Enfance en Suède et éclosion à Malines: Kerim Mrabti raconte son parcours

Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

Abdallah Kerim Mrabti (26 ans), Suédois d’origine tunisienne, est arrivé gratuitement à Malines pour renforcer le secteur offensif, mais séduit surtout par sa polyvalence et son volume de jeu. Il se raconte.

« Je suis né à Nacka, une commune limitrophe de Stockholm, qui compte à peine 25.000 habitants. Elle est située un peu en dehors de la ville, mais elle fait partie de l’agglomération. Nacka possède un quartier assez aisé, où habitent les gens riches, mais j’ai grandi dans un quartier un peu plus pauvre. Mes parents étaient très jeunes lorsque je suis venu au monde. Ma mère n’avait que 18 ans, et n’a pas pu terminer ses études. On n’avait pas beaucoup d’argent, la vie ne s’écoulait pas comme un long fleuve tranquille. Mais j’ai toujours été soutenu par ma famille. En fait, en tant qu’enfant unique, j’étais assez gâté. Je ne recevais pas de jouets, car mes parents n’avaient pas les moyens de m’en offrir, mais je recevais d’autres cadeaux et surtout beaucoup de soutien. Mes parents étaient toujours à mes côtés, y compris lorsque j’ai commencé à jouer au football. À l’école aussi, ils me soutenaient, même si je n’étais pas un élève spécialement brillant. »

Mon père travaille à Stockholm comme assistant social auprès de jeunes délinquants et toxicomanes.

Kerim Mrabti

Discipline et multiculturalisme

« Mon père est Tunisien et originaire de Bou Salem. Ma mère est née en Suède, mais possède la nationalité finlandaise. La Finlande n’est pas très éloignée, c’est un pays voisin. Les parents de ma mère ont émigré en Suède dans les années septante pour y travailler. C’est pour la même raison que mon père est arrivé à Stockholm. Sa soeur aînée et son mari tunisien avaient déjà émigré en Suède plus tôt, et ils l’ont convaincu de les accompagner, parce que le pays offrait de meilleures perspectives et un meilleur salaire. Il avait vingt ans, à l’époque. C’est à Stockholm qu’il a fait la connaissance de ma mère. Je suis né deux ans plus tard ( Il rit). Ils n’ont donc pas perdu de temps. Lorsque j’avais cinq ans, on a déménagé à Enköping, la ville où ma mère a grandi, à 45 minutes de Stockholm. C’est là que j’ai vécu et habité jusqu’à mes 18 ans.

Mes parents ont un caractère très sociable, mais ont beaucoup insisté sur la discipline dans mon éducation. Mon père travaille déjà depuis un certain temps comme assistant social, il s’occupe de jeunes délinquants et toxicomanes. Pas dans une prison, mais dans une sorte de maison d’accueil, où il s’occupe des quinze-seize ans. Il essaie de les remettre dans le droit chemin et de dessiner un parcours pour eux, afin qu’ils réintègrent la société. Comme il est constamment au contact de la jeunesse, il est resté très jeune d’esprit. Parfois davantage que moi. C’est chouette. Ma mère a un emploi similaire, mais avec des personnes plus âgées. Un emploi normal, mais qui exige beaucoup d’implication. Mon père est très démonstratif, parfois un peu agressif, il aime être au centre de l’attention. Il mène une vie trépidante, alors que ma mère est plus réservée ( Il sourit). Je suis un bon mélange des deux.

Il n’y avait pas beaucoup de criminalité ou de vandalisme dans le quartier où j’ai grandi. La Suède est un pays très ouvert, et de nombreuses personnes d’origines diverses s’y côtoient. Le pays a accueilli de nombreux réfugiés après les guerres en Irak, en Syrie et en Somalie. À Enköping, tout le monde se connaît, ou presque, car la population ne dépasse pas les 30.000 personnes. Je fréquentais de jeunes Suédois de mon âge, mais je jouais aussi avec des garçons de Bosnie-Herzégovine et d’autres enfants d’immigrés. Un mélange de langues et de cultures, où j’ai appris à apprécier tout le monde. Mon père a aussi fait la connaissance de mes amis, ce qui est une bonne chose. Pendant l’été, il n’était pas rare que nous les invitions tous à la maison, pour partager un repas et regarder un match de foot. On a passé de bons moments. Et, lorsque vous jouiez au football, vous deveniez très vite connu. »

Passionné de physiothérapie

« Si je n’étais pas devenu footballeur, je serais peut-être devenu électricien, plombier ou ouvrier du bâtiment. C’est dans cette direction que je m’étais orienté à l’école, au cas où je ne réussirais pas dans le sport. À seize ou 17 ans, j’avais même l’intention de donner la priorité à mes études, d’autant que je souffrais du genou et du dos. En plus, le matin et le midi, je devais chaque fois me farcir un déplacement de 45 minutes pour aller m’entraîner. J’ai arrêté deux semaines, jusqu’à ce que le club décide de m’incorporer directement à l’équipe première et se mette d’accord avec l’école pour aménager mes horaires. Aujourd’hui, si j’étais encore étudiant, j’opterais plutôt pour la physiothérapie, car je me suis un jour déchiré les ligaments du genou ( voir encadré, ndlr). Je me suis alors rendu compte à quel point il était passionnant et intéressant d’aider les gens à revenir à leur meilleur niveau après une grave blessure. Je n’ai pas renoncé à m’orienter éventuellement dans cette voie au terme de ma carrière active.

Mon père m’a raconté qu’à partir de deux ans, je voulais toujours avoir un ballon au pied. Lui-même a joué au football, mais il dit toujours que j’ai bousillé sa carrière ( Il rit). Papa a évolué en troisième, quatrième et cinquième division suédoise. C’est à peine si je l’ai vu jouer trois matches. C’était un milieu de terrain qui aimait contrôler le jeu. Ce n’était pas un gros travailleur, mais il a quand même écopé de quelques cartons rouges. Ma mère a un peu joué au football aussi, mais elle a surtout pratiqué le floorball ( une sorte de hockey sur glace en salle, cinq contre cinq, mais avec une balle en plastique, ndlr). J’ai un peu tâté de ce sport également, tout comme du handball et de l’athlétisme. Au bout du compte, c’est encore en football que j’étais le moins mauvais.

Arrivé en août 2020, Kerim Mrabti s'est parfaitement intégré au collectif de Malines.
Arrivé en août 2020, Kerim Mrabti s’est parfaitement intégré au collectif de Malines.© BELGAIMAGE

À six ou sept ans, je me suis affilié à Enköpings SK, le club le plus proche de mon domicile, le meilleur aussi. À partir de quatorze ans, j’ai été surclassé et je jouais comme défenseur central. Je n’étais pas le plus grand, mais je lisais bien le jeu. J’ai ainsi eu la possibilité de participer à des stages de l’équipe nationale, avec d’autres enfants nés en 1994. Trois ans plus tard, subitement, j’ai été aligné comme milieu défensif contre des équipes juniors un peu plus âgées que moi. Par la suite, j’ai occupé à peu près toutes les positions: à gauche, à droite, au centre, comme numéro dix. À Birmingham City, j’ai même été aligné comme attaquant de pointe. Pas souvent, mais quand même. Ici aussi, à Malines, j’ai un peu dépanné à tous les postes au début. Ma polyvalence est un atout.

Dans ma jeunesse, je fréquentais de jeunes Suédois de mon âge, mais je jouais aussi avec des garçons de Bosnie-Herzégovine et d’autres enfants d’immigrés. »

Kerim Mrabti

Gamin, j’étais supporter de Manchester United. J’admirais les mouvements de Cristiano Ronaldo. Mais lorsque j’ai pris de l’âge, je me suis rendu compte que je n’utilisais pas tous ces gestes. J’avais un tout autre style de jeu. Je préférais solliciter un bon une-deux, pour plonger ensuite dans la profondeur. J’ai alors surtout regardé Zinédine Zidane et Andrés Iniesta. Aujourd’hui, j’apprécie énormément la polyvalence d’ Ilkay Gündogan à Manchester City. J’aime voir de bons joueurs à l’oeuvre. Ma principale qualité, c’est de créer de l’espace pour les autres. Thomas Müller est un bon exemple dans ce domaine. Je ne serai jamais un vrai buteur, mais je me rends utile en réalisant une course ou en délivrant un assist qui place un coéquipier en meilleure position devant le but. Je réfléchis toujours en fonction de l’équipe, et je ne néglige jamais mes tâches défensives. »

Les conseils de Gustav Engvall

« À Enköpings SK, j’ai eu un bon mentor avec l’ancien international islandais Siggi Jónsson, un entraîneur qui avait une bonne philosophie de jeu. C’était un bon ami de mon père et il a joué pour Arsenal. On avait une très bonne équipe et on est montés de division. J’ai été épargné par les blessures, j’ai reçu beaucoup de confiance, j’ai pris beaucoup de plaisir et j’ai subitement pris conscience que je pourrais peut-être, malgré tout, atteindre un certain niveau en football. Ma convocation assez rapide pour les U19 suédois m’a procuré un énorme boost. J’avais l’avantage d’avoir goûté aux deuxième, troisième et quatrième divisions avec Enköpings et IK Sirius, avant d’arriver en première division avec Djurgårdens IF. J’ai franchi les étapes, pas à pas, car je n’ai pas été formé dans un grand club.

J’ai été élu Joueur de l’Année dès ma première saison avec Djurgårdens. On jouait un football rudimentaire, en 4-4-2, avec beaucoup de longs ballons vers l’attaquant de pointe. Après avoir reçu le prix, j’ai discuté avec l’entraîneur. Pelle Olsson a été franc avec moi. Il m’a avoué qu’en réalité, il ne me voulait pas dans son équipe. J’étais un choix du directeur sportif. Olsson estimait que je n’étais pas taillé pour son système de jeu. Mais il a ajouté qu’il avait été très heureux d’avoir pu compter sur moi comme ailier gauche qui rentrait dans le jeu, ou comme milieu de terrain. Subitement, j’étais devenu son premier choix.

Je suis resté à Birmingham City de mars 2019 à début juin 2020. Nous avons continué à nous entraîner pendant la pandémie. Mon contrat est arrivé à échéance. Il y avait une option que le club et moi pouvions lever. Mais je ne voulais pas rester plus longtemps, car il y avait beaucoup de transferts entrants et sortants. Et puis, je n’avais pas la totale confiance du manager et des propriétaires. Ils m’ont proposé une prolongation d’un mois, mais j’ai refusé de signer. Je préférais rentrer dans ma famille et Djurgårdens a accepté que je m’entraîne avec eux pendant l’été. Je pouvais signer pour quatre mois, mais ça ne m’enchantait pas, sans véritable préparation. Lorsque Malines s’est intéressé à moi, j’ai directement contacté Gustav Engvall. On a joué ensemble à Djurgårdens et dans les équipes nationales de jeunes en Suède. Il a été clair: un bon club, stable, qui joue dans un beau stade tout neuf, un groupe de joueurs qui a la bonne mentalité et un staff technique ambitieux. J’ai visité les installations, et en un jour et demi, j’avais tout vu. J’ai été séduit, c’était la bonne option. J’ai signé jusqu’en 2023.

À l’époque, j’ai aussi discuté avec le coach Wouter Vrancken. Il m’a expliqué son style de jeu et le rôle qu’il avait en tête pour moi. Cette équipe pratique du bon football et ne s’adapte jamais à l’adversaire, même si celui-ci s’appelle le Club Bruges ou Genk. Que ce soit à domicile ou en déplacement, ça ne fait aucune différence. On impose partout notre style: un 4-2-3-1 qui laisse libre cours à l’inspiration du moment. Je me suis rapidement intégré, grâce à cette vision bien définie et à des consignes claires. Les joueurs se comprennent et connaissent leur rôle à chaque position. Croyez-moi: après chaque match, mon maillot est bien mouillé. Car je sais que c’est ce que les supporters demandent. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai signé ici. »

Enfance en Suède et éclosion à Malines: Kerim Mrabti raconte son parcours
© GETTY

« Chez les U21, on m’appelait Camouflage »

En janvier 2016, Kerim Mrabti a été appelé pour la première fois en équipe nationale suédoise. Mais pendant le stage à Abu Dhabi, le destin frappe. Le footballeur de poche se déchire les ligaments du genou après vingt minutes de jeu, lors du premier match à Dubaï. S’en suit une longue indisponibilité. Mais au lieu de suivre une période de revalidation d’un an comme c’était prévu, il rejoue dès septembre. « C’est la preuve d’une bonne mentalité », affirme-t-il. « J’avais un coéquipier, Haris Radetinac, qui était un peu plus âgé et avait eu le même problème. Au début, il avait des pensées très négatives, mais il m’a ouvert les yeux. J’ai abordé le problème de façon positive. Passer son temps dans les salles de fitness et de musculation est le pire qui puisse arriver à un sportif professionnel. Certaines personnes affirment que j’ai perdu un an en agissant de la sorte, mais je vois les choses différemment. Je connais désormais mieux mon corps et, moyennant les exercices préventifs appropriés, j’ai prolongé ma carrière d’un an. Haris, qui s’est inspiré de mon positivisme après une deuxième blessure, est lui aussi en pleine forme actuellement. C’est devenu un bon ami. »

Mrabti n’a pas encore été convoqué pour un match officiel avec la Suède et pourrait donc encore jouer pour la Tunisie. « Au niveau de la personnalité, j’en suis à du 50-50, mais en règle générale je me sens plus Suédois que Tunisien », explique-t-il. « Chez les U21, pendant le championnat d’Europe, on m’a surnommé Camouflage, parce que je m’entends aussi bien avec les joueurs suédois qu’avec ceux issus de l’immigration. En 2018, à la mi-mai, j’ai subitement reçu une convocation de la Tunisie. La Coupe du monde avait lieu un mois plus tard. J’ai brièvement discuté avec le sélectionneur, mais je n’avais encore jamais joué avec cette équipe. Je ne voulais pas agir dans la précipitation. Jouer pour l’équipe nationale n’est pas une priorité pour moi, c’est un bonus. Je n’ai pas encore pris ma décision. Si je suis convoqué par la Suède, je répondrai favorablement. Ce serait un grand honneur pour moi. Mon père ne serait pas fâché si j’optais pour mon pays natal. »

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