Au Standard comme à Charleroi, le virage vers la modernisation a été manqué. © BELGAIMAGE

Comment le foot wallon a raté le virage de la modernisation

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Places fortes du football wallon, Charleroi et le Standard sont à la traîne dans la course à la modernisation et à la scientifisation du football. L’image d’un jeu belge à deux vitesses.

Il paraît que pour cacher la poussière qui s’accumule sur une cheminée, il n’y a rien de tel que de la garnir. Durant des années, le RSC Anderlecht a masqué le vieillissement de sa structure en empilant les trophées, devenus presque une coutume annuelle dans les dernières saisons de règne du président Roger Vanden Stock et de son bras droit Herman Van Holsbeeck. Avec les millions de Marc Coucke pour prendre le relais, la machine allait continuer sa moisson de titres, pensait-on alors. C’était au début de l’année 2018, et pour que sa cheminée continue à attirer l’œil des amateurs de football, Anderlecht a dû se résoudre à faire les poussières.

Si le discours le plus fréquemment entendu parlait surtout des fameux «cadavres dans les placards», ritournelle des reprises chahutées, la plus grande partie du nettoyage de la grande maison bruxelloise consistait à moderniser un mode de fonctionnement qui semblait être cantonné au siècle précédent. Parce que les trophées étaient la meilleure parade aux éventuelles remises en question, Anderlecht n’avait jamais véritablement développé sa cellule de scouting, ouvert la porte à l’utilisation optimale des bases de données ou pensé son image médiatique, notamment sur les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’il a été doublé par un Club de Bruges résolument tourné vers le futur et la gestion entrepreneuriale, sous l’impulsion du président Bart Verhaeghe et de son bras droit Vincent Mannaert. Les Blauw en Zwart ont pris fermement les rênes du football belge, et tous ceux qui veulent briller sur les pelouses nationales tentent désormais plus ou moins d’imiter leurs méthodes. Même à Anderlecht, si on ne le confie qu’en catimini au vu de la rivalité qui anime les deux clubs les plus titrés du pays, on s’inspire de certaines recettes du succès brugeois.

Dans le sillage du club phare de la Venise du Nord, une bonne partie des clubs flamands ont rendu leur structure plus rationnelle, voire scientifique. Les analystes de données sont devenus de plus en plus fréquents au sein des cellules de recrutement, poussant même parfois la porte des staffs. Le suivi médical devient plus important, et l’encadrement des équipes grandit aussi bien en qualité qu’en quantité. C’est ainsi qu’au Cercle Bruges, bonne surprise de la saison écoulée, le noyau de joueurs est l’un des plus restreints de l’élite belge mais est accompagné par un staff pléthorique autour du coach Miron Muslic. Plus rien, ou presque, n’est laissé au hasard.

La politique du réseau

De l’autre côté de la frontière régionale, l’évolution vers ce «data-football» se fait au ralenti. Certes, la RAAL de Salvatore Curaba s’inspire de méthodes semblables à celles des clubs flamands de pointe, calquant sa formule à succès sur les recettes de sa société Easi. Les «Loups» font toutefois figure d’exception, dans un milieu du foot wallon où la recette la plus partagée reste celle encore récemment mise en exergue par les Francs Borains, rival presque permanent des Louviérois au fil des divisions et des saisons dans la dernière décennie. Dans le club présidé par Georges-Louis Bouchez, les rênes sportives ont officiellement été confiées à David Lasaracina. Un rôle que le désormais ex-agent de joueurs (la fonction est inconciliable avec celle de directeur sportif pour des raisons éthiques) occupait déjà en partie, par son titre de «conseiller du président», mais qu’il jouera désormais dans la lumière, au sein d’une structure au nombre d’employés minuscule. De Lasaracina, le président des Francs Borains vante «le carnet d’adresses, un réseau notamment à l’international, et est amoureux du club et de la région. Des données très importantes pour faire évoluer le club», le tout formant un groupe de «personnes avec des qualités différentes, que les autres n’ont pas».

C’est la logique du réseau, celle suivie depuis de nombreuses années par le grand frère hainuyer qu’est le Sporting de Charleroi de Mehdi Bayat. Georges-Louis Bouchez n’a jamais caché son admiration pour le cadet de la fratrie franco-iranienne, architecte du renouveau des Zèbres au milieu des années 2010. Jusqu’à la remise en question entraînée par les résultats très décevants de la saison dernière, conclue en play-downs, Bayat n’a jamais semblé vouloir s’éloigner de cette logique, limitant sa «cellule de recrutement» à une série de personnes de confiance qui se comptent sur les doigts d’une main, ne sont pas employées par le club mais explorent les profils proposés à l’homme fort du Sporting de Charleroi par des agents desquels il s’est rapproché depuis son entrée dans le milieu.

Parfois, les choses ont semblé changer. En engageant Edward Still, présenté comme «homme de datas» et passé par des clubs flamands de pointe (Bruges et Antwerp) comme adjoint d’Ivan Leko, Mehdi Bayat s’était rapproché d’un scénario plus en phase avec la modernisation connue par le football belge. Les premières frictions, suivies de résultats décevants après un mercato mené au réseau plus qu’aux analyses, ont rapidement jeté les révolutions de Still et la cellule performance qu’il avait créée à la poubelle. Felice Mazzù, revenu avec des méthodes plus à l’ancienne, était à nouveau le messie carolo. Si Charleroi tente désormais de rattraper le temps (re)perdu depuis l’arrivée de Rik De Mil, conjointement aux chantiers de modernisation lancés selon la volonté de l’investisseur américain David Helmer, le discours vers le futur reste balbutiant. Ces derniers mois, les Zèbres ont ainsi accueilli en grande pompe leur ancien recruteur Raymond Mommens, revenu après une décennie passée dans la cellule de scouting de Bruges. Un gros poisson qui s’apparente au fruit d’une pêche miraculeuse, mais qui était poussé vers la porte de sortie dans la Venise du Nord à cause de méthodes datées, plus du tout en phase avec les réalités modernes du recrutement et méprisant ouvertement le recours aux bases de données pour transférer. Au bout de l’été, la longue quête de l’attaquant s’est d’ailleurs conclue par l’arrivée de Grejohn Kyei, indésirable au Standard et plan B après l’échec de la venue d’un Andi Zeqiri avec lequel il n’avait que peu de points communs sportifs. Une politique de l’opportunité et du réseau plutôt qu’un recrutement minutieusement planifié.

Grejohn Kyei, symbole d’une politique de l’opportunité et du réseau plutôt qu’un recrutement minutieusement planifié. © BELGAIMAGE

Les cellules se vident

Au Standard aussi, la fin de mercato n’avait pas grand-chose d’une organisation rigoureuse. Longtemps, c’est surtout le réseau du coach Ivan Leko et ses connexions croates qui ont paru guider la quête de renforts menée en des temps chahutés. Avec les ennuis financiers des propriétaires américains de 777 Partners, la politique sportive du Standard voguait à l’aveugle. Même avant cela, il y a rarement eu une véritable structure derrière les dernières années abouties des Liégeois. Quand les hommes de Ricardo Sa Pinto avaient touché le titre du bout des doigts en 2018, le recrutement était essentiellement entre les mains d’Olivier Renard, décrit par ses pairs comme un excellent scout mais un homme parfois désorganisé. Dans son sillage, Benjamin Nicaise avait tenté de structurer la cellule sportive liégeoise et d’y adjoindre des paramètres statistiques, mais on disait de lui qu’il n’avait ni l’œil ni le réseau de son prédécesseur.

Une fois tous les hommes écartés autour de lui, Bruno Venanzi avait pris les commandes d’un dernier mercato loufoque, où il avait recruté Gilles Dewaele à Courtrai et Joachim Van Damme à Malines, négligeant le fait que le premier n’avait pas le niveau des ambitions rouches alors qu’un scouting sérieux du second aurait suffi à réaliser qu’il était en proie à des problèmes de santé dus à une addiction aux somnifères. 777 Partners devait tout changer, mais a surtout tout externalisé, laissant le recrutement au sein de la maison mère pilotée par Johannes Spors. Un homme de datas, ou en tout cas vendu comme tel, qui devait mener à distance le mercato de plusieurs clubs en même temps tandis que la cellule de scouting propre au Standard s’amaigrissait peu à peu.

Si le duel entre les deux meilleurs clubs wallons ne semble aujourd’hui plus concerner le haut du tableau, c’est notamment à cause de ce virage manqué de la modernisation. A Westerlo ou à Malines, on est désormais plus ancré dans le football de demain qu’au Mambourg ou à Sclessin.

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