Steve Van Herpe
« Gianni Infantino n’est pas un travailleur immigré, juste un homme narcissique assoiffé de pouvoir »
En mettant en avant sa propre histoire, le président de la FIFA a montré de manière douloureuse que rien n’a changé six ans après Sepp Blatter, estime le rédacteur Steve Van Herpe.
Nonante minutes. C’est le temps qu’a duré le discours de Gianni Infantino, samedi dernier, avant la Coupe du monde au Qatar. Les 12 300 journalistes du monde entier qui s’étaient inscrits pour suivre le discours en ligne ne s’attendaient probablement pas à assister à un match de football complet avec un seul joueur sur le terrain : le président de la FIFA.
Dans son speech à l’humanité, Infantino a essayé de faire comprendre que les critiques à l’égard du Qatar devaient simplement s’arrêter. Il a commencé par des déclarations osées, avec les pauses qui vont bien, comme pour souligner l’importance de ses propos : « Aujourd’hui, j’ai des sentiments très forts. Aujourd’hui, je me sens qatari. Aujourd’hui, je me sens arabe. Aujourd’hui, je me sens africain. Aujourd’hui, je me sens gay. Aujourd’hui, je me sens handicapé. Aujourd’hui, je me sens comme un travailleur immigré ».
Ces sentiments l’ont traversé parce qu’il a entendu parler des articles critiques envers le tournoi dans les médias – il ne les a pas lus lui-même sinon il aurait été trop déprimé. Tout ça lui a rappelé… sa propre histoire. Son enfance difficile en tant que fils d’immigrés italiens en Suisse. Les brutalités subies parce qu’il était roux avec des taches de rousseur.
En résumé, son message se résumait à ceci : vous écrivez sur les conditions difficiles dans lesquelles les travailleurs immigrés doivent travailler au Qatar, mais que dois-je dire ? Son discours n’aurait pas pu commencer de manière plus narcissique. En retournant tous les problèmes du Qatar contre lui, Infantino n’a fait que montrer de façon explicite qu’il considère sa petite personne plus importante que tous les Qataris, Arabes, Africains, homosexuels, handicapés et travailleurs immigrés réunis.
C’est inquiétant car ça montre que la culture de l’ego dans laquelle la FIFA est tombée sous Sepp Blatter (magnifiquement démontrée dans la série Netflix « FIFA uncovered ») n’a toujours pas disparu. Lorsque Gianni Infantino s’est emparé de la présidence en 2016, il était considéré comme Monsieur Propre. Mais l’homme qui avait promis de faire régner la loi et l’ordre a lui-même été infecté par le virus du pouvoir.
Pour un vaccin, dans le cas d’Infantino, il est clairement trop tard. En témoignent également ces phrases hallucinantes tirées de son discours de samedi : « Si vous voulez émettre des critiques, venez me voir. Je suis là, crucifiez-moi. C’est pourquoi je suis ici. Ne critiquez pas le Qatar, les joueurs, mais critiquez la FIFA, critiquez-moi car je suis responsable de tout ».
Infantino dit littéralement ici : « La FIFA, c’est moi ». Tout comme le mégalomane Blatter à l’époque et d’autres rois plus tôt dans l’histoire (« L’État, c’est moi », disait Louis XIV). Ce qui devait absolument être évité, que le pouvoir à la FIFA soit entre les mains d’un seul homme, est à nouveau une réalité six ans après la chute de Blatter.
De plus, Infantino est déjà certain qu’il sera réélu à la tête de la FIFA en mars prochain. Il n’y a pas d’autres candidats.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je me sens particulièrement inquiet. Inquiet pour l’avenir des travailleurs immigrés, des femmes et des homosexuels au Qatar, mais aussi inquiet pour l’avenir du football.
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