Didier Lamkel Zé à coeur ouvert: « J’ai envie de partir de Courtrai en bons termes, ce que je n’ai pas fait à l’Antwerp »
Encore une saison chez nous puis il mettra définitivement les bouts, c’est le plan. Mais avant ça, Didier Lamkel Zé accepte pour la première fois de raconter son histoire improbable, ses premiers pas de footballeur au Cameroun, ses frasques à l’Antwerp, son été plus que chahuté. Et plein d’autres choses encore.
S’il faut résumer par une seule scène la personnalité de Didier Lamkel Zé, ça pourrait être celle-ci. Ça se passe en août 2017, dans le stade de Valenciennes. Les Chamois Niortais, employeur du joueur, s’y déplacent. À sept minutes de la fin, alors que le score est de 4-0 en faveur des Nordistes, le Camerounais réduit timidement le score, d’une reprise de la tête. À 4-1, il n’y a vraiment pas de quoi la ramener. Et pourtant… Deux secondes après le but, l’attaquant déstabilise les 6.000 spectateurs. En fêtant son but de façon spectaculaire. Les bras ouverts, il fonce vers un poteau de corner, fait un sliding parfait sur les genoux et envoie même quelques bisous au public. Un seul coéquipier vient le féliciter: Romain Grange, le capitaine. Il est conscient de vivre un moment très particulier et incite Lamkel Zé à poursuivre son show. Le buteur du soir explique: «L’entraîneur ne m’avait pas fait confiance pour les deux matches précédents et je voulais qu’il comprenne que je n’avais rien à faire sur le banc.»
J’ai mis les nouveaux décideurs de l’Antwerp devant un choix: soit vous me laissez partir, soit je mets à nouveau le souk.» didier lamkel zé
Depuis qu’il a fait ses débuts sur nos pelouses, Didier Lamkel Zé a déjà endossé pas mal de costumes, joué un paquet de rôles. On l’a vu footballeur de salon, bad boy, personnage haut en couleur, acteur dans un feuilleton de transfert impliquant quatre clubs (Antwerp, Omonia Nicosie, Standard, Ferencváros). Il pourrait concourir sans souci pour l’Oscar du meilleur acteur. Mais, à l’entendre, il est aussi victime d’une sorte de chasse aux sorcières. «Quand j’étais à l’Antwerp, les médias estimaient que je ne leur en donnais jamais assez. Quand je suis revenu de mon prêt à Metz, les journalistes qui couvraient le club se sont frotté les mains. Ils se sont dit qu’ils allaient de nouveau avoir de la matière, vu que j’étais de retour. Mais je suis resté calme et ils ont été déçus.» Interview avec un tout bon client!
François Vitali, un des directeurs du centre de formation de Lille, a lâché un jour ceci en parlant de toi: «On ne peut pas juger quelqu’un si on ne connaît pas son parcours, sa vie.» Qu’est-ce que tu as d’intéressant à dire sur tes premières années de joueur au Cameroun?
DIDIER LAMKEL ZÉ: À douze ans, j’ai été recruté par l’École de football des Brasseries du Cameroun, à Douala. Cette académie avait sélectionné une centaine de joueurs dans tout le pays pour passer et un test et les 22 meilleurs pouvaient rester. Ils ont formé dix équipes de dix joueurs et il fallait tirer son plan. Tu sais comment ça fonctionne. Tu dois essayer de te faire remarquer dans des matches où tu ne reçois pour ainsi dire jamais le ballon, vu que tout le monde essaie de se mettre en évidence. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu la confirmation que j’étais retenu. Au début, mon père n’était pas chaud du tout. Il n’était pas fan de foot, et pour lui, j’avais beaucoup plus de chances de faire un parcours professionnel intéressant si je décrochais un diplôme. Mais il a quand même accepté que je parte là-bas.
Anderlecht, Bordeaux et Lyon me voulaient, mais je n’avais pas l’âge pour signer un contrat pro.» didier lamkel zé
Pendant ton séjour dans cette académie, tu es venu plusieurs fois en Europe pour passer des tests. Comment un adolescent vit ça?
LAMKEL ZÉ: Pendant le Challenge Geremi Sorele Njitap, un tournoi qui porte le nom de l’ancien joueur Geremi, un scout d’Anderlecht m’a repéré. Au départ, je n’étais même pas sur la liste des joueurs qui allaient faire le déplacement parce que j’étais trop jeune. Et une fois sur place, je ne savais pas qu’il y avait des scouts de clubs européens dans la tribune. Peu de temps après, on m’a demandé de faire les démarches pour un passeport à Yaoundé. Pendant les mois qui ont suivi, j’ai passé des tests à Anderlecht, à Bordeaux et à Lyon, où je me suis entraîné avec Nabil Fekir et Corentin Tolisso. Les trois clubs étaient intéressés, mais ils ne pouvaient pas me proposer de contrat avant mes 18 ans. Lille a agi autrement. Ils ne m’ont pas imposé de passer un test et ils m’ont offert un précontrat à 17 ans. En attendant que je devienne majeur. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais choisi Lyon, mais en Afrique, un joueur de foot n’a pas toujours le dernier mot… Tout s’est décidé au-dessus de moi et je ne connais pas les détails de l’arrangement financier entre Lille et l’académie. Moi, j’étais déjà tout content de me retrouver en Europe.
«À Niort, je mangeais des tacos avant les matches»
Finalement, tu ne t’es pas imposé à Lille. Comment t’es-tu retrouvé à Niort, en Ligue 2?
LAMKEL ZÉ: Niort me suivait déjà quand j’étais à l’académie. Mais je ne voulais pas laisser tomber Anderlecht, Bordeaux et Lyon pour un club pareil. Quand ils ont appris que Lille me laissait partir gratuitement, ils m’ont offert un contrat professionnel. J’avais à peine 19 ans et leur proposition était une preuve qu’ils croyaient en moi. Et je ne parle pas ici des 2.000 euros nets par mois que certains joueurs de Ligue 2 touchaient à l’époque.
Le directeur sportif de Niort t’aimait beaucoup. Il t’invitait à aller manger des tacos parce qu’il pensait que ça te rendrait meilleur sur le terrain. Tu as eu quelques altercations là-bas avec le capitaine, Aliou Dembelé. C’était un aperçu de ce que tu allais montrer plus tard en Belgique?
LAMKEL ZÉ: Cette anecdote des tacos a été un peu déformée. Je ne vais pas mentir, ça m’arrivait de manger des tacos avant les matches. J’aimais bien et ça n’avait pas d’impact sur mon niveau de jeu. Le directeur sportif savait que je n’étais pas un tricheur. Je me donnais toujours à fond et je me mettais toujours au service de l’équipe. Les altercations avec Aliou Dembelé, on peut dire que c’était simplement un malentendu. Petit à petit, nous nous sommes de plus en plus respectés mutuellement. Moi, quand j’ai quelque chose à dire, je le dis en face. À l’Antwerp, il m’est arrivé d’interrompre un speech de Laszlo Bölöni pour donner mon avis. J’ai toujours été sans filtre, ce n’est pas fait pour moi.
Le plus gros problème à l’Antwerp, c’était sans doute le manque de reconnaissance.» didier lamkel zé
Tu dirais que tu es un artiste incompris avec une personnalité complexe, c’est un bon résumé?
LAMKEL ZÉ: Si je disais autre chose, je te mentirais! Je suis à 80% d’accord avec la description que tu fais de moi. Quand je fais quelque chose, quand je dis quelque chose, je ne tiens pas compte de ce que les autres vont en penser. Il est arrivé que mon père me téléphone et m’engueule après avoir lu des trucs sur moi. Jusqu’au moment où je lui donnais ma version. Alors, il me conseille de freiner un peu de temps en temps…
Tu penses qu’on ne t’a pas bien compris à l’Antwerp?
LAMKEL ZÉ: Pour moi, le respect et la communication sont des valeurs incontournables, mais je ne me laisse pas marcher dessus. Je vais me comporter de façon tout à fait correcte avec toi si je sens que tu fais la même chose. C’est une chose que mon éducation m’a apprise. Le plus gros problème à l’Antwerp, c’était sans doute le manque de reconnaissance. Ça a dérapé quand la direction n’a pas respecté sa promesse par rapport à une augmentation de salaire. C’était ça, le cœur du problème. Si on regarde mes prestations, je n’ai pas eu ce que je méritais.
«Est-ce que la clique flamande de l’Antwerp était jalouse parce que j’étais le chouchou des supporters?»
Mais ça, c’était un problème entre la direction et toi. Pourquoi ça s’est aussi mal passé avec une bonne partie du groupe?
LAMKEL ZÉ: Le cœur du problème avec le clan flamand, Ritchie De Laet, Birger Verstraete et Pieter Gerkens dans les premiers rôles, ça m’échappe toujours. Je ne peux faire que des suppositions. Est-ce qu’ils étaient jaloux parce que j’étais le chouchou des supporters? Si tu veux avoir les réponses à des questions pareilles, c’est eux que tu dois contacter. Je me souviens par exemple d’un incident lors d’un match au Cercle. J’ai marqué et aucun joueur de cette clique n’est venu vers moi. Quand on est rentrés au vestiaire, j’ai dit ce que j’avais à dire: «Vous avez décidé de m’ignorer quand je marque un but? Pour moi, pas de souci. Le plus important, c’est que l’équipe gagne.» Ils sont revenus à la charge quand ils ont vu que mes goals rapportaient des points, ils sont souvent allés se plaindre chez Bölöni: «Didier ne s’entraîne pas bien, Didier ne pense qu’à lui.» Mais Bölöni s’en foutait. Aussi longtemps que j’aidais l’équipe à gagner, je pouvais continuer à faire ce que je voulais.
Comment les entraîneurs et les dirigeants voyaient cette situation?
LAMKEL ZÉ: Je vais te donner un exemple de la période où Franky Vercauteren était entraîneur. Il nous avait demandé, en anglais, de rester au club après l’entraînement pour manger ensemble. Dieumerci Mbokani et moi, on ne parle pas un mot d’anglais et on est repartis directement après la douche. Le lendemain, on a appris, par les joueurs flamands, qu’on ne pouvait pas s’entraîner. Donc, cinq joueurs ont décidé que deux coéquipiers ne pouvaient pas participer à l’entraînement la veille d’un match.
Tu as eu l’impression que les médias te réservaient un traitement différent, à cause des incidents dans lesquels tu avais été impliqué?
LAMKEL ZÉ: Oui et il n’y a pas que moi. Quand Dieumerci Mbokani, Jonathan Bolingi ou moi, on faisait quelque chose de pas trop bien, les médias commençaient à tartiner là-dessus. Ils attendaient la moindre petite erreur de notre part pour nous critiquer. À l’Antwerp, c’était impossible de garder quelque chose entre les murs du stade. Dès que tu disais quelque chose, il y avait des fuites orchestrées vers des journalistes qui s’entendaient très bien avec certains joueurs. Quand c’est comme ça, tu ne peux pas dire que le vestiaire est sain. Parfois, des joueurs allaient trouver la direction parce que les Africains avaient mis de la musique. Mais c’est quand même à ça que les baffles servent, non? Beaucoup de joueurs se sont plaints de ces fuites dans la presse, mais rien n’a changé, on a continué à laisser passer. Ça, il faut que je le dise.
À l’Antwerp, il m’est arrivé d’interrompre un speech de Laszlo Bölöni pour donner mon avis.» didier lamkel zé
Des joueurs t’ont surnommé le Balotelli de l’Aldi et tu avais une relation conflictuelle avec les dirigeants. Malgré tout ça, tu ne peux pas nier que l’Antwerp a joué un grand rôle dans ta carrière.
LAMKEL ZÉ: Je ne dirai jamais le contraire. Avec l’Antwerp, j’ai grandi. Je dois surtout remercier Luciano D’Onofrio et Laszlo Bölöni. S’il n’y avait pas eu Mbokani, Seck et Bolingi, je n’aurais jamais tenu aussi longtemps dans ce club. Ils n’ont jamais arrêté de me soutenir quand tout le vestiaire était contre moi. Les joueurs qui ont essayé de me pousser vers la sortie, je ne les regarde même plus. C’est mieux qu’on ne se salue plus avant et après les matches. Si on était toujours dans le même vestiaire, j’aurais essayé de résoudre les conflits, mais là, je n’en vois pas l’utilité.
Les choses n’auraient pas pu s’arranger, maintenant que l’Antwerp a un nouveau directeur sportif et un nouveau staff technique?
LAMKEL ZÉ: Dès le premier jour, j’ai dit à Marc Overmars que je voulais partir. J’ai mis les décideurs de l’Antwerp devant un choix: soit vous me laissez partir, soit je mets à nouveau le souk. Au début de la préparation, Mark van Bommel a proposé de me réintégrer dans le noyau. Mes tests physiques étaient bons, j’avais même les meilleurs résultats au sprint. Mais quelqu’un a apparemment dit à Van Bommel que j’étais blessé.
«Des directeurs sportifs en France ont été effrayés par la réputation qu’on m’a faite en Belgique»
Tu as fait une bonne deuxième moitié de saison en Russie avec le FC Khimki et à Metz. Mais tu n’as pas reçu de propositions de clubs de milieu de classement dans des championnats moyens, ou d’équipes de bas de classement dans les meilleurs pays. Tu ne penses pas que ta réputation a joué contre toi?
LAMKEL ZÉ: Si Metz n’avait pas basculé, je jouerais encore en Ligue 1 aujourd’hui. J’ai eu des contacts avec plusieurs clubs français, dont Angers, mais mon agent m’a expliqué que les directeurs sportifs étaient effrayés par la réputation qu’on m’a faite en Belgique. Comme les dirigeants du Standard, ils auraient dû prendre le temps de me rencontrer et de m’écouter.
Il y a quelques mois, tu affrontais des stars comme Messi, Mbappé, Neymar, Verratti et Ramos. Aujourd’hui, tu es à Courtrai. Le contraste ne pourrait pas être plus frappant.
LAMKEL ZÉ: Tu es en train de me parler comme si ma carrière était finie… J’ai été très clair avec Matthias Leterme, le manager général de Courtrai, quand j’ai signé ici un contrat de trois ans: Coupe du monde ou pas, je pars à la fin de cette saison. Je vais tout donner pour ce club jusqu’à l’été de l’année prochaine, c’est la moindre des choses par rapport à des gens qui m’ont fait totalement confiance.
Tu te vois où dans cinq ans?
LAMKEL ZÉ: Je me vois où dans cinq ans? J’aurai 31 ans. À ce moment-là, j’aurai fait le tour de la question en Europe et je serai peut-être en Arabie Saoudite. Cet été, j’ai refusé une offre incroyable de ce pays, j’aurais pu mettre ma famille à l’abri si j’avais signé. J’ai d’abord donné mon accord, mais trois heures plus tard, je ne le sentais plus. Après ça, j’ai encore changé d’avis deux fois. Mais je reste maintenant sur ma décision. Si je peux améliorer mes statistiques au cours des prochaines saisons, on me proposera un contrat encore plus intéressant dans quelques années.
Mais avant ça, tu veux laisser une trace dans le championnat de Belgique?
LAMKEL ZÉ: À l’Antwerp, j’ai montré des facettes positives et négatives. À Courtrai, je veux laisser un bel héritage, je veux que les supporters ne retiennent que des choses positives de moi. J’ai envie de partir en bons termes, ce que je n’ai pas fait à l’Antwerp.
«Je me donne 50% de chances d’aller au Qatar»
DIDIER LAMKEL ZÉ: La communication ne passait pas avec l’entraîneur, Toni Conceição. Quand tu appelles un joueur pour la première fois, tu organises au moins une réunion pour discuter de certaines choses. Mais non, il s’est contenté de me dire que j’allais commencer sur le banc parce que je devais récupérer de mon match du week-end. Finalement, je suis monté à quatre minutes de la fin. Je pouvais l’accepter, mais je trouvais ça dommage pour ma famille et les amis de mon quartier qui s’étaient tapé cinq heures de bus pour assister à mes débuts.
La situation a encore empiré dans l’approche du match contre le Rwanda, quatre jours plus tard. Eric Choupo-Moting était un peu blessé, et au dernier entraînement, j’étais dans l’équipe qui allait commencer. Lors du briefing tactique, j’ai vu que j’étais le seul joueur de la soi-disant équipe de départ qui n’allait finalement pas commencer. On a gagné ce match 1-0 et je n’ai rien dit. Le coach m’a enfin parlé sur la route du retour vers le Cameroun. Il m’a dit que j’allais être scouté lors des semaines et mois suivants. Je lui ai répondu que ça ne servait à rien, qu’il n’avait qu’à regarder mes matches à la télé. Et qu’il m’appelle s’il avait vraiment l’intention de m’utiliser. J’ai ajouté: «Si c’est pour me laisser sur le banc, laissez-moi dans mon club.» Après ça, je n’ai plus jamais été convoqué.
LAMKEL ZÉ: En partie, oui. Mais ça s’expliquait aussi par la situation avant ma première sélection. L’Antwerp avait peur que je me blesse et m’avait demandé de ne pas retourner au Cameroun. Ils m’avaient conseillé de dire que j’étais fatigué. Comme c’était ma première sélection, j’ai fait le forcing pour y aller. Après coup, j’ai compris que j’avais fait ça pour rien et ça m’a énervé.
LAMKEL ZE: Ce n’est pas très prometteur, je les estime à seulement 50%. Mais je reste en contact avec le coach jusqu’à l’annonce de la sélection définitive. On s’est parlé au moment où j’étais en contact avec le club saoudien et j’ai compris que je devais être patient, attendre ma chance. Si un de mes concurrents a un souci, je serai apparemment un des premiers back-ups.
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