Julien de Sart se confie: « Par rapport au Standard, il y a une cicatrice mais pas de regret »
Ses dix nouveaux kilos de muscles, ses passes chirurgicales, son coeur qui s’est emballé aux portes de la Premier League, son spleen de Sclessin (mais ça, c’est fini), sa relation presque fusionnelle avec Vanhaezebrouck, le fils aîné de Jef se met à table. Et c’est très bon.
Julien de Sart est passé de Courtrai à Gand durant l’été. Un premier bilan: on ne le bouge pas de l’équipe. Il est directement devenu un pilier d’un coach exigeant, sous son charme depuis longtemps il faut dire. Son mode d’emploi, il le détaille dans ce long entretien où il revient aussi sur ses grands moments et ses passages plus sombres.
C’est rare que Hein Vanhaezebrouck fasse des commentaires, positifs ou négatifs, sur un joueur en particulier. Toi, tu en reçois et c’est positif! Tu es une exception.
JULIEN DE SART: C’est vrai, j’ai entendu ses commentaires. C’est lui qui m’a fait venir à Gand. On est en contact depuis longtemps. Ça a commencé quand j’étais au Standard en tout début de carrière, il me félicitait souvent quand on se croisait, on discutait un peu. Quand il a su que j’allais être libre, la saison passée, il m’a appelé. Il m’a invité pour une bonne discussion au complexe d’entraînement au mois de janvier. Il avait envie que je vienne, moi j’avais envie d’un nouveau challenge, tout se mettait bien.
Il aurait pu te contacter quand il était à Anderlecht… Ou alors, ce n’était pas une option pour toi?
DE SART: Non! Il ne faut jamais dire jamais, mais jouer là-bas me paraît très compliqué vu mon passé au Standard.
Comment tu étais sorti de votre discussion, en début d’année?
DE SART: Je n’avais jamais rencontré un coach aussi passionné. Il a des objectifs bien précis, il sait ce qu’il veut et il a une façon de jouer qui me convient. Chaque joueur sait ce qu’il attend, c’est clair pour tout le monde. Il n’a pas peur de multiplier les séances vidéo pour t’expliquer ce que tu dois faire. C’est parfois très théorique, et à certains moments, il nous dit: « Si vous faites ça, on va gagner ». Ça paraît parfois fou, mais il a souvent raison au final. On est toujours préparés à tout, à toutes les options possibles. Si le ballon t’arrive de la gauche, tu sais ce que tu peux faire. S’il vient de la droite, pareil. Tu sais où il y a une possibilité, dans tous les cas. Le joueur qui va recevoir ma passe, il sait comment je pense. Je n’ai pas souvent connu ça dans ma carrière. Maintenant, on dépend aussi toujours de l’adversaire, de ce qu’il a envie de faire. Ça se passe mieux contre les équipes qui essaient de jouer au foot que contre celles qui bloquent tout. Ça s’est mieux passé contre le Club Bruges et Genk que contre le Cercle, ce n’est pas un hasard.
Hein Vanhaezebrouck avait envie que je vienne, moi j’avais envie d’un nouveau challenge, tout se mettait bien. »
Julien de Sart
« Je suis capable d’aller trouver quelqu’un à cinquante mètres »
Pourquoi tu dis que le jeu de Vanhaezebrouck te convient?
DE SART: Je me sens bien dans un système à deux médians défensifs et j’ai l’occasion des donner des diagonales. C’est assez physique dans le pressing, mais j’ai toujours aimé courir, ça ne me dérange pas.
C’est quoi le secret de ton passing chirurgical? C’est une de tes marques de fabrique depuis que tu es pro.
DE SART: Je ne sais pas si on peut parler de secret. C’est une qualité que j’avais au départ et je l’ai toujours beaucoup travaillée. Encore maintenant, chaque semaine. Je suis capable d’aller trouver quelqu’un à cinquante mètres, tout le monde n’a pas ça dans le championnat de Belgique, il faut que je m’en serve. Je fais beaucoup d’exercices avec Danijel Millicevic, qui est maintenant dans le staff. Parfois, je suis dans l’axe et je le cherche sur la ligne. Quand j’étais au Standard avec Guy Luzon, j’étais dans le rond central, on mettait un petit but à quarante ou cinquante mètres, avec un mannequin trois mètres devant, et je devais expédier le ballon dans ce but. Je m’exerçais aussi avec les murs de la salle où on avait un terrain synthétique. Tout le temps des répétitions. S’il y a un secret, je crois que c’est ça.
En refusant l’offre de prolongation de Courtrai, tu prenais le risque de te retrouver sans club.
DE SART: Oui, c’est sûr. Dès le mois d’octobre ou novembre, j’ai dit aux dirigeants que je voulais autre chose. Ce n’était vraiment pas une question d’argent. Simplement, je voulais tenter ma chance à un plus haut niveau. Ils ont bien compris. À partir de janvier, il y a eu de l’intérêt, en Belgique et aussi à l’étranger. J’ai pris le temps de réfléchir. Et la proposition de Gand, ça me paraissait idéal.
Tu regrettais qu’il n’y ait pas assez d’ambition à Courtrai, non?
DE SART: C’est vrai. Là-bas, si tu perds contre un gros club, les gens disent que c’est dommage mais ils passent vite à autre chose. Tu perds contre le Standard? Tu entends: « Oui mais bon, c’était le Standard » . C’est malheureux parce qu’il doit être possible de faire mieux dans ce club. Il y a des bons joueurs, un bon petit public. J’ai l’impression qu’avec un peu plus d’ambition, Courtrai pourrait jouer le top 8. Mais il n’y arrive pas et ça m’a frustré.
« L’organisation à Gand est encore plus poussée qu’en Angleterre »
Tu as dit en arrivant que Gand était « un club réfléchi avec une optique universitaire ». Tu peux expliquer?
DE SART: Ici, tout est réfléchi, tout est analysé de A à Z. La nutrition, la récupération, le sommeil. Quand on arrive le matin, on nous demande comment on a dormi, on doit donner une note entre un et dix. On nous demande comment on se sent. Après les matches, on enfile un pantalon de récupération, ça ressemble aux bas à varices qu’on te donne à l’hôpital quand tu as été opéré, c’est destiné à améliorer la circulation du sang. On est aussi obligés de faire des bains froids. J’ai joué en Angleterre et c’est encore plus poussé ici. On a un GPS à chaque entraînement et il y a un gars sur le terrain avec un iPad qui surveille tous nos déplacements en temps réel. On doit faire un certain nombre de kilomètres à haute intensité et d’autres choses bien précises. Notre charge de travail est contrôlée en continu. Le résultat, c’est qu’après certains matches, on se fait la réflexion qu’on se sent super bien. Même en préparation, on était évidemment épuisés, mais on sentait qu’on pouvait en faire encore un peu plus. On a encore de l’énergie malgré la fatigue. Là, avec la Conference League, on enchaîne les matches mais on se sent bien. Souvent, en fin de match, on est plus frais que les adversaires.
Je me demande parfois comment ma carrière se serait passée si j’avais pu rester au Standard.
Julien de Sart
Vanhaezebrouck t’apprécie, Yves Vanderhaeghe aussi. Il dit que tu t’es débarrassé d’une mauvaise habitude: tu perdais parfois ton foot à cause de tes émotions négatives. Qu’est-ce que ça veut dire?
DE SART: On en a parlé quand on était ensemble à Courtrai. Je ne sais pas si j’étais influencé par mes émotions, mais c’est vrai que j’avais tendance à vite m’énerver, sur les arbitres par exemple. Je ne dis pas que ça suffisait pour me sortir de mon match, mais j’avais l’impression qu’il était contre moi.
Normal, tu es Liégeois, le pays de Calimero…
DE SART: Euh… (Il rigole). Je ne pense pas être quelqu’un de particulièrement irrationnel sur le terrain. Simplement, avec le temps, mon expérience et ma maturité font que je réagis moins au quart de tour. Je fais moins attention aux autres et je reste mieux dans mon match. Entre guillemets, je suis préparé à tous les scénarios.
« Je rêvais d’un parcours comme celui d’Axel Witsel »
Tu avais l’impression d’avoir fait le tour de la question à Courtrai. Ce n’était pas la même chose quand tu avais quitté le Standard, où tu étais aussi resté trois ans en équipe première.
DE SART: Ce n’était pas du tout la même chose, non. À Courtrai, j’ai décidé de partir. Au Standard, on m’a dit que je devais partir. C’était une situation compliquée dans le club en général avec un nouveau président, Bruno Venanzi, qui a remplacé Roland Duchâtelet, avec une multitude de changements d’entraîneurs. En un an et demi, j’ai eu cinq coaches: Guy Luzon, Ivan Vukomanovic, José Riga, Slavo Muslin et Yannick Ferrera.
Tu as ouvert ton palmarès là-bas en gagnant la Coupe de Belgique. Ta consolation?
DE SART: Non, je ne considère pas que je l’ai gagnée. J’ai quitté en janvier pour l’Angleterre, le Standard a gagné la finale en mars. J’ai juste joué au premier tour contre Coxyde, pour moi ça ne suffit pas pour pouvoir dire qu’elle est à mon palmarès. Même si officiellement, c’est le cas.
Ne pas t’être imposé dans la durée au Standard, ça reste une cicatrice pour un Liégeois?
DE SART: (Il réfléchit). Oui! Je me demande parfois comment ma carrière se serait passée si j’avais pu rester là-bas. J’y ai passé dix ans, je voulais aller plus loin. Quand le Standard a été champion deux fois de suite, j’étais à l’académie, j’étais en tribune lors de ces matches-là, j’ai vécu ces soirées comme un gosse. Je rêvais de vivre ça sur le terrain. Axel Witsel était mon idole, j’avais eu son père comme entraîneur. C’était un symbole, un exemple à suivre pour plein de jeunes du Standard. Un Liégeois formé à l’académie, devenu un pilier de la meilleure équipe de Belgique. Je m’identifiais à lui et j’étais loin d’être le seul. Donc, évidemment que ça m’a fait mal de devoir partir après seulement trois ans dans le noyau pro. D’un autre côté, je me suis tellement amusé en Angleterre! J’ai changé d’environnement, de culture, de football. Il y a une cicatrice, mais je n’ai pas vraiment de regret. J’ai juste le sentiment qu’on ne m’a pas donné l’occasion de finir ce que j’avais commencé au Standard. C’est la période où toute la famille a dû partir: mon père, mon frère Alexis, moi. Finalement, personne n’a de regret. Alexis a bien rebondi, moi aussi. On s’est chacun fait un prénom, on a su donner tort aux gens qui disaient que si on jouait en D1 avec le Standard, c’était parce qu’on était les gamins du directeur sportif. Pour nous, c’était lourd d’entendre ça. Et mon père est soulagé d’être sorti du milieu du foot professionnel. Sur la fin, il avait des supporters sur le dos, des banderoles dans le stade. Quand on y pense, avec le recul, c’est quand même fou. On a été vice-champions, mais les supporters étaient furieux, pour eux ce n’était pas assez. Quand je vois la situation sportive du Standard aujourd’hui et le fait que le public reste assez calme, j’ai un peu de mal à comprendre.
Qu’est-ce que tu as appris en Angleterre qui te sert beaucoup maintenant?
DE SART: J’ai surtout appris à gérer mon corps, à travailler avant l’entraînement, à faire des exercices supplémentaires après. Des trucs qui ne me traversaient pas l’esprit avant de partir là-bas. Le jour où je suis arrivé à Middlesbrough, on m’a donné une gourde, des ingrédients pour me fabriquer des shakers, on m’a dit: « Va à la salle là-bas, il y a un monsieur qui t’attend, il va tout t’expliquer, tu travailleras tous les matins avec lui ». J’étais super frêle, comme ça! (Il lève le petit doigt). Le gars m’obligeait à pousser comme un malade. J’ai vite pris du poids, trois ou quatre kilos en une demi-saison. Pour moi, c’était exceptionnel parce que prendre du poids, c’est un truc que je n’étais jamais arrivé à faire. Quand j’ai commencé comme pro au Standard, je faisais 66 kilos. Aujourd’hui, je suis à 76. Et j’ai toujours l’air aussi fin. Mon corps n’a pas beaucoup changé, simplement il y a beaucoup plus de muscle dedans.
Quand j’étais sur le banc dans le stade d’Arsenal, je me demandais si j’appartenais bien à ce milieu-là.
Julien de Sart
Standard, Duchâtelet, rumeurs: « On ne pouvait pas croire que les play-offs étaient truqués »
Tu es maintenant dans un vrai grand club où il faut gagner chaque match. Ça change fort ta vie?
JULIEN DE SART: Oui, mais c’est bien d’avoir de la pression. Ici, que ce soit Bruges ou Genk en face, tu dois être au rendez-vous. Je retrouve l’état d’esprit que j’ai connu en début de carrière au Standard. Chaque week-end, on te faisait bien comprendre que tu n’avais pas droit à l’erreur.
Tu as carrément failli être champion dès ta première saison là-bas! Tu y penses encore? Tu te dis aussi, comme Roland Duchâtelet, que ce championnat-là a peut-être été truqué?
DE SART: On se pose des questions, maintenant. Je me souviens surtout qu’on a fait toute la saison en tête, jusqu’à deux matches de la fin des play-offs.
Comment on vit un choc pareil, quand on a eu largement le temps de se voir champion de Belgique?
DE SART: En fait, je ne réalisais pas encore très bien à l’époque. Je ne me rendais pas compte que je risquais de gagner le championnat alors que je commençais ma carrière. J’étais un peu dans mon rêve, dans une bulle, dans un autre monde. Dans l’émotion, totalement. J’avais 19 ans, j’étais en équipe première, je jouais avec Jelle Van Damme, Mehdi Carcela, Igor de Camargo, tous des gars que j’admirais quand j’allais voir les matches en tribune. C’est maintenant que je réalise que j’ai failli faire un truc de fou. Être champion avec le Standard, pour un Liégeois, pour un joueur qui a appris le foot à l’académie, c’est extraordinaire.
Ce que Duchâtelet a dit entre-temps, ça t’a étonné?
DE SART: Il nous avait déjà parlé de ça pendant les plays-offs. Il ne nous avait pas dit qu’il y avait de la triche, mais il était convaincu qu’il y avait des erreurs d’arbitrage qui jouaient contre nous. Je me souviens qu’on avait fait un meeting pour parler de ça, il nous avait montré des stats et il trouvait ça très bizarre.
Les joueurs croyaient qu’il y avait peut-être des chipotages?
DE SART: Non, on ne pouvait pas croire ça.
Et avec le recul?
DE SART: Ben ça fait mal hein! J’entends des trucs, c’est fou. Mais je ne veux pas y croire, ce n’est pas le foot que j’imagine. C’est trop dur à admettre. Imagine le jeune qui commence sa carrière aujourd’hui, on lui dit des trucs pareils. Ça remet beaucoup de choses en question. C’est inconcevable. Pas normal.
À « ça » de la Premier League
Tu as été trois fois sur le banc en Premier League, mais tu n’as jamais joué. Ne fût-ce qu’une minute, ça aurait changé ta vie?
JULIEN DE SART: Oui, évidemment c’était un rêve. Je suis passé tout près, mais je ne l’ai pas réalisé. Il me manquera toujours ce petit plus si je ne retourne pas en Angleterre. Quand je te dis que je suis passé vraiment très près… On joue avec Middlesbrough à Sunderland, le derby du nord. On fait 0-1, un milieu de terrain demande son remplacement. Le coach m’envoie à l’échauffement. Je m’échauffe, dix minutes, un quart d’heure, vingt minutes, le mec ne sort pas. On rentre au vestiaire pour la mi-temps, le coach lui demande comment il va. Il répond: « Bof! » Alors le coach me renvoie à l’échauffement. Je le fais jusqu’à la fin du match, près de 75 minutes au total, mais je n’entre pas. Des minutes que je ne vais pas oublier. J’étais super nerveux, je stressais à fond, je ne me sentais pas prêt. Je me disais que j’allais peut-être entrer dans le livre de la Premier League, même si je ne jouais qu’une minute, ça me bloquait. En m’échauffant, je me disais: « Je joue simple, si on me passe la balle, je la rends directement au même joueur, sans risques ». J’ai encore été sur le banc dans un match à Arsenal. Sur le banc d’à côté, c’était Arsène Wenger. Dans leur équipe, ils avaient Mesut Özil, Alexis Sánchez. Je n’arrivais pas à me défaire de l’idée que j’avais visité ce stade avec mes parents quand on avait fait un city-trip à Londres. Subitement, je me demandais si j’appartenais bien à ce milieu-là. J’ai stressé beaucoup à certains moments en Angleterre, mais ça m’a aussi donné confiance, ça m’a convaincu que j’avais le niveau pour jouer là-bas. Je voyais que j’avais le niveau à l’entraînement, des gars comme Víctor Valdés et Álvaro Negredo me donnaient plein de confiance. Je ne dis pas que je vise un retour en Premier League, mais je ne me fixe aucune limite. Si ça arrive, ça sera mérité. Si ça n’arrive pas, ben c’est le foot.
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