Olivier El Khoury
Et les numéros deviennent des noms
Ya des mecs, on arrive le dimanche, pas le temps d’écraser ta clope contre le mur de la buvette, ils te citent la compo adverse et te scannent la fiche technique de chaque joueur. « Attention, Verstraeten, c’est fort, hein! Il a qu’un pied droit, mais il arrive toujours à se retourner, je l’ai joué en 2016 quand il était encore à Onoz. Thirion, il va sortir de son match si tu lui mets quelques taquets, un vrai sanguin. Les pénos, c’est Janssens qui les tire, c’est toujours à ras de terre à gauche. Et Bodart, je l’ai vu en kermesse hier à quatre heures du matin, mais il est jamais aussi fort que quand il s’est murgé la veille. À mon avis, le petit Stassin va jouer au back parce que Gigot a signé à Petit-Warêt. Faire gaffe, hein, c’est vite ». Dans ces cas-là, j’attends que Max arrive et qu’il demande à ma place « On joue qui, en fait? » et je le bénis d’un sourire complice.
La sueur, les Parisiens, ils n’aiment pas ça.
Cet aprèm, y a quand même un nom qui me fait tiquer, le coach dit à Nico qu’il va devoir être focus derrière: Akgül, c’est un client. Je dis: « Akgül? LE Akgül? Izzet Akgül? L’ancien attaquant de Charleroi? » On est en P4, merde, j’ai pas signé pour ça. On me dit « Toi, Oli, attention à untel et untel » et je réponds « Oui, oui » et le coach me dit « Non, pas oui, oui, ces gars, ils ont joué en D2, blabla » et je pense « N’empêche, ils sont en P4, je connais ma P4 et ça peut pas être si terrible ».
Sauf que c’est terrible! En face, y a des vraies pointures et je le découvre rapidement. On a beau marquer le premier but et se créer deux grosses occasions, ils restent calmes et jouent avec une maîtrise qui nous décontenance. Ils nous prennent au sérieux et avec beaucoup de respect, mais ils ne paniquent pas et savent qu’ils vont nous écraser. Après une mi-temps à nous époumoner et nous demander quels sont les furieux angles de passes qu’ils trouvent et les placements qu’ils ont, la tendance est déjà renversée. Et on passe le reste du match à prier pour ne pas en prendre de trop.
Ça finit 6-2 et l’impression d’avoir couru onze marathons. Les Akgül, les untel et untel, ils nous ont pas pris de haut, ils nous relevaient quand ils faisaient faute, ils se secouaient quand on les faisaient douter, ils se donnaient à fond dans les duels et ils estimaient l’odeur de notre sueur dans chacun de nos mètres, car elle était la même que la leur.
Trois jours plus tard, je vois De Ketelaere, Lang et compagnie courir dans le vent pendant quinze minutes, je vois les défenseurs brugeois dégager en tribunes les seuls ballons qu’ils parviennent à toucher, je vois Mignolet se retourner sur la première accélération de Mbappé. Je comprends qu’il y a plusieurs classes de différence. Et je me dis que c’est un film que je connais bien. Ce film, j’ai joué dedans dimanche passé, je connais la fin et elle ne me plaît pas des masses.
Sauf que la sueur, les Parisiens, ils n’aiment pas ça. À la différence de nos adversaires de P4. Vous avez vu Messi? Pas sûr qu’il ait eu besoin d’une douche. Le gars semblait sorti du séchoir. Mbappé faisait une sieste sur la pelouse à chaque contact. Ils ont cru pouvoir jouer facile, un peu dilettante. Gagner sans passer la deuxième. Mais face à nos guerriers brugeois, ça n’a pas suffi. Nos petits soldats ont montré que si on ne leur témoignait pas le respect, ils iraient le chercher eux-mêmes.
Je les imagine sans mal, les stars dans les vestiaires à la tactique, désignant les Brugeois par leurs numéros de maillot alors que les autres les désignaient par leurs noms. C’était Mbappé, Messi, Neymar contre le 90, le 10, le 20, le 4. Mais quand on part en guerre, un nom ne vaut pas plus qu’un numéro.
Et parfois, le temps d’un soir, les numéros deviennent des noms. S’esquissent alors des avenirs prometteurs.
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