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Ivresse au Pays de waes : voici dix ans, Lokeren remportait la Coupe de Belgique

Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

Ce 24 mars, il y a dix ans que le Sporting Lokeren s’est adjugé la Coupe de Belgique, le premier trophée de son histoire, plongeant toute une région dans la liesse. Reconstruction d’une journée mémorable, qui reste le moment le plus heureux de la vie de nombreux Lokerenois.

« Je ne connais pas bien les Lokerse Feesten, mais j’ai l’impression qu’elles ont lieu tôt cette année! » Depuis un podium, un Peter Maes déchaîné, débordant d’assurance, prononce ces paroles avec un certain sens de la rhétorique. La grand-place de Lokeren, comble, est déchaînée. Les décibels montent, la foule est en délire. Elle entonne à pleins poumons le  » Ladiooo, Sporting Go« , la chanson officieuse du club, oeuvre de Mister Sporting, alias Filip D’Haeze.

Le jour de la finale, Hamdi Harbaoui débarque dans le vestiaire avec de la nourriture de chez McDonald’s. Un rituel pour l’attaquant tunisien.

Le car des joueurs du Sporting Lokeren n’est arrivé au centre de la ville qu’à minuit, quelques heures après avoir remporté le premier trophée du club au stade Roi Baudouin: la Coupe de Belgique! Le 24 mars 2012 est un tournant dans l’histoire de la ville de Lokeren et de son club de football, aux yeux de tous.

Aux alentours de deux heures, Roger Lambrecht, décédé le mois dernier à l’âge de nonante ans, s’éclipse. Les joueurs continuent à faire la fête, un Jugoslav Lazic survolté en tête. Ils se mêlent aux supporters. Jusqu’aux petites heures, les gens dansent, boivent et festoient sur la grand-place. Amis, familles, voisins, comitards, footballeurs: tout Lokeren est présent. On assiste à des Lokerse Feesten au carré.

Une première fête populaire à Bruxelles

Ce sentiment était déjà présent depuis le début de la journée. Dès le matin, 16.000 supporters de Lokeren se sont réunis au pied de l’Atomium à Bruxelles. Un « Lokeren Village » y a été monté pour accueillir les adeptes du Sporting. On a beau être fin mars, le soleil brille et le mercure atteint des valeurs estivales. Gimme hope, Joanna, un hit des années 80, retentit, repris en choeur par toutes les personnes revêtues de blanc-jaune-noir. Depuis sa console, le DJ Dirk Stoops, animateur de Studio Brussel et des Lokerse Feesten, regarde, fasciné, la liesse qui s’empare de la foule. « J’ai déjà été témoin de beaucoup de scènes de joie dans les festivals, mais là, c’est phénoménal. J’en ai la chair de poule », confie-t-il à une équipe TV.

Ernest Nfor tente d'arrêter Hamdi Harbaoui, qui inscrira l'unique but de la finale.
Ernest Nfor tente d’arrêter Hamdi Harbaoui, qui inscrira l’unique but de la finale.© BELGAIMAGE

Mary Dieleman, alors présidente de la fédération des supporters, est présente, même si elle a hésité à se déplacer. « Le matin, j’ai appris le décès de ma tante », se souvient-elle. « Mais je devais participer à cet événement historique. Tout le monde était empreint de ce sentiment, car j’ai découvert des supporters qui ne s’étaient encore jamais déplacés à Daknam. Des amis d’amis, souvent des gens qui supportaient plutôt le Club Bruges ou Anderlecht, mais qui trouvaient sympathique cette finale opposant deux équipes plus modestes. Aux yeux de certains, ça dépréciait la finale, mais je pense qu’avec les supporters courtraisiens, on a prouvé que des clubs de moindre envergure sont également capables d’assurer une formidable ambiance. »

En 2012, les réseaux sociaux ne sont pas encore aussi omniprésents. Pendant leur déplacement en car de Lokeren à Bruxelles, les joueurs ne sont donc pas conscients de l’atmosphère qui règne à l’Atomium. Herman Van de Putte, l’attaché de presse du club, la découvre en voiture, sur l’E40. « L’autoroute n’était qu’une colonne blanc-jaune-noir », se souvient-il. « La vente des billets nous avait appris qu’il y aurait beaucoup de monde, mais ce n’est que sur place que j’ai pris la mesure de l’événement. En fait, la préparation de ce match a été encore plus hallucinante. En l’espace d’une semaine, avec un personnel restreint, on est parvenus à organiser un déplacement incroyable… C’était un demi-miracle. Les clubs de supporters nous ont aidé. Tout le monde a retroussé ses manches. Environ 200 cars ont pris la route du Heysel, sans qu’il y ait le moindre incident. C’était fantastique. Tout s’est déroulé sans le moindre pli. »

D’autres membres du camp waeslandien abondent dans son sens. « Ce n’est qu’arrivés au stade qu’on a pris conscience de la masse de supporters présents. On ne savait pas que Lokeren comptait autant de sympathisants », sourit l’ancien milieu de terrain Koen Persoons. « On traversait une période faste et on croyait fermement en nos chances. C’était bien différent de 2009, quand j’ai perdu la finale avec Malines. Là, on était déjà bien contents d’être qualifiés alors que Lokeren avait plutôt le sentiment de devoir saisir sa chance. Le groupe était majoritairement composé de laissés pour compte, avides de recevoir une seconde chance. On savait qu’on était capables de bien jouer et on voulait le démontrer. »

Le groupe était majoritairement composé de laissés pour compte, avides de recevoir une seconde chance.  » Koen Persoons

C’était également le cas de l’entraîneur, Peter Maes. Il dirigeait Malines en 2009 quand celui-ci a perdu la finale de la Coupe face à Genk. « Il en a tiré les leçons », estime Persoons. « Par exemple, Lokeren n’est pas allé au vert: ça n’aurait fait qu’augmenter la pression. La veille, on s’est entraînés au stade Roi Baudouin, pour y avoir nos marques. Malines ne l’avait pas fait. »

Euphorie

Le noyau waeslandien est décontracté à son arrivée au stade national de Bruxelles. Certains joueurs le sont peut-être même trop: Hamdi Harbaoui débarque ainsi dans le vestiaire avec de la nourriture de chez McDonald’s. « C’était bizarre, évidemment », rigole Persoons, « mais apparemment, ça faisait partie de son rituel avant un match. On l’ignorait, mais on l’a laissé faire. Hamdi était très important. Il aurait été stupide d’en faire un drame juste avant le match. »

De fait. L’attaquant tunisien ouvre la marque dès la quatrième minute, mais sa tête victorieuse est annulée pour hors-jeu. Un quart d’heure plus tard, la poisse frappe Lokeren: l’arbitre Jérôme Efong Nzolo brandit une carte rouge au nez de Benji De Ceulaer, un pilier de l’équipe. Il a bousculé Brecht Capon un peu trop sèchement dans le rectangle pour que l’arbitre l’ignore. Après des débuts prometteurs, le match s’enlise dans un football défensif. Ce qui n’arrange pas Lokeren, privé de Mijat Maric, son défenseur suisse, suspendu. Toutefois, cette avalanche de malchance ne fait que renforcer la détermination des Waeslandiens. « On s’est dit: pas de ça avec nous », se remémore Persoons. « On était animés d’une volonté pure et dure. »

Ivresse au Pays de waes : voici dix ans, Lokeren remportait la Coupe de Belgique

Cette résistance mentale est récompensée à la 77e. Suite à une belle passe de la tête de Nill De Pauw, Harbaoui se joue du gardien courtraisien Darren Keet. C’est 0-1 et le marquoir ne bougera plus. « Au coup de sifflet final, c’était indescriptible, une explosion de joie », poursuit Persoons. « Instinctivement, on s’est précipités vers les supporters, en chantant et en agitant des fanions. Cette euphorie a duré plusieurs jours. Rien ne pouvait l’entamer, pas même une gueule de bois monstrueuse ( Il rit). Mais ça ne nous a rien valu de bon en play-offs 2. »

L’émotion s’empare également de la tribune d’honneur. Roger Lambrecht, un pater familias plutôt stoïque en temps normal, ne peut contenir ses larmes en rejoignant le terrain. Les joueurs lui sautent au cou, et pas seulement parce que la victoire s’assortit d’une jolie prime. Hein Vanhaezebrouck, l’entraîneur de Courtrai, a joué pour le Sporting Lokeren. Il se tourne vers son ancien patron. « Président, je n’aime pas perdre mais tant qu’à faire, je suis heureux que ce soit face à Lokeren. » Ce compliment sincère est sans doute ce qui touche le plus profondément Lambrecht.

Dans une première réaction télévisée, le capitaine Killian Overmeire, qui a grandi au sein du club, contient difficilement ses larmes: « C’est le premier trophée de Lokeren. On a enfin un palmarès! C’est incroyable, quand on pense à la malchance qu’on a eue. On a été au fond du trou et maintenant, on remporte la Coupe de Belgique. » Nill De Pauw, également formé à Lokeren, acquiesce à ses côtés.

Un tout autre statut

Peu après minuit, quand le car des joueurs arrive sur la grand-place de Lokeren, Willy Peeters, le responsable du matériel mais aussi l’âme du club, est à l’avant. Il agite une écharpe aux couleurs du club. Overmeire se fraie un chemin à travers la foule, la Coupe en mains. Il se dirige vers le podium, où chaque joueur est applaudi et fêté.

La place est transformée en véritable plaine de festival. L’administration municipale a même commandé des pins officiels flanqués du texte  » Bekerfinale 2012 – Ik was erbij » (Finale de la Coupe 2012 – j’en étais, ndlr). Un beau souvenir pour tous les supporters qui ont effectué le déplacement. Cette journée historique booste la confiance de la ville et du club. Les années suivantes, Lokeren devient un habitué des play-offs 1 et en 2014, il s’adjuge même une seconde Coupe de Belgique.

« La finale 2012 a été le plus beau match de notre vie, pour la plupart d’entre nous », déclarera Harbaoui, le héros du match, des années plus tard. « Tout Lokeren a profité de cette victoire. Ce jour-là, le statut du club a changé. De formation banale, le Sporting est devenu un des six meilleurs clubs de Belgique. »

« Tous les départements ont compris qu’il fallait profiter de ce moment », confirme Herman Van de Putte. « On voulait moderniser le stade, monnayer l’enthousiasme des supporters, améliorer nos structures… Mais ça n’intéressait pas assez Lambrecht. » Les Waeslandiens doivent donc disputer les tours préliminaires de Coupe d’Europe contre Plzen au stade Roi Baudouin. Ce soir-là, les adeptes de Lokeren ne sont même pas 5.000 à faire le déplacement. Une déception. Le club a certes écoulé 1.500 abonnements de plus grâce à son succès en Coupe de Belgique, mais ce n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

Le directeur sportif Willy Reynders et Peter Maes s’estiment désormais intouchables – et ils en profitent, comme l’Opération Mains Propres nous l’a appris depuis. Leur attitude handicape l’équipe, qui ne parvient pas à effectuer les progrès tant espérés. Lokeren rate plus de transferts qu’il n’en réussit et après le départ de Maes pour Genk en 2015, il dégringole à nouveau les échelons du championnat, avec le résultat qu’on connaît: son déclin en 2020, assorti d’un nouveau départ sous le nom de Lokeren-Temse en D2 amateur.

Ne reste plus que les souvenirs. « Les habitants de Lokeren évoquent souvent cette période avec nostalgie », raconte Van de Putte, qui est toujours responsable de la communication du club. Koen Persoons, qui se produit dans la même série que son ancien club, sous le maillot de Ninove, perçoit toujours les relents de cette prestigieuse victoire, dix ans plus tard. « On m’accueille toujours à bras ouverts à Daknam. Je prend chaque fois conscience qu’on a réalisé un exploit. C’était le bon vieux temps. »

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