Football en faillite: «Le modèle tel qu’on le connaît n’est plus viable»
Théo Armbruster, figure du mouvement «socios» en France, promeut l’actionnariat populaire, une forme de réappropriation des clubs par leurs supporters.
Trésorier de la Fédération des socios de France (FSF), Théo Armbruster sait de quoi il parle: cet avocat parisien de 30 ans a participé, en 2018, à la fondation des Sociochaux, dont il est le vice-président. Cinq ans plus tard, en un seul été, l’association de supporters avait rassemblé pas moins de 11.000 socios (des supporters-propriétaires) et plus de 780.000 euros pour sauver le club de Sochaux. Entre-temps, des projets similaires ont vu le jour à Guingamp, Rouen ou Saint-Etienne.
En quoi consiste la Fédération des socios?
On essaie de travailler sur deux axes principaux. Le premier est un peu plus opérationnel, il consiste à accompagner les projets. Dernièrement, on a par exemple beaucoup discuté avec les Girondins Socios (NDLR: créés à la suite de la relégation administrative du club de Bordeaux en quatrième division). L’idée, c’est de leur fournir une boîte à outils, de leur suggérer la meilleure structuration juridique pour leur association, de profiter du retour d’expérience qu’on peut déjà avoir sur les autres projets, de les mettre en relation avec une plateforme comme HelloAsso qui permet de faire des levées de fonds. Le deuxième axe est plutôt un volet de lobbying, ou du moins de promotion de l’actionnariat populaire. C’est dans ce cadre qu’on échange avec les instances telles que le ministère des Sports.
Dans quel but?
Je ne sais pas si la loi est le véhicule idéal, mais on aimerait qu’il y ait des écrits noir sur blanc stipulant qu’une déclinaison de ce modèle est obligatoire, qu’un certain pourcentage du capital des clubs ou qu’un siège au conseil d’administration doit être réservé aux associations de supporters, avec un droit de regard, voire un droit d’alerte. Tout l’enjeu est que le modèle perdure et qu’il soit gravé dans le marbre. On pourrait même redéfinir ce qu’est un club de foot et le qualifier de «bien commun» pour mieux le protéger, c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas l’acheter sans avoir obtenu l’agrément ou l’accord de certaines personnes qui seraient garantes de l’image du club, de son histoire, de ses valeurs. C’est une piste parmi d’autres.
«Plein de gens en ont ras-le-bol de la grosse machine qu’est devenu le foot.»
Alors que ce modèle existe depuis un certain temps en Allemagne ou en Espagne, il a fallu, en France, attendre 2017 et le projet de Bastia…
Disons que ça a été le détonateur pour lancer un modèle à la française. A Bastia, le scénario est celui d’une liquidation judiciaire. Une association de supporters, le SECB (NDLR: Socios étoile club bastiais), et notamment deux entrepreneurs locaux ont alors repris le club. Ils l’ont carrément transformé en une coopérative. Ce modèle peut parfois être vu comme un repoussoir pour les investisseurs privés, mais les socios financent et participent à des actions bien précises. Par exemple, ils ont été à l’origine du projet de relance d’une ligne de train régional pour permettre aux gens de venir au stade. La force des socios, c’est aussi d’identifier les leviers pour un club et d’être moteur de son développement.
Comment cela fonctionne-t-il à Sochaux?
Chaque projet à ses particularités. On a un peu le meilleur des deux mondes, à Sochaux. On est actionnaire de la société du club professionnel, on est membre de son conseil de surveillance, donc de l’équivalent du conseil d’administration, mais on est aussi représenté au sein de la société qui gère le centre de formation et les équipes féminines. On a donc la chance d’être présents à tous les niveaux, et de pouvoir nous impliquer sur tous les projets du club, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Avec, en revanche, un point très important pour nous: dans tous les projets socios qui se montent, à aucun moment les supporters n’ont vocation à se mêler du sportif. On n’est pas là pour dire qu’il faut recruter untel ou virer un autre. C’est une ligne rouge qu’on ne souhaite pas franchir.
Votre force, à Sochaux, est aussi d’avoir été prêts très tôt…
Exactement. On a commencé l’aventure en 2018. On était un petit groupe à s’être retrouvés un peu par hasard, en discutant sur les réseaux de la situation du club. A l’époque, le groupe chinois Ledus, un fabricant de LED, était propriétaire du club et arrivait un peu de nulle part. On a lancé une sorte de consultation qui nous a permis de voir si les gens étaient sensibles à l’idée et, après avoir frappé plusieurs fois à la porte du club, on y est allés sans se poser de questions quand il s’est retrouvé au bord du dépôt de bilan en 2023. Franchement, c’est une aventure folle: on s’est vite rendu compte qu’on avait parmi nous des gens ultracompétents dans leur domaine, en informatique, en communication… Aujourd’hui, on est 11.000 socios et on a même dû engager une salariée pour la gestion quotidienne.
Quel est le retour des instances?
Il y a de plus en plus d’oreilles attentives. On sent qu’une espèce de bulle est en train d’éclater. L’un des arguments qu’on nous oppose régulièrement, c’est qu’un club ne peut pas avoir la surface financière dont il a besoin pour évoluer en deuxième division avec simplement des entreprises locales. C’est en partie vrai mais il ne faut pas non plus oublier que la plupart des clubs vivent très largement au-dessus de leurs moyens. Il y a quand même un certain nombre de clubs qui tombent les uns après les autres. C’est bien que le modèle tel qu’on le connaît depuis quelques années n’est plus viable.
Qu’est-ce que cela raconte de notre société?
Déjà, j’aimerais que ces projets émergent dans des contextes sains, qu’ils ne soient pas toujours le dernier recours quand les choses tournent mal. Les chutes des clubs permettent malgré tout de se poser les bonnes questions: pourquoi j’aime le foot?, pourquoi j’aime mon club et ma région? Parce que faire en sorte que les clubs retrouvent un lien fort avec leur territoire est aussi un enjeu. Voilà ce que ça raconte, une volonté de se réapproprier son club et de le réancrer localement, de renouer le contact, parfois de s’investir dans l’associatif. Plein de gens en ont ras-le-bol de la grosse machine qu’est devenu le foot et se détachent de ce sport parce qu’ils ne s’y reconnaissent plus.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici