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Drames familiaux, troisième division et mort imminente: qui est vraiment Jack Grealish?

Peter Mangelschots

Mardi prochain, le Club Bruges affronte Manchester City. Les Citizens comptent en leurs rangs le joueur le plus cher de toute l’histoire de la Premier League: Jack Grealish. Portrait d’un joueur-culte.

Lors du dernier EURO, on a cru un instant que les années 90 étaient de retour et qu’un nouveau Spice Boy était né, les cheveux longs retenus par un mince bandeau à la David Beckham. Ou les années 80, lorsque des footballeurs intrépides arpentaient le terrain avec les chaussettes baissées et sans jambières. Mais on était bien en 2021, et sous les chaussettes baissées de Jack Grealish étaient planqués de petits protège-tibias.

Mais il serait stupide de réduire Grealish à son apparence. Sinon, PepGuardiola et Manchester City n’auraient pas versé cent millions de Livres (117 millions d’euros) pour acquérir ses services.

Racines irlandaises et drames familiaux

Grealish porte ses chaussettes de la sorte depuis ses débuts avec les jeunes d’Aston Villa. À l’époque, il est remplaçant et s’empare de la dernière paire du panier. Celles-ci ont tellement rétréci au lavage qu’il n’arrive pas à les faire passer au-dessus de ses imposants mollets. Ce jour-là, il joue donc avec les chaussettes baissées. Il a depuis lors gardé cette habitude par superstition.

Foi et la superstition se confondent parfois dans la famille catholique au sein de laquelle Jack Grealish a grandi. L’Anglais est né à Birmingham, mais trois de ses grands-parents sont d’origine irlandaise. Raison pour laquelle, lorsqu’il est enfant, il tâte brièvement du football gaélique. Mais l’amour du football traditionnel prend rapidement le dessus. À l’âge de six ans, il s’affilie à un club. Ce club, c’est Aston Villa, dont son père Kevin est un grand supporter.

C’est précisément lorsque Kevin Grealish se trouve à Londres, en 2000, pour la demi-finale de la FA Cup contre Bolton, qu’il reçoit un coup de téléphone alarmant. Il rentre directement chez lui. Son fils de neuf mois, le petit frère de Jack, vient de décéder: la mort subite du nourrisson. Jack n’a pas encore cinq ans, mais il n’oubliera jamais Keelan. D’autres drames ébranleront la famille: la petite soeur de Jack, Holly, souffre d’une infirmité motrice cérébrale. Frère et soeur entretiennent des liens étroits.

Premier contrat et location

Jack Grealish s’illustre dès les équipes d’âge, mais ce n’est qu’à seize ans que la direction d’Aston Villa lui manifeste un certain intérêt, précisément au moment où il est aperçu dans le restaurant de RioFerdinand en compagnie de son père et d’un agent. Aston Villa craint que le goldenboy, qui n’est encore qu’un tout jeune joueur, ne parte à Manchester pour une bouchée de pain. Ce serait un véritable camouflet pour le club si plus tard, le joueur devenait une star! Une réunion est immédiatement organisée avec la famille Grealish, qui se voit offrir une belle proposition. En outre, l’entraîneur AlexMcLeish place directement l’ado sur le banc de l’équipe A le temps d’un match contre Chelsea. Le rêve devient réalité pour le jeune fan de Villa. Peu de temps après, il signe son premier contrat professionnel.

Jack Grealish avec ses traditionnelles chaussettes baissées, ici au duel avec Andreas Christensen de Chelsea.
Jack Grealish avec ses traditionnelles chaussettes baissées, ici au duel avec Andreas Christensen de Chelsea.© BELGAIMAGE

Après cela, il devra attendre plus de deux ans avant de jouer son premier match en équipe-fanion. À seize ans, il est cependant promu en U19, avec lesquels il affronte les plus grands clubs européens dans les NextGen Series (le précédesseur de l’UEFA Youth League). Bien qu’il évolue au milieu de joueurs plus âgés, il surclasse tout le monde, dribble souvent deux ou trois adversaires, en veut toujours plus et attend que les défenseurs reviennent, puis recommence. Le ballon semble lui coller aux pieds. Avec son talent, il emmène toute l’équipe dans son sillage. Ses débuts professionnels, on le sent, ne sont qu’une question de temps.

Mais ce n’est pas avec Aston Villa qu’il débutera. Après un conflit avec l’entraîneur PaulLambert, Grealish est prêté à 18 ans à Notts County, un club de tradition qui évolue alors en League One, la troisième division anglaise. Le staff technique s’aperçoit immédiatement que le jeune homme est trop bon pour ce niveau. Mais Notts County vit une saison difficile et doit lutter pour son maintien, ce qui n’est pas une situation idéale pour un jeune attaquant. Le coach ShaunDerry, lui aussi encore très jeune, offre cependant beaucoup de temps de jeu à Grealish et ne le sanctionne pas pour les erreurs qu’il commet. Grealish le remercie en inscrivant quelques buts importants. Chemin faisant, il apprend à affronter des adversaires qui ne retirent pas le pied. Il encaisse et se relève. Derry s’aperçoit que Grealish a parfois besoin d’une petite tape dans le dos, et ne se prive pas pour lui en donner.

Après la trêve hivernale, son prêt prend fin et Aston Villa veut le faire revenir, mais Grealish préfère rester un peu plus longtemps et terminer le travail qu’il a commencé. Notts County parvient à se maintenir en League One et Derry est convaincu que son équipe n’y serait pas parvenue si Grealish était parti. À 18 ans, il s’érige déjà en sauveur.

Un record embarrassant

À la fin de la saison 2013-2014, Grealish effectue enfin ses grands débuts avec Aston Villa. Paul Lambert l’introduit au jeu contre Manchester City, peu avant la fin du match.

L’année suivante, il fait régulièrement partie de la sélection retenue pour le match, mais Lambert se montre prudent avec son jeune talent et ne le fait entrer que sporadiquement. Les rares fois où il est autorisé à jouer, lui procurent un immense plaisir. Durant cette période, deux nations tentent également de le convaincre de jouer pour leur équipe nationale. C’est une saga qui durera un bon moment ( voir encadré).

La saison 2015-2016 ne laisse pas un très bon souvenir à Grealish. Il joue souvent, mais après sept défaites d’affilée, Aston Villa se retrouve dans les tréfonds du classement. De plus, Grealish entretient une mauvaise relation avec le nouvel entraîneur, le Français RemiGarde. Lorsqu’il est repéré dans une boîte de nuit après une défaite 4-0 contre Everton, Garde le renvoie en U21.

Et quand ce dernier est limogé en mars 2016, Grealish est à nouveau appelé, mais le mal est fait. Il a même établi un record dont il se serait bien passé: les seize matches de Premier League auxquels il a participé cette saison-là se soldent par autant de défaites. Même si ce n’est pas uniquement de sa faute, il est relégué en Championship avec son club de coeur. Pour la première fois en 28 ans, Aston Villa ne fait plus partie de l’élite. Grealish, qui était déjà supporter de Villa lorsqu’il était enfant et qui nourrissait des ambitions internationales avec les Three Lions, a le coeur brisé.

Jack Grealish sous le maillot de l'Angleterre. La bataille aura été rude entre la Perfide Albion et l'Irlande pour s'octroyer les services du joueurs de 26 ans...
Jack Grealish sous le maillot de l’Angleterre. La bataille aura été rude entre la Perfide Albion et l’Irlande pour s’octroyer les services du joueurs de 26 ans…© BELGAIMAGE

Hémorragie interne

La saison 2016-2017 commence on ne peut plus mal. Grealish a très envie de remettre son club sur les bons rails, mais le nouvel entraîneur RobertoDiMatteo ne lui en laisse que rarement l’occasion. Lors du premier match de la saison à Sheffield, Grealish prend place sur le banc, Villa est battu. En outre, il irrite son coach en s’autorisant quelques escapades nocturnes. Et ce n’est pas la première fois que ça lui cause des soucis.

Mais Grealish est si bon que ses équipiers ne comprennent pas pourquoi il ne joue pas. Et la direction, elle non plus, n’apprécie pas la tournure des événements. Après onze matches à peine, alors que Villa n’occupe que la 19e place, Di Matteo est renvoyé. SteveBruce, un ancien joueur de Manchester United, le remplace. Les débuts de Grealish sous Bruce ne sont pas des plus heureux non plus. Il échappe à un carton rouge pour un coup de pied volontaire, mais est quand même suspendu pour trois matches par la suite. Après cela, Bruce le relègue sur le banc pendant deux mois. Villa termine la saison à une peu reluisante neuvième place et la carrière de Grealish semble s’enliser.

La situation ne s’améliore pas lorsqu’il se blesse gravement lors de la préparation de la nouvelle saison. Lors d’un match amical, il reçoit un coup de genou dans le dos lors d’un duel aérien. L’un de ses reins se déchire à deux endroits, et l’hémorragie interne est importante. Il avouera plus tard qu’il n’a jamais eu aussi mal que durant ces heures-là. Il est emmené au bloc opératoire, où le chirurgien se sent obligé de lui avouer la dure réalité: « Jack, il est possible que vous ne surviviez pas à cette opération. »

Heureusement, celle-ci se déroule parfaitement, même si elle le laisse sur la touche pendant plusieurs mois. Steve Bruce prend régulièrement de ses nouvelles. Grealish est bien décidé à remercier son coach pour tous les encouragements qu’il lui a prodigués, dès qu’il pourra remonter sur le terrain.

Inspiration géniale

Il n’y réussira que partiellement. Grealish emmène Aston Villa en play-offs, mais les Villans sont battus en finale par Fulham et doivent se résigner à passer une troisième saison consécutive en Championship.

La saison 2018-2019 commence mal, elle aussi, avec deux victoires en treize matches. Grealish lui-même se retrouve sur la touche pendant trois mois à cause d’une blessure au tibia.

Mais lorsqu’il revient, le nouvel entraîneur DeanSmith, lui aussi fan de Villa depuis sa plus tendre enfance, a une inspiration géniale: il fait de Grealish, 23 ans à l’époque, le capitaine de l’équipe. Lors de son premier match après son retour de blessure, il marque un superbe but contre Derby. Ce même Derby est aussi l’adversaire, plus tard dans l’année, en finale des barrages pour l’accession à la Premier League. Et cette fois, Villa ne laisse pas passer l’aubaine et est promu parmi l’élite.

Pour son retour au plus haut niveau, le club éprouve certaines difficultés, mais atteint malgré tout la finale de la League Cup, qu’il perd contre Manchester City. Deux semaines plus tard, le monde entre en confinement. Grealish montre une fois de plus son plus mauvais visage, pour des raisons extra-sportives: alors que tout le monde est invité à rester chez lui, il percute quelques voitures en stationnement avec sa Range Rover. Forcément, les critiques ne l’épargnent pas.

Grealish répond sur le terrain, lorsque le championnat reprend pendant l’été. Lors de la dernière journée, il est la figure déterminante de la victoire contre West Ham, qui permet à Villa d’assurer son maintien sur le fil.

Le héros de la nation

De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer sa sélection en équipe nationale. Le sélectionneur GarethSouthgate reçoit même un message d’encouragement du PrinceWilliam, grand fan de Villa. Southgate ne lui donne pas immédiatement satisfaction, mais lorsque MarcusRashford se blesse en septembre et doit déclarer forfait, Grealish le remplace chez les ThreeLions. Il effectue ses débuts internationaux au Danemark, en qualité de remplaçant.

En grande discussion avec son coach actuel, Pep Guardiola.
En grande discussion avec son coach actuel, Pep Guardiola.© GETTY – VISIONHAUS

Une semaine plus tard, il signe un nouveau contrat de cinq ans, ce qui permet à Aston Villa d’être en position de force face aux clubs intéressés par les services du joueur, comme Manchester United et Arsenal. Pour fêter cela, il offre au sien une prestation cinq étoiles contre le champion sortant, Liverpool. Avec deux buts et trois assists, il permet à Aston Villa de gagner 7-2. En six mois, il est passé du statut de bad boy à celui de héros de la nation.

Une nouvelle blessure le relègue toutefois sur la touche pendant plusieurs mois début 2021. Il doit sa sélection pour l’EURO au nouveau règlement de l’UEFA qui permet de sélectionner 26 joueurs. Durant le tournoi, il ne fait que quelques furtives apparitions, mais il délivre quand même un assist à RaheemSterling lors du match de groupe (sans réel enjeu) face à la République tchèque. Sa popularité éclate au grand jour, lorsqu’il est acclamé par le public lors de sa montée au jeu contre l’Allemagne en huitième de finale. Lors du match suivant contre l’Ukraine, il reste cependant sur le banc, mais il monte encore au jeu contre le Danemark en demi-finale avant d’être… à nouveau remplacé.

Pep Guardiola en a suffisamment vu. Il dépose cent millions de pounds sur la table pour Grealish. C’est la première fois qu’une telle somme est dépensée pour un footballeur britannique. La première fois, aussi, qu’un club de Premier League verse une telle somme. Et toujours pour la première fois, Jack Grealish peut participer à la Champions League. Le nouveau chapitre d’une vie aux allures de roman…

Irlande ou Angleterre?

Depuis 2011, lorsque Jack Grealish a fêté son seizième anniversaire, l’Irlande et l’Angleterre lui font les yeux doux. En équipes d’âge, l’Irlande lui a permis de jouer dans une catégorie supérieure, ce qui a séduit le jeune attaquant, qui a donc revêtu le maillot vert et blanc de l’Eire depuis les U17 jusqu’aux U21. Pendant toutes ces années, la Fédération anglaise a régulièrement essayé de l’attirer chez les Three Lions.

Grealish a longtemps entretenu le suspense sur le choix qu’il effectuerait pour l’équipe A, qui serait donc définitif. En 2014, Martin O’Neill l’a sélectionné pour la première fois pour l’Irlande, mais Grealish a poliment refusé, en expliquant qu’il ne voulait fermer aucune porte.

Après que Grealish a disputé la finale de la FA Cup avec Aston Villa en 2015 (défaite 4-0 contre Arsenal), l’Irlande a de nouveau tenté sa chance. En vain, une nouvelle fois. En septembre de cette année-là, après une discussion avec Roy Hodgson dans les loges de Villa Park, Grealish a finalement tranché: il jouera pour l’Angleterre.

Malgré cette promesse, il faudra attendre jusqu’en 2020 avant qu’il n’endosse effectivement le maillot des Three Lions. Il a effectué ses débuts internationaux en Nations League, lors d’un 0-0 au Danemark.

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