Divock Origi, le cadreur de gloire aux longues traversées du désert
Il y a trois ans, Divock Origi transformait une saison anodine sur le plan personnel en instant d’éternité pour Liverpool en aidant les Reds à remporter leur sixième Ligue des Champions. Le climax d’une carrière aussi habituée à la célébrité fugace qu’aux longues traversées du désert.
Plus personne n’en doute. Andy Warhol n’était pas seulement un génie du pop art, il était aussi un prédicateur extraordinaire. En 1968, quelques semaines avant d’échapper à une tentative d’assassinat qui le contraindra finalement à porter un corset jusqu’à la fin de ses jours, Warhol déclarait: « À l’avenir, chacun aura droit à quinze minutes de célébrité mondiale. » Ce que Valérie Solanas, mondialement connue pour avoir été la dame aux trois coups de fusils du 3 juin 1968 sur Warhol, obtiendra de fait.
54 ans plus tard, les produits de la promesse de l’enfant de Pittsburgh font généralement la file derrière des perches à selfies. Ils sont influenceurs, candidats de télé-réalité, jeunes entrepreneurs, hommes politiques, parfois les quatre en même temps. Quand ils ne sont pas joueurs de football. Salarié du Liverpool FC depuis près de huit ans, Divock Origi a prouvé qu’il n’était pas seulement l’homme d’un coup d’éclat, mais garde l’image d’un joueur aux fulgurances ciblées.
Capable d’inscrire un quart de ses buts en Premier League contre l’ennemi juré d’Everton et trois de ses quatre goals en Ligue des Champions en demi-finale et en finale de l’édition 2019. Comme si les buts de Divock Origi étaient voués à toujours compter double depuis celui inscrit contre la Russie lors du Mondial brésilien en 2014.
La première de ses trois réalisations en Diable (en 32 sélections), mais un but synonyme de passe-droit hiérarchique. Titulaire au détriment de Romelu Lukaku pour la suite du Mondial, contre les États-Unis en huitième d’abord, puis l’Argentine en quart, Divock Origi, encore inconnu du grand public deux mois plus tôt, repart du Brésil avec le statut de révélation de la Coupe du monde 2014.
Lui dont la sélection surprise ne devait qu’au forfait initial de Christian Benteke gagne cet été-là le droit d’appartenance à la génération dorée. Une nouvelle exposition qui va de pair, quelques jours après son retour d’Amérique du Sud, avec l’officialisation d’un transfert attendu vers le gotha européen et Liverpool contre 12,4 millions d’euros. Une promotion assortie d’une location automatique d’un an vers le LOSC, son club d’origine. À l’époque, le club anglais pensait ménager son portefeuille car la cote de la pépite belge ne devait logiquement cesser d’augmenter après ce qu’il avait montré au Mondial.
LES TROUS NOIRS
Manque de bol, la saison 2014-2015 de Divock Origi avec le LOSC ne répond pas vraiment aux attentes. Neuf petits buts en 44 apparitions avec les Dogues toutes compétitions confondues, pas franchement le ratio attendu d’un attaquant censé ramener les Reds sur le toit de l’Europe. Mais tellement symptomatique d’un joueur aux courbes de performance illisibles depuis ses débuts professionnels.
Un joueur capable de marquer autant de buts en 77 minutes que lors de ses 23 précédents matches de championnat. C’était le 15 mars 2015 contre Rennes. Ce jour-là, le Belgo-Kenyan profite de la venue des Bretons au stade Pierre-Mauroy pour inscrire son premier (et dernier à ce stade) triplé en carrière et ainsi mettre fin à une période interminable de six mois sans but.
Une tache béante au milieu de ce qui devait être la saison de la confirmation qui fera un jour dire à François Vitali, le premier à avoir cru en Origi à l’époque où il occupait encore le poste de directeur du recrutement chez les Dogues: « Au sein du LOSC, les gens se sont toujours interrogés sur sa capacité à se faire mal au très haut niveau, où il faut autre chose que du talent pour réussir. »
Une incapacité chronique à convaincre dans la durée qui justifieront les multiples trous noirs successifs de son histoire personnelle. Avec les Diables d’abord, avec Liverpool ensuite. En sept saisons passées sur les bords de la Mersey, le joueur formé à Genk ne sera prêté qu’à une reprise, c’était à Wolfsburg au cours de la saison 2017-2018, dans l’espoir de conquérir du temps de jeu dans la perspective du Mondial 2018 pour lequel il ne sera finalement pas repris. Pourtant, il n’a jamais acquis pour autant un statut d’indéboulonnable ( voir encadré).
De quoi relativiser les belles paroles de Jürgen Klopp lâchées le 7 décembre dernier en conférence de presse, au soir d’un nouveau but d’Origi en Ligue des Champions, contre le Milan AC: « C’est un attaquant sensationnel (…) Un type formidable. Il sera considéré comme une légende quand il partira. Il aurait pu partir cet été, mais le football est fou et les gens ont oublié à quel point il est bon. »
LES MOMENTS D’EXCELLENCE SPORTIVE
En filigrane, le stratège allemand veut faire comprendre que le milieu du ballon rond est inconséquent et devrait regretter de ne pas s’être jeté sur cet attaquant génial, mais pourtant classé dans la colonne des joueurs à vendre par les Reds. Un petit jeu de communication plus qu’autre chose, censé couvrir de louanges un joueur sur lequel Jürgen Klopp lui-même, lassé des trop nombreux tunnels psychologiques traversés par le Belge, ne compte même plus en back-up.
Et qui sera libre de tout contrat le 30 juin prochain. Alors, à 27 ans, Divock Origi peut-il encore se réinventer ailleurs? Et trouver un moyen de faire durer ce que Daniel Goleman, professeur de psychologie à Harvard, décrit comme des « moments d’excellence sportive ».
De ceux capables de transcender un individu et de le faire entrer durablement dans ce qu’on appelle la zone optimale de performance. Dans son livre consacré à l’intelligence émotionnelle, Daniel Goleman, encore lui, analyse la zone « comme un état psychologique de fluidité, pendant lequel les moments d’excellence sportive ne demandent plus aucun effort ». Donnant naturellement naissance à un « état de créativité géniale, à la réussite dans le dépassement de ses propres limites. »
Comme si le quart d’heure de gloire de Warhol n’était pas forcément à visualiser comme une dérive, mais comme un aboutissement. Celui derrière lequel les sportifs courent toute leur carrière, mais qu’ils sont rares à pouvoir atteindre dans la durée.
DIVOCK ET LA MOTIVATION EXTRINSÈQUE
Pour Xavier De Longueville, psychiatre diplômé en psychologique du sport et médecin spécialiste hospitalier aux cliniques universitaires Saint-Luc, Divock Origi tiendrait sa difficulté à entrer dans la fameuse zone détaillée par Goleman de son absence quasi-totale « de motivation extrinsèque ». « Il y a deux exemples types pour détailler cela », avance De Longueville. » Cristiano Ronaldo et Eden Hazard. L’un qui est capable de se sublimer en toutes circonstances, quelles que soient les conditions, parce qu’il court derrière la reconnaissance et un autre qui a besoin de s’imprégner de l’ambiance pour élever son niveau, seulement mû par le plaisir qu’il prend. »
Ce qui permettrait, selon De Longueville, d’expliquer comment un joueur de la trempe de Divock Origi serait capable de se transcender à la 88e minute d’un match décisif en Coupe du monde, mais également de passer à travers dans une rencontre gagnée d’avance contre Saint-Marin. « Quelqu’un qui s’imprègne de l’atmosphère a du mal à se motiver par lui-même, à trouver des ressources internes », confirme De Longueville. « Même avec le meilleur psy du monde, un joueur comme Origi aura toujours du mal à se faire violence contre Burnley au mois d’octobre. Parce qu’il ne trouvera pas de raison d’en faire plus. Ces joueurs-là se réalisent en prenant du plaisir, pas en cherchant chaque semaine à se dépasser. »
LE TALENT ET LE TRAVAIL?
Ce qui explique qu’à talent égal, deux joueurs peuvent parfois obtenir des résultats que tout oppose sur la durée. Un parti pris partagé par Jean-Michel Vandamme, actuel responsable de la formation lilloise, mais déjà présent au club en juillet 2010 au moment de la signature du jeune Origi en provenance de Genk contre les 300.000 euros d’indemnités de formation. En juin 2019, au lendemain du but inscrit par son ancien poulain en finale de la Ligue des Champions contre Tottenham, dans les colonnes du journal L’Équipe, Vandamme analyse à sa façon les hauts et les bas du joueur. « C’est l’un des gars les plus talentueux que j’ai eu. J’ignore ce qu’il ne sait pas faire! Pourquoi il n’est pas titulaire dans un grand club européen? C’est la question qu’il faut se poser. Pour moi, sur la valeur intrinsèque, il est l’égal d’un des trois de devant, à Liverpool ( Mané, Firmino, Salah, ndlr). Il a au moins autant de qualités que ces trois-là. Mais certains joueurs possèdent une maturité tardive et ont du mal à comprendre les choses du haut niveau. »
Pour René Girard, son entraîneur au LOSC à l’époque, le souci était d’abord mental. « C’était un garçon gentil, mais un peu effacé », raconte-il un jour à L’Équipe. « Il lui manquait un petit quelque chose mentalement pour franchir un palier. Il était perturbé par sa situation aussi, car Liverpool l’avait prêté et il ignorait à quelle sauce il allait être mangé. »
D’un point de vue psychologique, ça tient du cas d’école. Où quand, face à l’incertitude, le corps se plonge dans une forme d’anesthésie. Un état d’inconscience pas loin de pouvoir aussi parfois expliquer l’état de grâce. « C’est le paradoxe de la performance sportive », écrit dans l’un de ses essais le psychologue du sport suisse Mattia Piffaretti. « On a pu constater que la zone est accompagnée d’une augmentation de production de substances corporelles telles que la noréphédrine (de la famille des analgésiques), responsable de la diminution du seuil de la douleur. Lorsque la noréphédrine est produite à haute dose, elle plonge le corps dans une sorte d’anesthésie: l’individu a l’impression d’être en « pilote automatique » et ne ressent plus les efforts liés à sa performance sportive. Cette substance a donc pour effet de détacher le sportif de son expérience corporelle, comme s’il vivait sa performance à la troisième personne. »
Quand on regarde en boucle le but décisif devenu viral inscrit par Divock Origi en demi-finale de la Ligue des Champions 2019 contre Barcelone sur le corner joué rapidement par son coéquipier Trent Alexander-Arnold, la sensation donnée par le Diable devient parfois réellement celle d’un joueur passé en pilote automatique. Le temps d’un instant. Qui a besoin d’un quart d’heure de gloire quand un quart de seconde lui suffit pour écrire l’histoire?
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