Football: les méthodes étranges et fructueuses du coach Stijn Stijnen
Visite chez Stijn Stijnen, l’ancien gardien des Diables devenu coach à succès à Maasmechelen grâce à une recette «militaire».
La gueulante est ouatée. Tout juste remis d’une opération du nez, Stijn Stijnen avait prévenu: difficile pour lui de faire décoller les décibels. «Je ne pourrai pas crier comme d’habitude», sourit l’entraîneur du Patro Eisden Maasmechelen, club promu qui joue les premiers rôles en Challenger Pro League, l’antichambre de l’élite du football belge. Alors, sur la pelouse d’entraînement cachée derrière le pré impeccable du Patrostadion, les remontrances se font sans grands éclats de voix. Elles durent par contre une bonne dizaine de minutes, émaillées d’incitations à connaître les souffrances de la vraie vie, celle où l’on travaille de 8 à 17 heures, endurcies par le coup de froid ambiant. «C’est son speech quotidien», glisse-t-on au bord de la pelouse. Regards fuyants et bouches closes, les joueurs ressemblent à des passants abrités sous un arbre en attendant que l’averse passe.
Stijn mérite une statue ici. Sans lui, le club n’existerait probablement plus.
Pour comprendre la colère de l’ancien gardien des Diables Rouges, il faut revenir une heure plus tôt et cent mètres plus loin. Dans le bureau du staff, sobrement décoré d’une cible de fléchettes et du trophée du titre de champion en Nationale 1 acquis au printemps dernier, la télévision diffuse une séquence de quatre minutes lancée par Dave Laeveren, l’analyste vidéo. On y voit les joueurs en plein exercice de possession de balle, avec un marquage individuel qui forme d’immuables couples de gardes du corps. «Personne ne va au duel. En quatre minutes, je n’en ai compté que quatre», grommelle Stijnen, mécontent au point de demander à son analyste de diffuser le clip sur la télévision du vestiaire où les joueurs se préparent pour l’entraînement, surmonté des mots suivants: pas de duels, pas d’intensité, peu de pression, trop lent. Une histoire de rythme et d’impact qui définit les Mauves du Limbourg, voguant depuis le début de saison à une moyenne de 38,5% de possession de balle, la plus maigre du championnat.
Avoir le ballon n’est pas dans la liste des priorités de Stijn Stijnen. Installé devant son assiette à la mi-journée, le coach admet, certes, qu’il y a «mille manières de gagner un match», mais vante les mérites de la sienne: «Je pense que le football de haut niveau est plus proche de notre manière de faire. Quand on regarde la Coupe du monde ou les compétitions européennes, c’est un football efficace, qui va vite vers l’avant, avec beaucoup de changements d’aile. Les triangles au milieu de terrain, c’est en train de disparaître. C’est vers ça qu’on tend: on ne veut pas faire la passe de trop, et être bien organisé quand on n’a pas la balle.» Avec 246 passes de moyenne depuis son arrivée en Challenger Pro League, le Patro vogue à bonne distance du reste de son championnat, pointé entre 309 et 529 passes par rencontre.
La séance matinale tout juste conclue sert de témoignage. Entamée à 10 h 30 par le fameux speech frigorifié, elle n’accueillera les premières touches de balle que quarante minutes plus tard, au bout d’une longue montée en régime cardiaque et musculaire parsemée de haies, de cerceaux et d’appuis courts entre des bâtons inclinés. Pour une partie de l’équipe, vêtue de chasubles vertes, au bout de quelques passes échangées, le plaisir balle au pied sera de courte durée puisque la demi-heure suivante sera consacrée à un attaque-défense lors duquel la deuxième équipe doit longtemps se contenter d’un long ballon lors de chaque récupération avant de reprendre sa procession défensive. Les quarante minutes de travail sur les phases arrêtées qui suivront n’offrent pas plus de perspectives d’enchaîner les passes, et beaucoup retourneront vers les vestiaires avec plus de ballons touchés de la tête que du pied. Une philosophie à l’encontre des préceptes de jeu vantés par l’école fédérale des entraîneurs, où le coach du Patro faisait souvent figure d’ovni lors des cours de la Licence Pro, mettant en avant des principes où l’entraînement est plus fréquemment une souffrance qu’un plaisir. Tant pis si plusieurs joueurs s’en plaignent à leur entourage après quelques séances conclues au bord de la nausée, au sens figuré et parfois même au sens propre. Loin de l’obsession des formes jouées, du culte des intervalles à trouver en possession ou de la périodisation tactique, cette philo- sophie d’entraînement qui affirme que tout peut se travailler avec le ballon, Stijn Stijnen maintient ses convictions avec fermeté et affiche des résultats qui le confortent dans sa prise de position loin des brises de l’air du temps.
Zone rouge et bac à sable
Posé derrière l’un des buts du terrain d’entraînement, un impressionnant tertre, comme un rappel des terrils de cette région de charbonnages, arbore les stigmates des semelles qui s’épuisent à le gravir. L’après-midi, une séance de force du bas du corps est effectivement au programme. Après des boulettes de volaille et un peu de purée, le sable est au copieux menu du noyau du Patro, avec des passages à répétition dans un bac ensablé qui n’a rien de divertissant puis des courses jusqu’au sommet de la colline de fortune. L’enchaînement a des airs de stage commando, à l’heure où les staffs professionnels ont pris l’habitude de mesurer chaque effort physique au millimètre près.
«On fait évidemment attention aux paramètres, et tous nos joueurs s’entraînent avec des GPS, mais il faut aussi parfois être capable de franchir les frontières et de se mettre dans le rouge, justifie Stijnen. Les autres ne le font peut-être pas, mais ça nous permet de faire la différence sur le plan physique. On ne le fait pas n’importe quand, mais quand l’opportunité se présente, on peut ajouter deux, trois, voire dix minutes de travail par rapport à ce qui était prévu. Etre plus fort physiquement que ton adversaire, c’est entraînable. Tu peux avoir l’excuse du talent supérieur dans une autre équipe, plus riche, mais s’ils sont meilleurs que nous sur le physique, c’est qu’on ne travaille pas bien.»
Initialement surpris par ces méthodes, parfois révoltés, les nouveaux venus finissent par se résigner à les suivre, se fondant dans un collectif rigoureux et organisé qui porte généralement ses fruits au tableau d’affichage. Sur place, il n’est de toute façon pas question de remettre en cause l’autorité ou les méthodes du coach à succès. «Stijn mérite une statue ici. Sans lui, le club n’existerait probablement plus», certifie Sem Clijsters, team manager de l’équipe qui fait office de comité d’accueil matinal. Arrivé à la tête d’un Patro alors descendu en D2 amateurs, Stijnen a effectivement remanié le club de fond en comble, assuré des missions quotidiennes parfois très loin de celles d’un coach de ce niveau pour maintenir le blason à flot, et décroché deux titres de champion pour arriver jusqu’à l’échelon professionnel avec le soutien de nouveaux investisseurs américains.
Egalement propriétaire du club anglais de Leyton Orient et du Vitesse Arnhem aux Pays-Bas, The Common Group a racheté l’entité limbourgeoise pour la transformer, petit à petit, en un nouveau bastion du football national. Tout ça en laissant évidemment Stijn Stijnen aux commandes, tant pour ses efforts consacrés au club que pour son étonnante recette à succès. Au sein de la Challenger Pro League, tous s’accordent à dire que le Patro est une équipe ennuyeuse à affronter, et particulièrement difficile à battre. Il faut dire que le maître des lieux a ses secrets pour donner à ses troupes la haine de la défaite.
Stijnen et la haine de la défaite
En bordure du terrain d’entraînement, deux rangées d’arbres servent d’escorte à un étonnant chemin qui ne mène nulle part. Les feuilles murmurent que les joueurs détestent l’emprunter, parce qu’il est souvent la désagréable conséquence d’une défaite lors de la séance. Quand une opposition est au menu du jour, les perdants reçoivent une punition particulièrement indigeste. Elle peut consister à marcher sur ce sentier d’une petite centaine de mètres pendant plus d’une heure, tandis que les vainqueurs peuvent se rendre sous la douche. «Dans nos séances où on met un enjeu, le perdant a toujours une conséquence négative, confirme Stijn Stijnen, persuadé de l’efficacité de sa méthode. Il faut sentir que si tu gagnes, c’est une bonne chose pour toi, alors que si tu perds, ça sent mauvais. La défaite doit procurer un sentiment négatif, et créer des sentiments qui empêchent de t’y habituer. Par exemple, ça peut être un entraînement supplémentaire fixé l’après-midi, ou bien aider à l’entretien du site en nettoyant les panneaux publicitaires… Créer une mentalité de vainqueur, ça commence par détester la défaite.» Généralement, les défaites en championnat sont sanctionnées d’un mercredi après-midi parsemé de mauvaises surprises, à base d’efforts supplémentaires et de compteur kilométrique qui décolle.
La force mentale des joueurs est mise à rude épreuve. Certains ne tiennent pas le coup. Le 12 septembre dernier, le club annonce sur ses réseaux sociaux le départ de Simon van Duivenbooden, arrivé de Vitesse Arnhem quelques jours plus tôt mais reparti pour «raisons personnelles» et «divergences de vue» après trois entraînements. L’attaquant batave aurait ouvert de grands yeux face à la charge imposée à chaque séance, préférant un retour sans véritable perspective dans son club formateur à une saison à une cadence militaire. Pas de quoi remettre en question les méthodes de la maison, pas plus que les critiques qui taxent les Limbourgeois d’équipe minimaliste et rugueuse. Comme lors de sa carrière de joueur, Stijn Stijnen assume sans détour les particularités de sa personnalité et la force de ses convictions (lire encadré).
Capable d’emmener un joueur multiplier les sprints dans le bac à sable quand il le trouve trop peu impliqué dans la séance, il n’est pas du tout touché par les reproches adressés au jeu de son équipe. Il félicite d’ailleurs son gardien qui crie «faute, faute, faute» à la moindre perte de balle, recette efficace pour casser le rythme, prendre le temps de se replacer et éviter de concéder une situation de contre-attaque souvent synonyme de danger. «Je ne vois pas pourquoi ce style de jeu serait frustrant pour notre équipe. Le plus frustrant, ce sont les efforts sans obtenir de résultats. Nous, on en obtient. Nos performances depuis plusieurs années, le titre décroché la saison dernière avec la meilleure défense, notre début de saison réussi alors qu’on découvre le niveau professionnel… Tout ça nous fait croire encore plus en ce qu’on fait. Si tu vois qu’une méthode donne des résultats, tu n’as qu’une seule chose à faire: la répéter, encore et encore.»
Tant pis pour les joueurs qui n’aimeraient pas le mythe de Sisyphe. Parce qu’à Maasmechelen, derrière le terrain d’entraînement, on n’a vraisemblablement pas fini de gravir la montagne.
«Une carrière à remous»
Avant d’investir les bancs de touche, Stijn Stijnen a connu une carrière de gardien plutôt mouvementée, ponctuée de quelques sorties spectaculaires sur le terrain mais aussi dans les médias. Au cœur des années noires des Diables Rouges, l’ancien portier de Bruges est parvenu à faire parler de lui en prélude à une rencontre face au Portugal. Il avait alors déclaré que la meilleure manière de défendre face à Cristiano Ronaldo, alors étoile montante de Manchester United, était de «le blesser au bout de deux minutes». Une phrase que Stijnen avait contestée par la suite, mais qui avait fait le buzz sur le télétexte de la VRT – décidément une autre époque – avant d’être reprise par la presse portugaise, amenant Ronaldo à refuser de serrer la main du gardien belge. Dans la Venise du Nord, toujours, il avait aussi animé les forums du Club avec de faux profils, créés par sa compagne et son frère, pour critiquer la défense ou son principal concurrent. Tout ça sans prendre de gants, évidemment.
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