Footballeurs et entrepreneurs: qui sont ces joueurs qui n’ont pas que le ballon rond dans la tête ?
Aujourd’hui, les footballeurs qui lancent leur propre entreprise viennent de tous les milieux. Il y a des noirs, des blancs, des jeunes, des vieux, des diplômés ou des gars qui ont quitté l’école très tôt. Vincent Kompany a fait des émules.
L’argent, les femmes, le football. Dans cet ordre. C’est trop souvent l’image qu’on se fait du joueur moyen. Mais est-ce bien exact? Les excès de quelques uns entretiennent sans doute cette légende, mais d’autres redorent le blason de la profession en exerçant une autre activité en dehors des terrains. Des joueurs qui lancent un petit commerce ou aident leur famille, ce n’est pas nouveau – songez à Dennis Praet (DYJCODE), Seth De Witte (salon de tatouage), Onur Kaya (glacier), Sinan Bolat (snack) ou Pelé Mboyo (bar à chicha) – mais en ce moment, ils sont plusieurs à bâtir un empire ou à faire partie du conseil d’administration d’une start up qui, dans quelques années, pourrait générer des millions d’euros.
Ce sont des émules de Vincent Kompany, père des joueurs-hommes d’affaires en Belgique. Wesley Hoedt est l’exemple-même de l’entrepreneur qui sait aussi jouer au football. Le défenseur néerlandais d’Anderlecht est propriétaire d’une agence immobilière, de deux restaurants, d’un club de padel et d’un garage qui vend des voitures de luxe (Mercedes, Ferrari et Lamborghini). Mais pour un Hoedt, il y a dix à vingt joueurs qui ne s’intéressent pas au monde des affaires ou n’osent pas entreprendre.
Directeur de l’agence de joueurs ISM, éminence grise dans le milieu et économiste de formation, Walter Mortelmans estime que 5% de ses clients seulement sont actifs dans le monde des affaires. «Beaucoup de joueurs sont actionnaires silencieux d’une entreprise ou investissent en bourse mais diriger une entreprise, c’est encore autre chose», dit-il. «Quand ils me demandent mon avis, je leur dis qu’ils doivent de toute façon se faire conseiller par un comptable ou un avocat. Je souhaite que mes clients occupent leur temps libre de façon intelligente, mais le football doit rester leur préoccupation principale.»
Plus qu’un simple investisseur
La saison dernière, à Waasland-Beveren, redevenu SK Beveren entre-temps, il y avait deux chefs d’entreprise patentés dans le vestiaire. Manuel da Costa exploite notamment un magasin à Nancy et est propriétaire d’une entreprise qui importe du carrelage de Turquie. L’ex-international marocain était tellement pris par ses affaires que, lors de la pause de midi, il recevait des appels de collaborateurs, de fournisseurs ou de clients. Guillaume Gillet, pour sa part, a fait construire le plus grand centre de padel de Wallonie à Saint-Georges-sur-Meuse, près de Liège. Il s’est associé à trois partenaires, dont l’ex-tennisman Steve Darcis. Le site de deux hectares héberge un complexe de padel avec cinq terrains outdoor et quatre indoor, une brasserie, un hall omnisport, une salle de séminaires, un simulateur de golf, une plaine de jeu intérieure, un club house, une plaine de jeu et des terrains de pétanque. Dans un avenir proche, six lofts verront le jour. «J’ai commencé à investir dans l’immobilier à mes débuts à Anderlecht. Planet Padel, c’est l’étape suivante», dit Gillet qui, cet été, est devenu T3 à Anderlecht.
Vadis Odjidja (33 ans) fait également fonctionner ses neurones pour investir. La saison dernière, le médian de La Gantoise a lancé le club de padel MVP à Evergem avec deux associés. Il y a quelques mois, il a élargi son portefeuille en achetant des actions de l’entreprise de technologie sportive SCARAB Sports, qui produit des appareils d’entraînement permettant de mesurer les aptitudes technico-cognitives des joueurs de foot.
Tout a commencé il y a un peu plus d’un an, dans un hôtel de Herentals le long de l’autoroute, où deux jeunes ingénieurs industriels ont rencontré Thomas Caers. Tanguy Ongena, co-fondateur de SCARAB Sports, se souvient que Caers a mis les tests sur papier. «Quelques semaines plus tard, on a exécuté ces tests à Tongerlo avec des planches de bois et Caers a dit: C’est ça! Si vous parvenez à mettre ça sur le marché, vous pouvez faire quelque chose de bien.»
Un peu plus tard, la joint-venture entre SCARAB Sports et la SA Vadis Odjidja voyait le jour dans le business club de la Ghelamco Arena. Ongena et ses amis cherchaient des fonds pour évoluer et c’est Christophe Palmieri, partenaire d’Odjidja en affaires, qui les a mis sur la voie du capitaine des Buffalos. Les trois fondateurs ont conservé la majorité des actions et ont permis à Odjidja d’entrer au conseil d’administration.
D’un point de vue marketing, c’était bien joué et, grâce à son réseau, Odjidja doit aider l’entreprise à louer 300 appreils d’entraînement aux clubs, aux académies privées et aux fédérations avant la fin de l’année 2022. «SCARAB Sports, le visage d’un joueur connu et l’expertise de Green Park Investment Partners en matière d’affaires, c’est la combinaison idéale», dit Ongena. «Mais l’objectif n’était pas d’engager un footballeur. On voulait un associé qui soit plus qu’un simple investisseur attendant du rendement, quelqu’un qui s’engage pour l’entreprise et nous apporte ses connaissances. De ce point de vue, Vadis est parfait. Il n’est pas là chaque jour, mais on communique via WhatsApp, il vient de temps en temps au bureau et il est là à chaque fois qu’il faut prendre des décisions importantes. Vadis est un type intelligent – il y en a beaucoup dans les vestiaires – et il a l’instinct d’un homme d’affaires.»
Combiner foot et business
Le gardien Anthony Swolfs investit beaucoup de temps dans le monde des affaires. Au point que le 16 janvier dernier, à 23 ans, il a mis fin à son contrat au FC Dordrecht (D2 néerlandaise) pour se consacrer pleinement à son entreprise, The Forex Dictionary. «Pendans six ans, j’ai investi en bourse pour tenter de gagner quelques euros», dit-il. «J’ai pris des cours pour maîtriser le sujet, mais je continuais à perdre de l’argent. Avec mon entreprise, je fais du coaching aux particuliers afin que, dans les douze mois, ils deviennent des investisseurs professionnels.»
Swolfs est un trader dans l’âme: il préfère jongler avec des montants énormes qu’avec un ballon. «Pendant un certain temps, j’ai combiné les deux, mais je ne travaillais jamais les veilles et les jours de match. L’entreprise a grandi tellement vite qu’à un certain moment, j’avais neuf employés. Ça engendrait des responsabilités supplémentaires. Finalement, je ne travaillais plus pour moi. Dans le monde du football, on dépend des autres et c’était difficile à accepter. Pourquoi les autres devraient-ils décider de mon sort? J’ai eu de la chance: malgré mon jeune âge, j’ai eu le choix entre continuer à jouer au football ou arrêter. Ce qui a fait pencher la balance, c’est un incident à l’entraînement à Dordrecht. J’étais en train d’investir un demi-million d’euros. J’avais une position qui pouvait me rapporter plus que mon salaire annuel à Dordrecht et le résultat devait tomber pendant l’entraînement. C’était chaud. Après l’entraînement, je suis vite rentré au vestiaire pour voir ce que ça avait donné et j’ai compris que j’aurais pu perdre beaucoup d’argent pendant que je m’entraînais.»
Dans quel mesure le football de haut niveau et le monde des affaires sont-ils compatibles? Il y a quinze ans, Gillet était tellement concentré sur les entraînements et les matches qu’il n’aurait pas été capable de combiner les deux. Il manquait de maturité pour trouver l’équilibre. «Aujourd’hui, je comprends que les footballeurs sont traités comme des nécessiteux (il rit). On fait vraiment tout pour nous. Comme notre programme n’est pas très chargé, ça nous permet d’avoir du temps libre pour faire autre chose que du football.»
Double vie
On attend désormais le Gerard Piqué belge. Le défenseur de Barcelone est un multi-entrepreneur dont la structure, Kosmos Holding, a décroché un contrat de 2,8 milliards d’euros avec la Fédération Internationale de Tennis (ITF). Mais en Belgique, on constate que de nombreux joueurs qui ont une activité d’indépendant préfèrent rester dans l’ombre. C’est leur façon à eux d’éviter les profiteurs. Une enquête américaine a en effet démontré qu’entre 2004 et 2018, des athlètes ont été escroqués pour plus de 525 millions. «Faire profil bas, c’est une façon de se protéger», dit Gillet. «On est souvent approchés par des gens bizarres pour investir ça et là. Je comprends que certains joueurs ne parlent pas ouvertement de leurs autres activités.»
Si beaucoup d’entre eux veulent aussi rester discrets, c’est pour ne pas heurter leur employeur. Dans le monde des agents, il se dit que certains clubs craignent que les joueurs ne se concentrent plus suffisamment sur leur job. «Les clubs ont le droit d’insérer au contrat une clause selon laquelle leur employé ne peut pas travailler dans un secteur en concurrence et doit demander une autorisation pour exercer toute autre activité, mais tant que le joueur respecte les horaires de travail, ils ne peuvent pas l’empêcher d’être indépendant», dit Stéphane Stassin, du syndicat des sportifs United Athletes. «Jusqu’ici, je n’ai jamais vu un club de D1 interdire une activité d’indépendant. Si un agent possède un contrat avec une telle clause, je veux bien le voir et l’examiner avec plaisir.»
Lorsqu’il jouait, Swolfs ne criait pas sur tous les toits qu’il investissait en bourse. L’ex-jeune joueur du Club Bruges, de Malines et de La Gantoise voulait avant tout être considéré comme joueur. «Les supporters me disaient parfois de faire attention, qu’en cas de mauvaise prestation, on dirait que c’était parce que j’avais la tête ailleurs. Un entraîneur m’a même demandé un jour si je ne pensais pas trop à mon autre boulot. N’importe quoi! Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire qu’un joueur utilise son temps libre à dormir, à jouer à la PlayStation ou à faire tourner son entreprise? Bizarrement, ceux qui suivent des cours d’entraîneur ne sont jamais confrontés à ce genre de question.»
Garanties bancaires
L’incroyable trajet de Swolfs est la preuve qu’un joueur de foot ne doit pas avoir décroché un Master in Business Administration (MBA) dans une Business School pour diriger une affaire florissante. La plupart du temps, il lui suffit d’être bien encadré et très motivé. Swolfs, qui a laissé tomber des études universitaires pour faire carrière dans le football, est un autodidacte. «Je reste convaincu que le métier de footballeur est un des plus beaux du monde, mais il est trop monotone à mon goût. J’avais envie de plus, je voulais développer mes compétences. Il faut oser se salir les mains et apprendre, mais je n’ai jamais pu jouer sur mon statut de footballeur, au contraire. Les gens se disaient: Qu’est-ce qu’un joueur y connaît en investissement? J’ai donc du prouver deux fois plus pour gagner la confiance de clients potentiels.»
Gillet, qui peut pourtant se prévaloir d’un beau parcours à l’étranger et avec les Diables rouges, a également dû vaincre quelques obstacles avant de pouvoir construire son méga centre de padel. Pour financer le projet, les institutions de crédit ont mis sa crédibilité et sa solvabilité à l’épreuve. «Il ne faut pas croire que les banques font des cadeaux aux joueurs», dit-il. «La seule chose qui les intéresse, ce sont vos rentrées mensuelles. Lorsque j’ai rentré mon dossier, je venais de signer à Waasland-Beveren. On m’a donc demandé ce que je gagnerais si, dans six mois, j’arrêtais de jouer. Manifestement, ce que j’avais mis de côté au cours des années précédentes était accessoire. Ce qui les intéressait, c’étaient mes revenus actuels et futurs. Bref: il est plus facile de faire passer un dossier quand on a un contrat de quatre ans que quand on n’a signé que pour six mois, comme moi. Heureusement, j’avais un patrimoine et j’ai pu donner certaines garanties à mon banquier. Mais même pour un joueur, il est difficile d’obtenir un crédit pour un grand projet.»
Actionnaire passif
Un Kevin De Bruyne, qui manque de temps pour s’engager dans la gestion quotidienne d’une entreprise, doit se contenter d’un rôle d’actionnaire passif. Ce sont des tiers qui cherchent des opportunités d’affaires pour le médian offensif de Manchester City tandis que son père, Herwig De Bruyn, s’occupe des tâches administratives. «Ce qui a éveillé l’intérêt de Kevin pour les affaires, ce sont ses obligations commerciales à City», dit Herwig. «Il a rencontré des gens qui lui ont ouvert des portes. Mais Kevin est particulièrement difficile. Les entreprises qu’il finance doivent avoir un lien avec le sport et il doit sentir le produit, se reconnaître dans ce que vend l’entreprise.»
Voici peu, KDB a pris une participation dans Sports & Leisure Group (SLG), leader du marché dans la production de pelouses hybrides. Ce n’est pas non plus un hasard si De Bruyne s’est associé à Therabody, un fabricant américain d’appareils de massages sportifs, et à BALLN, qui mesure les capacités footballistiques d’un joueur grâce à l’intelligence artificielle et à la réalité augmentée. «Kevin a des ambitions spécifiques dans le monde des affaires. Est-ce un homme d’affaires instinctif? Pas vraiment. Évoluera-t-il dans le monde des affaires à l’avenir? C’est possible. Il a entamé des cours d’entraîneur et il s’en servira peut être. Il mise sur plusieurs chevaux afin de ne pas connaître le trou noir ou de ne pas devoir repartir de zéro après sa carrière.»
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