Ivan Leko : bons baisers de Split
Ivan Leko, enfant d’Hajduk, a obtenu le premier grand succès de sa jeune carrière en enlevant le titre. À Split, nul ne s’étonne. Trois témoignages. » Depuis qu’il est entraîneur, il peut appliquer pleinement ses idées à son équipe et lui apporter ce qui lui manquait quand il était joueur. «
» Un gars super intelligent qui se double d’un passionné »
Ante Bilusic est un cousin d’Ivan Leko et a six ans de plus. Il est professeur de physique à l’université de Split, spécialisé dans la physique expérimentale de la matière condensée, mais il joue aussi au foot avec ses collègues et il suit attentivement notre championnat.
Le titre 2001, avec Ivan au poste de capitaine, est un des plus beaux souvenirs de ma carrière. » Stipe Pletikosa
» On a grandi ensemble. On habitait dans le même quartier de Split et on jouait au football et au basket entre les immeubles. Avec les six autres petits-enfants, on passait souvent nos vacances chez nos grands-parents, à la campagne, près d’Imotski. Ivan avait déjà un potentiel de leader. Il aimait dire qui ferait quoi et comment, il rappelait qu’il y avait des règles, il voulait gagner et il avait toujours des idées. Quel que soit notre jeu, avec un ballon ou des cartes, la défaite l’attristait.
Quand on grandit ici, on est fou de football et on rêve de se produire pour Hajduk. Dans ce domaine, il était nettement meilleur que nous. Il avait un pied gauche spécial. Il se distinguait aussi à l’école. Je me rappelle que ma mère regrettait que quelqu’un qui était capable de devenir ingénieur devienne footballeur. Mais il a réussi en sport aussi et toute la famille est fière de lui. Ceci dit, même passé pro, il a étudié l’économie car il pensait devenir manager à l’issue de sa carrière de joueur. Le fait qu’il dirige une équipe aussi importante à son âge et obtienne d’emblée un tel succès est assez remarquable.
J’ai toujours fait mon possible pour suivre Ivan. J’allais même l’encourager en équipes nationales d’âge. Pendant mes études, à Zagreb, j’ai pris le bus jusqu’à Stuttgart pour voir quelques matches de l’EURO U17. Maintenant, évidemment, je suis le championnat de Belgique. J’ai promis un repas à mes amis si Bruges était champion. Je joue au football tous les vendredis avec des collègues de l’université et on regarde souvent ensemble les matches de Ligue des Champions. La saison prochaine, ce sera avec encore plus d’intérêt !
Je ne décèle pas de grands changements dans sa personnalité. Durant sa jeunesse, Ivan savait déjà ce qu’il voulait et il travaillait avec intelligence et passion. Il a toujours été conscient de la nécessité de travailler pour développer ses talents, à l’école comme en football. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est parvenu à combiner les deux aussi longtemps.
Nous sommes croyants. Ivan a même été enfant de choeur mais il est ouvert. C’est un crack en mathématiques et je crois que c’est un atout pour un entraîneur, mais il est également psychologue. Il a du feeling. Il est capable d’unir les gens. Son équipe parvient souvent à marquer en fin de match. Ça me fait dire qu’il a de bonnes relations avec ses joueurs. L’équipe et le staff croient en eux-mêmes. Je m’attends à ce qu’il entraîne un jour en Espagne. Il y a déjà joué et il aime ce football. Mais le Club Bruges lui offre suffisamment de perspectives pour le moment. »
» Joueur, il était déjà le relais du coach sur le terrain »
Velimir Strinic, frère de la veuve de Josip Weber, a travaillé 35 ans pour Hajduk Split, notamment comme directeur du stade. Il a vu Ivan Leko y débarquer tout petit pour devenir une star et rejoindre la Primera Division quinze ans plus tard. Il est de la famille d’Ivan Strinic, l’international croate de la Sampdoria.
» Ivan a été mûr très tôt. Il était nettement plus avancé que ses camarades. Quand ceux-ci se plaignaient de l’état du terrain et de la pelouse, il les raisonnait, il discutait pour contrer leur négativisme. » Ne vous tracassez pas, ça sera peut-être à notre avantage. » Capitaine, il était le relais de l’entraîneur et il contrôlait tout. Il était aussi un bon soldat pour le personnel d’entretien : il rapportait toujours ses vêtements avec soin. Ivan affichait envers la femme d’ouvrage le même respect que s’il se trouvait face au président. Il est comme ça. Il était aussi un brillant étudiant, qui combinait parfaitement études et sport. Il ne manquait aucune séance. Il était extrêmement bien organisé.
Ses parents sont de braves gens. Son père était directeur d’une usine de bois et il l’a sans doute poussé à réussir. C’est probablement pour ça qu’il a poursuivi ses études une fois passé professionnel et qu’il a fréquenté l’université jusqu’à son départ pour Malaga. C’est exceptionnel ici. À ma connaissance, seul Slaven Bilic a fait pareil. Il a même obtenu un master en droit pendant sa carrière footballistique.
Ivan était modeste et réaliste. Il n’a donc pas dérapé, contrairement à tant d’autres jeunes talentueux. Quel que soient les dons d’un jeune, il faut attendre la fin de sa puberté pour voir s’il va persévérer ou si, sous l’influence des hormones, il va courir le jupon. Ivan est rapidement devenu capitaine en Première aussi, ce qui lui a valu, ainsi qu’à sa famille, une pression énorme car les supporters sont chauds. Quand les résultats ne leur conviennent pas, ils visent le capitaine. C’est donc une fameuse épreuve pour un jeune footballeur. Parfois, ça lui pesait mais tout s’est bien terminé en 2001 : Hajduk a été champion pour la première fois en six ans et Ivan a inscrit deux buts dans le match décisif contre Varteks, à Varazdin.
S’il ne compte que 13 caps pour la Croatie, c’est parce que le Mondial 2006 a été décevant : la Croatie a été éliminée à l’issue du premier tour et ensuite, Slaven Bilic a misé sur une nouvelle génération très douée, comportant Ivan Rakitic et Luka Modric. Ivan manquait peut-être d’explosivité et d’agressivité positive. Il aurait pu récupérer plus de ballons dans l’entrejeu. La gentillesse n’est pas toujours un atout en football. Il en était conscient. Il voulait être plus méchant mais il en était incapable. Ce n’était pas dans son tempérament.
Devenu entraîneur, il peut appliquer pleinement ses idées à l’équipe qu’il dirige et lui apporter ce qui lui manquait. Je pense que sa carrière d’entraîneur sera encore plus réussie. Il a le potentiel d’un grand entraîneur. Il peut travailler dans les cinq grandes compétitions et diriger l’équipe nationale mais c’est encore trop tôt pour en parler. Il est assez intelligent pour ne pas brûler les étapes. »
» Il était à la fois le meilleur à l’école et au foot »
Stipe Pletikosa est, comme Igor Tudor, un ami intime d’Ivan Leko : ils ont grandi ensemble à Split, ont fréquenté la même école, ont joué à Hajduk et en équipe nationale, ils ont été témoins de leur mariage et ont souvent voyagé ensemble. Le gardien compte 114 caps pour la Croatie et est actuellement analyste à la télévision croate.
Il a étudié l’économie pendant ses années pro car il pensait devenir manager à l’issue de sa carrière de joueur. » Ante Bilusic
» Ivan adorait le football tout en étant toujours le meilleur à l’école. C’est le souvenir que je garde de lui enfant. On passait notre temps libre à jouer au ballon en rue. Il était bon en basket aussi mais un peu rude : il faisait beaucoup de fautes et se servait trop de ses bras. Plus tard, on a aussi joué au tennis et au golf. On est parti en vacances avec nos épouses en Slovénie parce qu’il y a des parcours de golf.
Tous les jeunes d’Hajduk l’admiraient. Il était le meilleur et il a été capitaine des U12 jusqu’au U21. On savait que si on lui cédait le ballon, il trouverait une solution. On le suivait parce qu’il donnait le bon exemple et qu’il jouait dans l’intérêt de l’équipe. Ivan est très intelligent. Il est capable d’afficher ses émotions et c’est un leader-né, ce qui lui est utile dans sa fonction actuelle. Je pense qu’il peut aller très loin. On lui avait également prédit une grande carrière de joueur et se produire pour Malaga et le Club Bruges, ce n’est pas mal du tout, non ? Son intégration a été difficile en Espagne et quand il a enfin atteint son meilleur niveau, la concurrence faisait rage dans l’entrejeu de l’équipe nationale.
On a soudé nos liens vers 14-15 ans, quand on a commencé à sortir après les matches. À l’époque où on commençait à réfléchir sur nous-mêmes, notre famille, nos amis. C’est un âge où beaucoup de talents se perdent mais on savait ce qu’on faisait et pourquoi. On se prévenait si on remarquait que l’un d’entre nous était sur le point de faire une bêtise.
Hajduk était tout pour nous. C’était notre rêve, notre motivation pendant notre enfance. On jouait avec beaucoup d’émotions. Le titre 2001, avec Ivan au poste de capitaine, est un des plus beaux souvenirs de ma carrière. Ensuite, il est parti à Malaga. Ici, tout le monde est fou d’Hajduk, qui procure de la joie à tous les gens de la ville et des alentours. Partager ce moment, ces émotions avec son meilleur ami est inoubliable. Nulle part ailleurs on ne sent pareil amour pour un club. Regardez autour de vous : Split est couverte de graffiti du club. Je me rappelle plus de matches disputés ici que de rencontres jouées en fin de carrière. Les supporters sont extrêmement exigeants, ce qui génère une pression et un stress terribles, mais du coup, on vit nos succès plus intensément.
On est amis intimes depuis plus de trente ans, ce qui est exceptionnel dans ce milieu. On se téléphone presque tous les jours et on se voit au quotidien quand il est à Split. Quand il jouait à Malaga et que sa femme a accouché de jumeaux, on a débarqué à sept, à son insu. Là, plantés devant son appartement, on a chanté jusqu’à ce qu’il apparaisse au balcon. Ivan est très loyal. Il soutient les autres comme il le faut, dans les bons moments comme dans les mauvais. Il ne se fâche pas quand on ne partage pas son opinion ou qu’on lui dit quelque chose de déplaisant. Il reste ouvert et réfléchit. Il n’est pas jaloux du succès des autres. On peut toujours compter sur lui. Quand j’étais dans le doute, je lui téléphonais pour avoir son avis.
Joueur, Ivan analysait tout, il réfléchissait, ce qui est évidemment un atout. Le coaching le passionne. C’est nécessaire car ce job requiert énormément d’énergie, d’autant que beaucoup de joueurs se laissent facilement aller. Il a une énorme confiance en lui-même, en sa connaissance du football et en sa capacité à organiser des séances, à diriger une équipe. Sinon, il n’aurait pas accepté de reprendre Louvain en cours de saison, alors qu’il était toujours joueur. Moi, je ne l’aurais pas fait. Autre qualité importante : Ivan est consistant, ce qui est le plus difficile en football.
» Il a lu beaucoup de biographies »
» Le Club Bruges est son premier grand club et ses débuts ont été difficiles » observe Stipe Pletikosa. » Nous en avons discuté et je lui ai conseillé de se concentrer sur lui-même et son travail. S’il continuait à travailler et à convaincre ses joueurs qu’il était l’entraîneur dont ils avaient besoin, tout irait bien. C’est ce qu’il a fait et tout s’est bien déroulé.
Comme moi, Ivan a lu beaucoup de biographies, notamment celles de Mauricio Pochettino, Harry Redknapp, Pep Guardiola, Alex Ferguson et Phil Jackson. Il s’auto-analyse mais étudie aussi les autres entraîneurs, pour apprendre. Il a suivi de très près certains, comme par exemple Antonio Conte à Chelsea la saison passée. Il visionne alors beaucoup de matches pour comprendre les automatismes de l’équipe.
Il doit s’investir au quotidien car le football a énormément progressé, à tous points de vue, ces dix dernières années. Ivan est conscient de la nécessité d’innover et de pouvoir concevoir différents modèles. En observant son équipe, je décèle beaucoup de bons mouvements. Je suis certain que les dirigeants de Bruges ont compris tout ça l’année passée quand ils l’ont embauché, à la surprise des observateurs. «
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