Gianni Infantino réélu à la tête de la Fifa: bilan d’un Mr. Pas si Propre
En 2016, après huit ans de présidence de Platini, l’espoir renaît. Infantino pourra-t-il sortir la FIFA du marasme? Sept ans plus tard, il ne reste pas grand-chose de cette image. Alors qu’il vient de décrocher ce jeudi à Kigali un nouveau mandat de quatre ans, pour lequel il fourmille déjà de projets, Le Vif dresse le bilan des sept ans de présidence Infantino à la FIFA.
Un dossier de Tom Peeters publié en mars 2021 et mis à jour.
En 2016, la FIFA est à l’agonie lorsque le Suisse Gianni Infantino en prend la présidence. Sorti de nulle part, ce dernier promet alors de faire le ménage après des décennies de corruption, de rancœurs et d’égoïsme. Sept ans plus tard, le Monsieur Propre de la FIFA semble pourtant maîtriser la politique de son prédécesseur. « C’est culturel. Le véritable progrès ne peut venir que de l’extérieur. »
À la fin de l’année 2015, la FIFA n’est synonyme que de corruption et de tricherie organisée. On touche le fond lorsque sa Commission d’Éthique suspend pour huit ans le président Sepp Blatter et Michel Platini, président de l’UEFA. Ce qu’on reproche à Platini? D’avoir reçu de la part de la FIFA une somme indue de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros). Les sponsors sont de plus en plus frileux, les frais de justice explosent et dans les bureaux de Zurich, le moral des employés est au plus bas. L’avocat suisse Gianni Infantino (cinquante ans aujourd’hui) se profile comme l’homme qui veut faire le ménage. Son ambition: make FIFA great again.
Les droits de l’Homme n’intéressent Infantino que quand il s’agit de polir son image. Pour lui, une vie humaine a bien peu de poids face à un allié politique.
Infantino est alors Secrétaire Général de l’UEFA, poste qu’il occupe dans l’anonymat. Bras droit loyal de Platini, il veille à ce que les chiffres soient bons. On le dit compétent et sérieux, mais manquant de personnalité. Lorsqu’il remporte les élections présidentielles face au cheikh de Bahreïn Salman bin Ibrahim Al Khalifa, le 26 février 2016, l’espoir renaît. Peut-être Infantino pourra-t-il sortir la FIFA du marasme? Dans son discours, il explique qu’il veut « construire des ponts » et « être le président de tous ». Il parle de transparence, de réformes et d’une « nouvelle » FIFA. « La FIFA a vécu des moments difficiles, des moments de crise, mais c’est terminé », dit-il fermement.
Sept ans plus tard, il ne reste pas grand-chose de cette image d’un Infantino invincible. Si l’adage qui veut qu’il n’y a pas de fumée sans feu est exact, alors il y a suffisamment de flammes autour de lui pour faire brûler la quasi totalité de la forêt amazonienne. Bilan des cinq ans de présidence Infantino à la FIFA.
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Fou de jets privés
Infantino doit son élection à deux promesses: plus d’argent pour les fédérations et davantage de pays en Coupe du monde. Chaque pays membre de la FIFA recevra dorénavant plus de quatre millions d’euros pour le développement du football. « L’argent de la FIFA, c’est votre argent », affirme le Suisse. Afin de lutter contre les abus, il durcit les règles. Malgré les difficultés financières – un trou de 450 millions d’euros lors de son entrée en fonction, le nouveau président espère trouver les fonds nécessaires en s’attaquant aux coûts de la FIFA et en élargissant l’accès au Mondial à davantage de pays (voir encadré). C’est ainsi qu’il s’attire la sympathie des plus petites nations, surtout en dehors de l’Europe.
Mais ses belles intentions ne s’appliquent pas à lui-même. Bien qu’il ait annoncé qu’il se déplacerait avec Easyjet, il raffole de voyages en jets privés, parfois payés par la Russie ou le Qatar. En juillet 2016, la Commission d’Éthique de la FIFA l’interpelle d’ailleurs à ce sujet. Tout comme la Commission indépendante de la FIFA sur la gouvernance (IGC),, il s’agit d’un organe indépendant qui surveille le fonctionnement de la FIFA. La Commission d’Éthique veut aussi savoir pourquoi il ne dispose toujours pas de contrat de travail alors qu’il aurait refusé le salaire annuel de 1,8 million d’euros qu’on lui proposait, le considérant comme « une offense ». Cette insinuation vient de ses ennemis, qui veulent le faire passer pour quelqu’un de cupide. « Mais je n’ai rien volé. Je ne suis pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche, je me bats pour chaque euro », dit-il.
La Commission conclut qu’Infantino n’a pas enfreint le code d’éthique. Un an plus tard, en mai 2017, le mandat de ses deux présidents n’est pas renouvelé. Le juge allemand Hans-Joachim Eckert et l’avocat suisse Cornel Borbély sont furieux. Ils pensent que la FIFA veut neutraliser des centaines d’affaires courantes. Mais Infantino affirme que si deux Européens blancs ont été écartés, c’est pour favoriser la diversité. Il les remplace par la Colombienne Maria Claudia Rojas. Un peu plus tôt, il avait nommé la Sénégalaise Fatma Samoura au poste de Secrétaire Générale. « Beaucoup de fake news circulent au sujet de la FIFA », fulmine-t-il. « Dans certains pays, le FIFA-bashing est devenu un sport national. »
Après leur mise à l’écart, on apprend qu’Eckert et Borbély menaient deux enquêtes concernant Infantino. Le Suisse n’aurait pas déclaré correctement les dépenses de sa campagne électorale. Il dit avoir investi 500.000 euros, « surtout en billets d’avion », mais une enquête du Guardian révèle que ce montant pourrait être multiplié par deux. On ne sait pas où cet argent a atterri.
De plus, lors des élections de la Confédération Africaine (CAF), Infantino aurait fait pression sur certains pays. Il voulait que son favori – Ahmad Ahmad, on en reparlera plus loin – en devienne le président. Il aurait promis à des membres qu’ils recevraient plus rapidement leur argent s’ils faisaient le bon choix. Ses détracteurs pensent qu’il voulait ainsi écarter Issa Hayatou, à la tête de la CAF depuis longtemps, parce que celui-ci ne l’avait pas soutenu lors des présidentielles de la FIFA. Avec 54 membres, l’Afrique représente un gros contingent et Infantino voulait y acquérir davantage de pouvoir. Avec succès, puisqu’Ahmad a été élu.
Celui qui fermait les yeux
Comment la FIFA peut-elle décider comme elle veut de qui siège ou non dans des Commissions indépendantes? Peu après l’élection d’Infantino, les 211 membres de la FIFA ont cédé ce pouvoir au Conseil de la FIFA, l’ex-comité exécutif, présidé par Infantino lui-même. « Les membres de ces Commissions ne peuvent donc plus travailler en tout indépendance », affirme Domenico Scala, ex-président de l’IGC, qui a démissionné en 2016 parce qu’il n’était pas d’accord avec ce fonctionnement. « Scala pense qu’on dirige le football comme une société pharmaceutique », réagit Infantino.
Le successeur de Scala, Miguel Maduro, a eu affaire à Infantino, lui aussi. En 2018, juste avant la Coupe du monde, il veut empêcher le vice-premier ministre russe Vitaly Mutko de siéger au Conseil de la FIFA. Le règlement interne stipule en effet que celui-ci doit être politiquement neutre. Mais Infantino estime qu’il était délicat de contrarier la Russie avant le Mondial organisé sur son sol. La FIFA a besoin de la Russie, en tout cas de l’argent que la Coupe du monde doit rapporter. Souvenez-vous des promesses faites par Infantino au moment de l’élection. Même lorsque le CIO suspend Mutko à vie parce que, en tant que ministre des Sports, il a fermé les yeux sur le dopage organisé par l’état, Infantino reste sourd aux griefs de Maduro. « Cette suspension n’a aucun impact sur la préparation de la Coupe du monde », dt-il. Finalement, Mutko obtient le poste et Maduro disparaît de la scène.
Infantino doit son élection à deux promesses: plus d’argent pour les fédérations et davantage de pays en Coupe du monde.
« Seule une pression extérieure, des États-Unis ou de l’Europe par exemple, peut provoquer une réforme significative de la FIFA », affirme Maduro dans le Guardian. « Sans immixtion, rien ne changera. C’est un problème culturel, systémique. Le pouvoir est très important pour les gens de la FIFA. Ils n’aiment pas être soumis à un contrôle externe. Ça favorise la corruption. » En d’autre termes: on a écarté quelques pommes pourries, mais ça sent toujours aussi mauvais.
Ce qu’on reproche à Infantino n’est pas qu’une série de rumeurs ou de légendes urbaines. Le rapport du Conseil de l’Europe tire des conclusions impitoyables. « On a le sentiment qu’Infantino veut écarter les gens qui se dressent sur son chemin », écrit Anne Brasseur, l’autrice du rapport. Selon elle, Rojas n’est pas à sa place dans un rôle de présidente de la Commission d’Éthique, car elle n’a pas d’expérience dans les enquêtes criminelles et financières. De plus, elle ne parle pas un mot de français ou d’anglais alors que tous les dossiers sont établis dans ces langues. « Non seulement cela ralentit les enquêtes, mais de plus, cela soulève le problème de la dépendance envers le secrétariat de la FIFA. »
Que s’est-il passé entre-temps avec les procédures lancées par Eckert et Borbély? En poste depuis un mois seulement, Rojas a laissé entendre qu’il n’y avait pas d’enquête à l’encontre d’Infantino. On pense aujourd’hui qu’il n’y a plus de différence entre la FIFA et les Commissions qui doivent veiller à son bon fonctionnement. Leurs membres ne peuvent conserver leur job bien payé et les avantages qui y sont liés – tels des séjours dans des hôtels de luxe pendant le Mondial – que s’ils ne mettent pas trop de bâtons dans les roues de la FIFA.
Un Mondial de larmes, de sueur et de sang
Entre-temps, et comme au bon vieux temps, la FIFA fricote à nouveau avec des régimes autoritaires issus du Moyen-Orient. La Coupe du monde a certes été attribuée au Qatar avant l’arrivée d’Infantino, mais selon Amnesty International, elle aura lieu grâce « aux larmes, à la sueur et au sang de travailleurs immigrés ». Infantino promet que la FIFA prendra les droits de l’Homme au sérieux. Spoiler alert: pour le moment, on ne voit rien venir.
En 2019, Infantino et le cheikh Salman de Bahreïn remettent les médailles aux joueurs qataris qui ont remporté la Coupe d’Asie. Dans le même temps, le Bahreïn réclame l’extradition de Hakeem al-Araibi. Ce réfugié, semi-pro en Australie, a été arrêté pendant son voyage de noces en Thaïlande. Son pays d’origine l’accuse de vandalisme pendant le printemps arabe alors qu’au même moment, il disputait un match diffusé à la télévision. Son véritable crime? Il a critiqué Salman qui, en 2011, a mis fin brutalement à la révolte et a maltraité des athlètes. Après un gros travail de contestation et de lobbying, le Bahreïn renonce à cette extradition et al-Araibi est finalement libéré. Pas grâce à la FIFA, car Infantino n’a pas levé le petit doigt. Les droits de l’Homme ne l’intéressent que quand il s’agit de polir son image. Pour lui, une vie humaine a bien peu de poids face à un allié politique.
Et puis, il y a les mauvais comportements. Malheureusement pour Infantino, Ahmad, son homme de paille en Afrique, n’est pas une lumière. Le président de la CAF maltraite les femmes et ferme les yeux sur les irrégularités financières qui sévissent sur le continent africain. Lorsqu’il s’agit d’acheter des maillots, il fait appel à une firme qui fabrique des équipements de fitness et facture 200% du prix initial. Ahmad part en pèlerinage à La Mecque avec l’argent de la FIFA. Il achète aussi de nombreuses voitures au volant desquelles il parade dans les rues de Madagascar. L’argent réservé au développement du football se retrouve soudain sur le compte en banque d’une galerie d’art polonaise. Ces dossiers ne s’ouvrent que lorsque la police française arrête Ahmad pour un interrogatoire. Finalement, en novembre 2020, la Commission d’Éthique le suspend pour cinq ans. Une décision qu’il conteste devant le Tribunal Arbitral du Sport. Et en janvier 2021, celui-ci lui rend provisoirement son poste. L’histoire sans fin…
Des relents néo-colonialistes
À Trinité-et-Tobago aussi, ça gronde. En mars 2020, la FIFA reprend la gestion de la fédération. Une opération qu’elle qualifie de « normalisation. » C’est étrange, car une nouvelle direction venait d’être nommée et s’était donné pour objectif de faire le ménage. Selon le magazine sportif norvégien Josimar, il s’agit d’une vengeance d’Infantino. Le Suisse est très proche de l’ancien président , David John-Williams, qui l’a soutenu lors des élections de la FIFA. Malgré l’appel d’Infantino à la réélection de John-Williams (une implication contraire aux statuts de la FIFA), c’est William Wallace qui a été élu.
La fédération de l’île dénonce l’intrusion de la FIFA, mais au lieu de s’adresser au Tribunal Arbitral du Sport, trop cher, elle dépose le dossier devant un tribunal local. Cela ne plaît pas à la FIFA, qui suspend Trinité-et-Tobago de toute compétition. « La FIFA se comporte comme un colonisateur », dit la fédération.
ShakaHislop, ex-gardien de Newcastle et de West Ham, parle de « coup d’État. » Tant que la FIFA déterminera qui a droit à l’argent et qui pourra prendre part aux compétitions, ses membres n’auront pas droit à la parole. Et Infantino veut conserver ce pouvoir à tout prix. Le bureaucrate discret est devenu un despote qui n’hésite pas à marcher sur tout le monde, alors que la réforme de la FIFA aurait dû faire en sorte que le pouvoir ne soit plus aux mains d’un seul homme.
En 2019, les membres de la FIFA réélisent Infantino pour un deuxième mandat. Le patron n’a pas de rival. Il se vante d’avoir ranimé une FIFA « cliniquement morte ». Quelque part, il n’a pas tort. Au cours de son premier mandat, il a introduit le VAR et injecté de l’argent dans le football féminin. Sous sa présidence, la Coupe du monde a rapporté 4,5 milliards d’euros. « Nous pouvons être fiers de la nouvelle FIFA », dit-il. Mais quand on gratte un peu, on s’aperçoit que pas grand-chose n’a changé. Un Suisse chauve en a remplacé un autre. Infantino parle bien, mais il utilise souvent les méthodes de Blatter.
En 2020, le procureur fédéral suisse ouvre d’ailleurs une enquête criminelle à l’encontre d’Infantino. Le président de la FIFA aurait rencontré plusieurs fois Michael Lauber, le procureur général qui mène l’enquête pour corruption au sein de la FIFA. Lauber ne se souvient pas de la teneur de ces conversations et démissionne. Infantino affirme dans toutes les langues – il en parle sept! – qu’il n’a rien fait de répréhensible. Pourtant, selon le procureur fédéral, il existe des « indices de comportement criminel ». Infantino risque une peine de prison.
Lors de son entrée en fonction, on avait reproché à ce dernier, pourtant un employé anonyme, d’appartenir à l’establishment du football. Cela faisait des décennies qu’il était à l’UEFA, notamment en tant que bras droit de Platini, aujourd’hui persona non grata. Ne dit-on pas que celui qui s’endort avec des chiens se réveille avec des puces?
Plus de tournois, plus de monde, plus d’argent
Gianni Infantino est à la base de l’élargissement de la Coupe du monde à 48 équipes à partir de 2026. Il ne laisse planer aucun doute quant à ses motivations. « La Coupe du monde, c’est plus qu’une compétition, c’est un événement social. » Il espère ainsi faire d’une pierre deux coups: se faire bien voir des petits pays tout en générant davantage de revenus. Ses rivaux l’accusent de faire de la politique, mais il répond qu’il veut seulement donner aux pays membres « l’occasion de rêver. »
Infantino en veut toujours plus: un Mondial féminin à 32 participants tous les deux ans, une Super League africaine avec vingt équipes de tout le continent… Étant donné le fossé existant entre les pays nord-africains et les autres – les finalistes des huit dernières éditions de la Ligue des Champions d’Afrique venaient de Tunisie, du Maroc ou d’Égypte – les observateurs craignent que cette compétition enrichissent encore davantage les clubs déjà nantis.
Mais ses plans les plus controversés datent de 2018. Infantino veut organiser une Global Nations League (une compétition mondiale pour équipes nationales) et élargir le championnat du monde des clubs. Des investisseurs sont prêts à mettre vingt milliards d’euros pour quatre éditions des deux compétitions, mais il refuse de dire de qui il s’agit. Où est la transparence promise? « Je ne peux pas accepter que certaines personnes, aveuglées par l’appât du gain, envisagent de vendre l’âme du football à des fonds particuliers dont on ne sait rien », réagit Aleksander Ceferin, le président de l’UEFA.
Derrière tout cela, il y a sans doute Softbank, un conglomérat financé par des Saoudiens. L’Arabie saoudite est accusée du meurtre d’un journaliste dissident. En investissant dans le football, elle tente de redorer son blason. Même s’il assure que la FIFA ne fait jamais de politique, Infantino réagit à l’odeur des dollars comme un chien à celle de la nourriture. « La FIFA est la blanchisseuse la plus chère du monde », écrit le Guardian. Le Conseil de la FIFA a fini par rejeter la proposition par manque d’information. Seul le championnat du monde des clubs sera élargi, même si le Covid a retardé le lancement de la première édition.
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