-même, mais aussi de trucs qui n’avaient rien à voir avec le foot. Moi aussi, je suis convaincu que c’est très important de pouvoir toucher les joueurs. Il faut pouvoir leur faire comprendre, et ce n’est pas toujours simple, qu’au coup d’envoi de chaque match, ils repartent de zéro. Pendant la première partie de cette saison, on jouait souvent un match tous les trois jours et je devais continuer à transmettre ce message, donc je le colorais chaque fois d’une façon différente. Le contenu est toujours le même, finalement: les joueurs doivent oublier le match précédent. Ce n’est pas parce que tu l’as gagné que tu commences le suivant en menant d’un but.
L’équipe de l’Union est un vrai bloc. C’était le cas la saison dernière, c’est encore vrai aujourd’hui. Qu’est-ce que tu as fait concrètement pour favoriser ça, d’abord comme adjoint, maintenant comme entraîneur principal?
GERAERTS: Je ne dirais pas que le groupe est un bloc, je dirais carrément que tout le club est un bloc. On a très vite accès au président, au directeur technique, au directeur général. Dès le premier jour, j’ai essayé d’installer une culture avec Chris O’Loughlin et d’autres personnes. Avant, c’était un peu le chaos, tout le monde faisait un peu ce qu’il avait envie de faire. On est partis de zéro pour installer une culture footballistique dans le club, petit à petit. Parfois, il y avait des réticences. Mais on n’a jamais lâché et on a trouvé la bonne voie. Aujourd’hui, on doit tout faire pour que cette culture soit encore plus solide.
Ronny Van Geneugden et Adrie Koster sont les entraîneurs qui m’ont le plus appris.» KAREL GERAERTS
D’où venaient ces vents contraires?
GERAERTS: Quand vous demandez à certaines personnes de quitter leur zone de confort, de travailler autrement, de travailler plus, il y en a toujours qui ne sont pas partantes. Si vous avez toujours été habitué à vous échauffer cinq minutes, et si on vous demande subitement de faire passer votre échauffement à un quart d’heure, ce n’est pas nécessairement agréable. Mais c’était la seule solution pour devenir un club stable et pouvoir concurrencer les meilleures équipes belges.
MOMENT 2 CLUB BRUGES-UNION 1-0 11 MAI
Pour quelqu’un comme toi qui détestes perdre, cette défaite a dû faire très mal.
GERAERTS: À tous les gens de l’Union, ça a fait très mal. Surtout qu’on avait laissé passer une chance unique en perdant chez nous contre Bruges trois jours plus tôt. Personne n’a oublié notre penalty raté. Chez eux, on a égalisé et notre but a été invalidé. Une décision correcte de l’arbitre. Au bout du compte, on n’a pas réussi à battre le Club une seule fois. Pour moi, c’est dans ces confrontations directes qu’on a perdu le titre. Gagner au moins une ou deux fois sur quatre contre l’adversaire direct, c’est une qualité.
Vous auriez gagné le championnat si vous aviez eu Simon Mignolet dans votre but?
GERAERTS: Je pense que n’importe quel club aurait quelques points de plus avec Mignolet dans son but. Il a joué à un niveau exceptionnel la saison dernière et il a poursuivi sur sa lancée entre-temps. Maintenant, dire qu’on aurait gagné le titre avec lui dans notre but? Je n’en sais rien. Je peux seulement dire que si Bruges ne l’avait pas eu, on aurait pris quelques points en plus. Mais je ne voudrais pas un autre gardien qu’Anthony Moris. Il joue un rôle capital à l’Union, sur le terrain et dans le vestiaire. Je ne l’échangerais contre personne, même pas contre Simon Mignolet.
Pendant ta très belle carrière de joueur, quel est l’entraîneur qui t’a le plus appris?
GERAERTS: Ronny Van Geneugden à Oud-Heverlee Louvain. Sa vision du football était enrichissante. Je citerais aussi Adrie Koster à Bruges pour la façon qu’il avait de transmettre sa philosophie au groupe. Il venait de l’Ajax où on pratique un jeu avec énormément de mouvements. Grâce à ses entraînements, on a commencé à jouer de mieux en mieux. On avait l’impression de ne rien faire de bien spécial, mais quand on y réfléchissait, on comprenait qu’on travaillait très souvent avec le ballon et que le passing occupait une place essentielle dans le contenu des entraînements. Il arrive un moment où ça se retrouve dans le jeu de l’équipe.
C’est étonnant que tu cites ces deux coaches parce que tu as aussi bossé avec de grands noms comme Trond Sollied, Michel Preud’homme, Jacky Mathijssen et Dick Advocaat notamment.
GERAERTS: Oui et j’ai aussi côtoyé Felice Mazzù, mais si je ne dois en citer que deux, je prends Van Geneugden et Koster.
Tu es parti au Club Bruges dès l’âge de seize ans. Avec le recul, tu ne te dis pas que c’était trop tôt?
GERAERTS: Non. À ce moment-là, j’avais pas mal de possibilités, mais le fait que le Club soit entraîné par Eric Gerets, ça a fait pencher la balance. Son fils Johan était un de mes meilleurs potes et la famille m’a hébergé. C’était magnifique.
Mais ça ne doit pas être évident de se retrouver à seize ans tout seul à l’autre bout de la Belgique?
GERAERTS: Clairement. J’ai dû abandonner ma famille et mes amis à Maasmechelen. J’ai eu des moments difficiles. Les premières semaines, surtout, je ne savais pas trop où j’étais. Et je ne comprenais rien du tout au flandrien qu’on parlait à l’école. Tout me manquait: ma maison, mes parents, mes frères, mes amis. Mais j’ai fait des nouvelles rencontres petit à petit et je me suis épanoui.
Entre-temps, la ville de Bruges représente quelque chose de particulier pour toi?
GERAERTS: Oui, et j’y habite toujours. Mes enfants sont nés à Bruges et vont à l’école dans la ville. J’y ai passé plus de la moitié de ma vie.
Et tes enfants supportent quel club?
GERAERTS: Là, je dois faire attention à ce que je dis… Ils sont d’abord fans de l’Union et ils assistent régulièrement à des matches avec ma femme, aussi bien en déplacement qu’à domicile. Ils supportent aussi le Club et il y en a un qui a choisi le Cercle.
À la maison, on te demande parfois quand tu entraîneras le Club?
GERAERTS: Avec l’innocence de la jeunesse, ils me disent que je le ferai peut-être un jour.
Ça joue dans ta tête?
GERAERTS: Franchement, quand je suis devenu entraîneur de l’Union il y a quelques mois, ce n’était pas du tout planifié. Personne n’avait prévu que Felice Mazzù allait partir. Pour le reste, c’est très simple: j’écouterai tout ce qu’on me proposera. Mais on a beau en parler pendant des jours si on veut, je ne laisse pas d’énergie là-dedans.
MOMENT 3 FELICE MAZZÙ QUITTE L’UNION POUR ANDERLECHT 31 MAI
Quand as-tu compris que Felice Mazzù allait partir?
GERAERTS: J’ai eu une relation très correcte avec lui pendant deux ans. Et sans qu’il m’en parle dans le détail, je savais qu’il allait peut-être se passer quelque chose. C’était logique qu’il y ait de l’intérêt pour lui après le titre en D1B puis la confirmation en D1A. Un jour, il m’a appelé, il m’a dit qu’Anderlecht le voulait et il me proposait de l’accompagner là-bas. Je lui ai répondu: J’étais ton bras droit, je t’ai toujours soutenu, donc je vais écouter les gens d’Anderlecht. Quand un club pareil vous propose quelque chose, vous ne dites pas non directement. Ils m’ont expliqué leur projet pour les prochaines années.
Le lendemain ou le jour d’après, l’intérêt d’Anderlecht pour Felice est devenu officiel. Et là, tout s’est emballé. J’ai dit ceci aux patrons de l’Union: Je suis flatté que Felice veuille m’emmener à Anderlecht, mais comment voyez-vous mon rôle à l’Union dans un futur proche? Deux heures plus tard, l’ensemble de la direction – Philippe Bormans, Chris O’Loughlin et Alex Muzio – m’a dit que si Felice partait à Anderlecht, il y avait unanimité pour que je devienne entraîneur principal. Ils m’ont demandé si je le sentais. J’ai réfléchi deux secondes puis répondu que je le sentais bien, évidemment. J’ai écouté mon ventre. Bien sûr, j’en avais déjà discuté avec ma femme et mon agent, Evert Maeschalk. Et donc, quand la direction m’a posé la question, ma réponse était prête.
Quand les patrons de l’Union m’ont proposé de devenir T1, ma réponse était prête.» KAREL GERAERTS
MOMENT 4 KAREL GERAERTS SUCCÈDE À FELICE MAZZÙ 9 JUIN
Pendant ta conférence de presse de présentation, tu t’es montré très sûr de toi. Tu as bien répondu à toutes les questions, aussi bien en français qu’en néerlandais. Ce n’était pourtant pas un cadeau de devenir T1 de l’Union après une saison pareille.
GERAERTS: Je m’étais déjà préparé. Je savais dans quel genre de truc je m’aventurais, mais en même temps, j’avais des points d’interrogation parce que tout est différent quand tu passes d’adjoint à T1. Mais j’étais convaincu de mes compétences, je savais quel genre de jeu je voulais imposer, je savais comment faire passer mes messages aux joueurs. J’ai commencé mon job avec beaucoup d’énergie positive tout en sachant qu’il fallait former un nouveau staff et que de nouveaux joueurs allaient arriver.
Tu as toujours eu l’ambition de devenir entraîneur principal?
GERAERTS: Bonne question. J’avais certainement cette ambition, mais je ne m’impatientais pas derrière Felice. Cette promotion, je ne l’ai jamais forcée. À aucun moment.
Ton père a dit un jour que tu avais un tempérament fonceur, mais que tu étais aussi le plus calme de ses trois fils. Tu confirmes?
GERAERTS: Parfois, je peux effectivement être très calme. Quand je suis dans un groupe, j’aime bien écouter les gens, j’aime l’interaction. Si je me retrouve dans la même pièce que José Mourinho et d’autres grands entraîneurs, je serai très calme. Parce que je sais que des gars pareils peuvent m’apprendre plein de choses. Dans des situations pareilles, je respecte la hiérarchie. Je trouve ça très important. Aux repas de famille, quand mon grand-père ou ma grand-mère parle, je ne ressens pas le besoin d’intervenir. Par contre, quand j’ai des responsabilités, quand je dois diriger, je ne me tais plus. Pour un entraîneur principal, la communication est cruciale. Il faut avoir une très bonne communication avec le club, les supporters, le staff et surtout les joueurs. Et là, je ne parle pas des onze titulaires mais de 25 personnes.
Marc Degryse affirme que tu es né pour ce métier. Et Kris Van Der Haegen, le directeur de la formation des entraîneurs, dit que tu es promis à un bel avenir. Ça flatte ton ego?
GERAERTS: Ma femme me dit souvent ça aussi. Elle me dit que c’est mon truc, que je suis fait pour ça. Si je croise en rue un supporter qui me demande ce que je pense d’un match bien précis, elle sait que je suis parti pour une demi-heure. J’aime le foot, le jeu, tout. On dit parfois que c’est un milieu difficile et pas très clean et c’est vrai que j’ai vécu beaucoup de choses quand j’étais joueur, aussi des trucs moins positifs. Mais le football est comme la société, il y a des aspects positifs et négatifs. Tout est une question d’approche. Il faut faire en sorte de pouvoir se regarder dans un miroir. En tout cas, je confirme que j’aime bien le foot!
Si vous êtes dans l’exagération, ça fonctionnera une fois mais pas deux, vous ne serez plus pris au sérieux.» KAREL GERAERTS
Certains joueurs et entraîneurs ne ramènent pas le football à la maison. Toi, tu as quelqu’un avec qui tu peux en parler?
GERAERTS: Oui, ma femme. Elle est super intéressée.
Elle te donne parfois des conseils que tu mets en pratique?
GERAERTS: Pas directement, mais c’est parfois bien de discuter parce que quand tu es jour et nuit dans ton métier, tu es dans une espèce de bulle. Et quand tu reçois un avis d’une personne extérieure à cette bulle, ça peut t’ouvrir les yeux.
Il y a d’autres personnes dont les avis sont importants pour toi?
GERAERTS: C’est peut-être bizarre à dire, mais quand je doute, j’écoute tout simplement mon ventre, mon feeling. J’écoute tous les avis qu’on me donne, mais quand je doute vraiment, je reviens à la base. Je me dis: Ton feeling te dit quoi, Karel? Et c’est ça qui fait pencher la balance.
Ton feeling ne t’a jamais trompé?
GERAERTS: Jamais, ou rarement en tout cas. Parfois, le résultat est négatif, mais mon feeling était le bon. Le plus important, c’est d’envisager toutes les options à l’avance. Et si je n’arrive pas à trancher, j’en reviens à mon feeling.
Mais si tu expliques à un joueur que tu as pris ta décision en fonction de ton feeling, il va d’office le comprendre?
GERAERTS: Si vous êtes honnête avec les joueurs, vous n’aurez pas beaucoup de problèmes. Évidemment, on a parfois des discussions qui ne sont pas agréables. Si je dis à un joueur qu’il ne va pas jouer parce qu’il a mal fait ceci ou cela, ça peut être dur. Mais j’ai passé suffisamment d’années dans des vestiaires en tant que joueur et je sais comment ça se passe. Les joueurs entre eux parlent du coach. Et donc, je trouve important d’être ouvert et honnête. Je ne veux pas inventer des histoires parce qu’elles vous reviennent toujours à la face, comme un boomerang.
MOMENT 5 UNION – RANGERS 2-0 2 AOÛT
Vous avez arraché une victoire convaincante contre une équipe qui avait joué la finale de l’Europa League trois mois plus tôt. Après ce match, tu as dit que ce résultat n’était pas une surprise pour toi. Tu le pensais vraiment?
GERAERTS: Oui, vraiment. On avait fait un scouting approfondi des Rangers. C’est une équipe qui essaie de jouer au foot et on aime bien ça. Et puis mes joueurs étaient terriblement motivés par ce rendez-vous.
Une semaine plus tard, vous vous êtes inclinés 3-0 à Ibrox. Qu’est-ce qui a foiré?
GERAERTS: C’est très simple, on n’était pas prêts mentalement pour gérer le déroulement du match. On était très bien organisés, mais on a oublié de jouer quand on avait le ballon. On avait un plan mais on n’a pas réussi à le mettre en place. Pour moi en tant qu’entraîneur, ça a été une excellente leçon. Je n’ai pas réussi à faire jouer mon équipe. J’en ai tiré des conclusions.
Ibrox, c’est l’une des ambiances les plus impressionnantes en Europe!
GERAERTS: Je me suis peut-être trop focalisé sur les circonstances de ce rendez-vous. Mais ce qui est aussi important, c’est que mes joueurs ont eux aussi tiré des leçons de cette élimination. Plus tard, sur le terrain de l’Union Berlin, on a montré comment il fallait s’y prendre. Clairement, si on avait joué de la même façon à Ibrox, on serait passés les doigts dans le nez.
Quand tu jouais, tu étais toujours prêt mentalement pour chaque match? Ou tu avais besoin que ton entraîneur te stimule?
GERAERTS: J’essayais de me préparer moi-même. Le football n’était pas le même il y a dix ou quinze ans, on était plus livrés à nous-mêmes.
Quand tu observes tes joueurs dans le vestiaire, il y a parfois des trucs qui t’étonnent chez eux?
GERAERTS: Non, ils sont différents et c’est très bien. Chacun a sa propre identité dans la vie de tous les jours, chacun a son background et son caractère. On ne peut pas avoir 25 Karel Geraerts dans un groupe. En début de saison, je leur ai dit qu’il y avait un mot que je trouvais super important: le respect. Celui qui respecte ses coéquipiers n’aura pas de problème avec moi. Pour résumer, mes joueurs peuvent rester eux-mêmes, c’est d’ailleurs comme ça qu’on est le plus performant.
MOMENT 6 UNION BERLIN – UNION 0-1 8 SEPTEMBRE
Pour votre premier match en phase de poule de l’Europa League, vous vous êtes déplacés à l’Union Berlin qui était alors en tête du championnat d’Allemagne. Comment tu as convaincu tes joueurs qu’ils pouvaient gagner là-bas?
GERAERTS: J’ai surtout été franc avec eux. Je leur ai dit qu’en scoutant cette équipe, j’avais failli tomber de ma chaise. Elle avait tout: le jeu en profondeur, le physique, la technique. En leur parlant comme ça, j’ai essayé de provoquer un électrochoc. Tout le monde a compris qu’on allait affronter un adversaire hyper solide. Puis j’ai ajouté: On ne va pas là pour faire de la figuration, mais pour gagner. On avait un plan, il a parfaitement fonctionné.
Avant la campagne européenne, on avait lu et entendu que la participation de l’Union Saint-Gilloise n’était pas une bonne chose pour le coefficient de la Belgique. Il t’arrive de t’inspirer d’articles de journaux pour préparer tes discours aux joueurs?
GERAERTS: J’utilise rarement des commentaires négatifs qui sont faits sur nous. Avant notre match contre Anderlecht cette saison, on m’a demandé si j’allais reprendre des astuces de Felice Mazzù pour motiver mes joueurs. Pas du tout. Je pars toujours de nos propres forces et c’est de tout ça que je parle avec eux.
Le jour où tu as été présenté, tu as dit que tu allais imposer tes propres accents. Tu peux en dire plus?
GERAERTS: Je veux produire un football moderne. Pour y arriver, il faut évidemment que les joueurs soient en ordre physiquement. Ils doivent être capables de courir beaucoup, et vite. Le premier truc sur lequel je mets l’accent, c’est la production de jeu.
Tu insistes plus là-dessus que Felice Mazzù?
GERAERTS: Il le faisait aussi, mais je veux encore plus construire depuis l’arrière. Bien sûr, je n’ai pas jeté la base installée par Felice. J’aurais été idiot de faire ça. Mais petit à petit, sans avoir l’air d’y toucher, on a réussi à jouer encore plus. Et on a plus de variantes aujourd’hui, on sait jouer de plusieurs façons. C’est une arme supplémentaire.
On dit souvent que la saison de la confirmation est la plus compliquée, mais vous êtes à nouveau dans le groupe de tête.
GERAERTS: C’est vrai et il ne faut pas être aveugle, il y a énormément de travail et de dépense d’énergie derrière ce résultat. Je parle de toutes les personnes du club. Prenez la réalité du Club Bruges. Là-bas, il y a une culture de la gagne, il faut gagner tous les matches. C’est la mentalité des joueurs, du staff, de la direction, des supporters. Et c’est comme ça depuis longtemps. Chez nous, c’est tout nouveau. Et je dois m’employer en permanence pour imprimer ça chez chacun.
MOMENT 7 UNION – GENK 1-2 11 SEPTEMBRE
Genk et l’Union sont les deux meilleures équipes du championnat et elles ont toutes les deux un entraîneur limbourgeois. En quoi te sens-tu limbourgeois?
GERAERTS: Je ne le sens pas spécialement, mais je suis fier de l’être. Je suis fier de mes racines. On fait parfois des blagues sur les Limbourgeois, même mes enfants le font à l’école. Et je leur fais alors remarquer qu’ils ont du sang limbourgeois.
Tu as grandi à Opgrimbie, un petit village de quelques milliers d’habitants.
GERAERTS: C’est un village multiculturel. On y trouve plein de nationalités. Sur ce plan-là, j’estime donc avoir reçu une éducation très riche. Avoir été confronté à des cultures différentes dès mon plus jeune âge, j’estime que c’est un atout, une plus-value.
Ça veut dire que les portes de la maison de tes parents étaient ouvertes à tout le monde?
GERAERTS: Oui, malgré le fait qu’ils travaillaient vraiment beaucoup. Ils avaient un élevage de volaille et ils bossaient sept jours sur sept. On devait leur donner un coup de main. Ils avaient 25.000 poules, et le dimanche, de huit heures du matin à midi, on devait récupérer les œufs et les mettre dans des boîtes. Après ça, on pouvait aller à la librairie et acheter deux ou trois pochettes d’autocollants Panini. On était heureux! Quand on compare les époques… Maintenant, si je suis au Delhaize avec mon plus jeune gamin, il me demande s’il peut en prendre et je lui en offre cinq pochettes en une fois. C’est la norme, aujourd’hui. Quand j’étais gosse, il fallait travailler pour recevoir quelque chose.
On gâte trop nos enfants?
GERAERTS: J’ai parfois l’impression qu’on les protège trop. Il y a des moments où ça m’inquiète un peu. Je me demande si on les éduque de la bonne façon, je me dis qu’on ne les prépare peut-être pas à devenir autonomes.
Et les footballeurs, on les gâte trop?
GERAERTS: Parfois, oui. Maintenant, gâter quelqu’un, ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Il y a des footballeurs qu’il faut gâter parce qu’ils ont des qualités que les autres n’ont pas. Mais on doit alors avoir un discours ouvert et leur faire comprendre que si on les privilégie, ils doivent aussi donner quelque chose en retour.
MOMENT 8 STANDARD – ANDERLECHT EST INTERROMPU APRÈS DES DÉBORDEMENTS DE SUPPORTERE 23 OCTOBRE
Ces derniers mois, on a assisté à des scènes où des supporters arrêtaient des matches, ce qui illustre leur pouvoir. Tes joueurs et toi, vous partez du principe que ça pourrait aussi vous arriver?
GERAERTS: C’est un sujet difficile. Pour moi, c’est inacceptable que des supporters puissent décider de l’issue d’un match. On a connu ça chez nous aussi en fin de saison dernière, quand des supporters du Beerschot ont provoqué des incidents. Le match a dû être arrêté. C’était 1-1 à ce moment-là et on a gagné sur le tapis vert. J’imagine que les gens de Bruges n’étaient pas heureux de cette décision.
Ça me dérange que les supporters aient ce pouvoir. Pour moi, ils peuvent se manifester et on peut les impliquer dans certaines décisions au niveau de l’ambiance et des activités dans le stade, mais ils ne peuvent pas avoir la faculté de décider d’une victoire ou d’une défaite.
Les comportements violents reprennent le dessus, tu as une explication à ce phénomène?
GERAERTS: Il y a des sanctions, mais elles sont peut-être insuffisantes. Lorin Parys, le CEO de la Pro League, veut faire quelque chose, mais ce ne sera pas simple. Pour ça, il faut la collaboration des clubs et des fédérations de supporters. Il faut aussi dialoguer avec les supporters, leur expliquer où on veut en venir. Évidemment, ce sera impossible de convaincre les noyaux durs, mais il y a alors d’autres instances, comme la police, pour intervenir auprès d’eux. Par contre, les vrais fans, ceux qui aiment le foot et leur équipe, on saura les raisonner. Et ceux qui ne veulent rien entendre, il faut les punir durement.
MOMENT 9 ESPAGNE – ALLEMAGNE 1-1 27 NOVEMBRE
Espagne – Allemagne a été un des plus beaux matches de la Coupe du Monde avec la la vitesse d’exécution, du tempo, de l’intensité. Quand tu regardes un spectacle pareil à la télé, ça te fait baver?
GERAERTS: Absolument. Je trouve que l’Allemagne était une des équipes qui jouaient le mieux au foot. J’ai regardé leur première mi-temps contre le Japon sur mon téléphone, c’était du vrai jeu. Et puis il y a eu ce match contre l’Espagne. C’est incroyable comme les Espagnols arrivent à associer qualité, technique, physique, intelligence, maniement du ballon, lignes de course, bons choix. Les Allemands sont habitués à jouer des matches de haut niveau chaque week-end, mais ils étaient vraiment dans le dur en première mi-temps. Et ils ont quand même réussi à inverser le cours des événements. Ils ont cette qualité-là.
Je n’ai pas réussi à faire jouer mon équipe au match retour contre les Rangers, j’en ai tiré des leçons.» KAREL GERAERTS
Le foot a énormément évolué depuis l’époque où tu jouais. Quels ont été, pour toi, les changements les plus frappants?
GERAERTS: C’est surtout devenu plus complet et plus intensif. Dans le temps, on pouvait faire basculer un match dans les dix dernières minutes parce qu’on savait qu’on était physiquement plus forts. Aujourd’hui, presque toutes les équipes sont capables de se défoncer jusqu’à la dernière seconde. Et tout le monde sait jouer. Quand je jouais, il y avait encore des gars qui avaient un niveau limité et des missions bien précises: récupérer des ballons ou simplement courir beaucoup. Maintenant, les onze joueurs d’une équipe savent donner une bonne passe, contrôler un ballon, se défaire d’un marquage. Tout le monde maîtrise très bien les bases, à un très bon niveau.
Il y a des sélectionneurs ou des entraîneurs à l’étranger que tu observes particulièrement? Tu as des modèles?
GERAERTS: Non, pas vraiment. Mais je suis le parcours de Sérgio Conceição. J’ai joué avec lui au Standard et on a encore des contacts. Ce qu’il fait, c’est très bien. Je l’ai interviewé à Porto pour Eleven.
Ça te tenterait d’entraîner à l’étranger?
GERAERTS: Je ne dirais pas non.
MOMENT 10 BELGIQUE – CROATIE 0-0 1ER DÉCEMBRE
Tu peux encore regarder un match des Diables Rouges comme un supporter?
GERAERTS: Contre la Croatie, j’ai regardé en étant supporter et entraîneur. Je voulais regarder ce match en tant que Belge, fier d’être derrière les Diables rouges. Et donc, j’ai juré comme tout le monde quand le ballon ne voulait pas rentrer. Mais j’ai aussi regardé d’une autre manière.
Et qu’est-ce que tu as vu?
GERAERTS: C’est toujours facile de critiquer après coup. Je ne connais pas la maison, je ne connais pas Roberto Martínez. Et je ne sais pas comment il a vécu ce match depuis son banc. Mais après avoir entendu tout ce que j’ai entendu, je l’aurais peut-être abordé autrement. Par exemple, il y avait le problème des attaquants. Ça me semblait clair depuis plusieurs mois que Romelu Lukaku allait être un problème. Sa blessure ne voulait pas guérir. Évidemment, le coach espérait qu’il serait rétabli à temps, mais pendant les semaines et les mois qui ont précédé la Coupe du monde, si j’avais été à sa place, j’aurais essayé d’autres attaquants. On sait de quoi Michy Batshuayi est capable, mais les autres?
À qui penses-tu?
GERAERTS: Je ne suis pas le football belge d’une façon aussi approfondie que Martínez, mais je sais que Dante Vanzeir est bon. Et il était en forme au moment de la Coupe du monde. Loïs Openda fait de très bonnes choses en France, mais en équipe nationale, il a joué à peine plus de l’équivalent d’un match complet. En l’alignant aussi peu, tu ne peux pas savoir de quoi il est capable et ce qu’il ne sait pas faire. Pourquoi ne pas avoir fait ces tests avant le tournoi? Parce que quand tu as un Lukaku qui n’est pas rétabli et un Batshuayi qui n’est pas dans son assiette, tu as besoin de quelqu’un d’autre.
Depuis le blanc, je voyais des trucs que Felice Mazzù qu’il était dans le feu de l’action.» KAREL GERAERTS
Contre la Croatie, on avait, devant, des joueurs qui n’avaient jamais évolué ensemble. Dries Mertens et Leandro Trossard ont déjà joué en pointe dans leur club, mais c’est toujours mieux de faire l’essai en équipe nationale. Je m’interroge aussi par rapport à Eden Hazard. Ça fait longtemps qu’il n’est pas à son meilleur niveau au Real. Je trouve très bien que Martínez ait continué à lui donner du crédit, j’applaudis même. Mais il arrive un moment où tu dois avoir un plan B et un plan C.
Tu as côtoyé la génération dorée à ses débuts.
GERAERTS: Oui j’ai joué avec Jan Vertonghen, Thomas Vermaelen, Toby Alderweireld, Eden Hazard. C’est fantastique ce qu’ils ont fait entre-temps. Évidemment, ils n’ont pas livré un bon tournoi au Qatar, ils en sont parfaitement conscients. Ça aurait pu être bien mieux, mais ils ont quand même mis la Belgique sur la carte du football mondial. Personne d’autre ne l’avait fait avant eux. On avait une bonne génération en 1986, mais la dorée a fait en sorte qu’il est devenu normal de se qualifier d’office pour les Coupes du monde et les EUROS. Avec eux, les matches éliminatoires sont devenus des formalités. Alors que beaucoup de pays doivent batailler pour y arriver. On a été gâtés avec ces joueurs qui sont maintenant critiqués trop durement.
Quand ce n’est pas bon, on peut évidemment le dire, mais on aurait peut-être dû plus les soutenir. Parce qu’ils avaient vraiment besoin de nous. Ce groupe aurait mérité des encouragements parce qu’il nous a enchantés pendant une dizaine d’années.
Qu’est-ce que tu as pensé quand tu as côtoyé Eden Hazard pour la première fois chez les Diables?
GERAERTS: Je n’oublierai jamais mon premier match avec lui. Le coup d’envoi était à 20 heures, et une heure avant, on lui a amené des nouvelles chaussures. Il les a mises et il est parti à l’échauffement. N’importe quel autre joueur aurait pris le temps d’essayer, de s’habituer, de voir si les godasses lui convenaient. Pas lui. Eden était comme ça, il est toujours comme ça aujourd’hui. Il n’a jamais changé et ça lui a permis de faire une grande carrière.
Tu ne trouves pas qu’il aurait pu ou dû faire mieux, avec un talent pareil?
GERAERTS: Aucune idée. S’il avait été plus sérieux, il aurait peut-être pris moins de plaisir et moins bien joué. Sa nonchalance était justement sa force. Il ressentait très peu de pression et ça avait une incidence positive sur son jeu. Tout le monde signerait pour avoir une carrière comme la sienne, et elle n’est pas finie.
Il pourrait venir renforcer l’Union au mercato?
GERAERTS: Il serait le bienvenu.
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