Dans le football amateur, les transferts se négocient aussi à des prix parfois démesurés. © BELGAIMAGE

Jusqu’à plus de 3.500 euros pour quitter son club, parfois 1.000 euros le prêt d’un an: le business (trop) juteux du foot amateur

Agé de moins de 25 ans, un footballeur amateur désireux de changer de club oblige presque systématiquement à passer à la caisse. Un curieux business qui coûte cher et demeure illégal.

Comme souvent, tout semble partir d’un bon sentiment. Fin mars 2019, Rachid Madrane, ministre des Sports en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), intervient au micro de la RTBF: «J’ai été alerté par de très nombreux parents confrontés à cela. Il était inacceptable que ce soit les familles qui doivent payer. Souvent, ce sont les familles les plus précarisées le plus pénalisées.» Par «cela», le socialiste entend parler des indemnités de formation, des frais dus par les clubs lorsqu’ils enregistrent l’arrivée d’un nouveau joueur âgé de 6 à 21 ans. Plusieurs centaines d’euros, voire plusieurs milliers, sont alors régulièrement réclamés aux parents. Le ministre Madrane souhaite ainsi siffler la fin de la récré: après avoir mis les clubs amateurs dans la boucle, le décret portant sur le mouvement sportif organisé en Communauté française est promulgué le 3 mai 2019. Mais si, dans les faits, les parents paraissent moins sollicités pour mettre la main au porte-monnaie, le système, lui, n’a pas vraiment changé.

Le système de location

Sur le papier, les ajustements sont là: en cas de «mouvement» d’un apprenti footballeur âgé de 6 à 21 ans, le club qui accueille ce dernier ne doit plus s’acquitter des frais de formation. Ces frais, calculés en fonction du nombre d’années passées au sein d’un ou plusieurs clubs, sont désormais uniquement à verser quand le joueur s’est désaffilié et qu’il évolue sous d’autres couleurs en équipe première, c’est-à-dire avec les adultes, avant ses 25 ans. Le plafond de ces indemnités est actuellement fixé à 3.785,80 euros et le calcul reste le même pour tous, quel que soit le niveau du club ou de la formation suivie. Pour compenser, les clubs amateurs peuvent bénéficier de l’octroi d’une indemnité lorsque leur formation est labellisée. Une petite avancée, ou un «garde-fou» selon l’ACFF, l’aile francophone de l’Union belge de football, qui souligne par écrit la fin «d’un système où le club demandait ce qu’il voulait pour le transfert du joueur amateur de moins de 35 ans».

Le temps du «football à papa», celui de l’époque où des footeux de tout âge pouvait signer dans une nouvelle équipe en échange de 200.000 francs belges, serait enfin révolu. Mais le «garde-fou» installé à la faveur du printemps 2019 continue de conditionner les rapports entre les clubs amateurs, et en particulier à l’heure de délier les cordons de la bourse. A l’instar du monde professionnel, le marché des transferts ferme ses portes le 31 août et peut, dans la précipitation, susciter un certain nombre d’écarts. Pour opérer son «mouvement», le jeune joueur de football a devant lui deux options: soit il se désaffilie et expose ainsi son futur club, voire ses proches, au paiement d’une indemnité une fois qu’il aura rejoint la catégorie senior; soit il est transféré définitivement ou bien «loué» à une autre équipe pendant une saison, à chaque fois moyennant finances. De nos jours, les clubs amateurs francophones (1) privilégient en grande majorité le système de location.

«Reste à voir sur base de quoi ils négocient: échange d’argent, accords pour un tournoi, un fût de bière…»

Des barêmes au doigt mouillé

C’est là que le bât blesse. Ni l’ACFF ni une quelconque instance externe n’opère un contrôle afin de réguler le marché. Dans le but d’esquiver les indemnités de formation, les clubs qui font affaire négocient ainsi sur la base de barèmes établis par leurs soins, quand ils ne s’arrangent pas à la tête du client, si ce n’est au doigt mouillé: les rares entités qui confient leurs tarifs évoquent un prix variant entre 250 et 350 euros par saison pour le «prêt» d’un joueur vers une équipe du dernier échelon, avant de monter vers les 1.000 euros à l’approche de l’élite provinciale. Si tous les acteurs souhaitent rassurer sur l’établissement de factures –TVA comprise– entrées dans la comptabilité des asbl, la manne financière générée n’apparaît pas sur les ordinateurs de l’ACFF. Les clubs sont simplement tenus d’envoyer un document stipulant le transfert d’un joueur, et non son montant.

Il convient surtout de noter que, d’après le premier paragraphe de l’article 17 du décret de mai 2019, «le passage d’un sportif d’un cercle vers un autre est obligatoirement libre de toute prime de transfert, quelle qu’en soit sa nature». En d’autres termes, rendre payant un «mouvement» définitif ou temporaire s’avère illégal. «Nous ne sommes pas naïfs, nous n’ignorons pas qu’il y a toujours des gens prêts à contourner les lois et les règlements. Nous savons aussi que les clubs ont besoin de toutes leurs plumes pour voler. Reste à voir sur base de quoi ils négocient: un échange d’argent, des accords pour jouer un match amical ou venir à un tournoi, un fût de bière», énumère l’ACFF, qui s’avoue au fait des pratiques, mais «ne souhaite pas faire d’ingérence» dans la gestion des clubs… «Il est possible que quelques clubs mettent un peu trop à profit le système des transferts […] mais ce n’est pas la majorité et la réglementation rend tout de même très difficile l’organisation d’un business souterrain comme d’aucuns voudraient le laisser entendre.»

Prisonniers du garde-fou

Cette volonté de prendre ses distances laisse en tout cas libre cours à l’imagination, aux arrangements et paris en tous genres, et semble avantager les clubs déjà importants en matière de ressources donc de nombre de licenciés. L’enjeu principal reste alors d’avoir la main sur les joueurs formés. Il s’agit de les garder affiliés et d’aligner les prêts aussi longtemps que possible, officiellement pour faire tourner la boutique et rembourser les réels coûts de leur formation, aussi pour répondre à la maxime «plus tu formes, plus tu gagnes». A ce petit jeu, les joueurs se baladent d’une équipe à l’autre, jusqu’aux plus bas niveaux, et certains se retrouvent prisonniers du «garde-fou». «C’est assez pernicieux comme système, souffle le président d’un club liégeois. Si on poursuit la logique, on pourrait bloquer un jeune joueur qui s’est désaffilié ailleurs et qui pourrait jouer avec l’équipe première chez nous, parce qu’on ne veut pas payer ses indemnités de formation.» Et pourtant, au départ, tout semblait partir d’un bon sentiment.

(1) Particularité belgo-belge: les indemnités de formation n’existent pas en Flandre et ne concernent donc pas les footballeurs amateurs qui passent d’un côté et de l’autre de la frontière linguistique.

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