Deiver Machado, du flop belge au top de la Ligue 1
Après un passage raté par Gand, Deiver Machado joue les premiers rôles en France. Décryptage d’un paradoxe.
Alors que le bateau lensois s’est remis à naviguer après quelques vagues, Deiver Machado garde le cap malgré ses récentes sorties du 11 de Franck Haise. Positionné sur le côté gauche du système en 3-4-3 du coach français, le Colombien livre de grosses prestations et fait aujourd’hui partie des meilleurs latéraux de France. Arrivé lors du mercato estival 2021 à Lens, Machado restait sur une très bonne saison au sein d’un Toulouse en reconstruction et en Ligue 2.
Dans le nord de la France, Deiver joue désormais le top 3 avec le RC Lens et était encore la semaine dernière considéré comme un candidat au titre. Avant ces réussites dans la Ligue des Talents, le Colombien s’est perdu le long de la E40. Mais qu’est-ce qui n’a pas marché à la Ghelamco Arena ?
C’est Maxime Déry, à l’époque scout pour La Gantoise et spécialiste des championnats sud-américains, qui propose Deiver aux dirigeants buffalos : “On recherchait un latéral gauche qui faisait toute la ligne, qui entre dans le système d’Hein Vanhaezebrouck et qui pouvait prendre tranquillement la succession de Nana Asaré, sur le déclin physiquement.”
HVH aime particulièrement son profil dynamique, très explosif et costaud dans les duels. “De base, il était formé comme ailier gauche à l’Atletico National”, explique Déry. Trop court pour cette position-là, Machado atterrit finalement à Millionarios, qui le fait reculer au poste de piston gauche : “Il faut savoir qu’à ce moment-là, presque toutes les équipes colombiennes évoluent dans un système à 3 derrière avec des pistons très offensifs”, analyse Déry. “C’était une pile électrique, il avait un volume incroyable, il faisait des allers-retours sur son flanc tout le match”.
Gand plutôt que la Liga
Très percutant offensivement, le Colombien et ses qualités prennent rapidement le dessus aux yeux des scouts gantois sur celles de Racine Coly, latéral de Brescia à l’époque, et Gand se place sur le joueur dès le mois de juin 2017 : “Je le propose en mars mais Gand n’accélère qu’au mois de juin. Le problème, c’est que Deiver a un accord verbal avec Alaves, qui vient de remonter en Liga. Le deal traine et je m’engouffre dans la brèche en travaillant l’agent du joueur.”
Les différentes parties se mettent à table et Machado signe finalement pour une somme d’environ 2 millions d’euros, convaincu par un club ayant atteint les huitièmes de finale de la Ligue des Champions deux ans auparavant et par la vitrine qu’offrent les éclairages de la Ghelamco Arena. “Lui ce qu’il veut, c’est devenir international. En Colombie à l’époque, si tu ne joues pas à l’Atletico National, tu n’as pas beaucoup de chances. Il faut soit partir en Argentine à Boca ou River, soit partir en Europe.”
Fraichement arrivé à Gand, le hasard veut que Deiver Machado joue sous premier match amical face à … Lens, lors d’un amical de présaison au stade Bollaert. Le latéral est lancé dans le grand bain en début de saison suite à la blessure de Nana Asaré : “Il fait de premiers matches corrects” annonce Déry. “Le problème est qu’il doit enchainer et qu’il a déjà 6 mois complets dans les jambes”. En effet, le calendrier différent entre le championnat colombien et belge oblige Machado à enchainer, devant faire une croix sur un peu de repos physique et mental. “Au bout de quelques matches, il était lessivé” regrette Déry.
Le spleen de Deiver Machado
La Gantoise réalise également un début de championnat catastrophique et HVH ne résiste pas au faux départ de son équipe où le bilan de 6/24 oblige les dirigeants gantois à l’évincer au profit d’Yves Vanderhaeghe. Comme souvent, changement d’entraineur rime avec changement tactique, Vanderhaeghe envoie balader le 3 arrière d’Hein pour instaurer un 4-2-3-1 qui s’avère inadapté aux qualités de Machado. Vanderhaeghe l’essaye en tant qu’ailier gauche sans grand coup d’éclat.
Tant le joueur que le club sont fautifs sur le flop du joueur sous le maillot gantois : “Deiver ne faisait que peu d’efforts pour apprendre l’anglais ou le français”, déplore Déry. “On a proposé de faire venir sa famille en Belgique et de l’accompagner d’un interprète au début, ce que le club n’a pas fait. Il faut se dire que même les causeries il ne les comprenait pas !” Le Colombien se sent alors esseulé, lui qui ne peut échanger qu’avec Mamadou Sylla, seul joueur du noyau à parler l’espagnol.
LIRE AUSSI | Will Still, nouvelle star des bancs de Ligue 1
Après la trêve hivernale, Machado arrive au stage sous le soleil de Marbella avec … 7 kilos en trop. “Pourtant, le stage se passe bien”, rapporte Déry. “Vanderhaeghe est content et le relance pour l’un des amicaux”. Hélas, Machado se blesse à la cuisse et est reparti pour deux mois de convalescence. Sa chance passe totalement et Déry assiste impuissant à la situation : “Il était très sensible en réalité. Dommage que le club ne l’ait pas senti. Il n’a pas eu la force mentale pour passer au-dessus de tous ces événements.”
Retour aux sources
En fin de saison, La Gantoise ne sait pas quoi faire du Colombien, devenu indésirable dans le noyau. Déry propose alors une idée aux dirigeants gantois : “Je sais qu’il a une bonne cote en Colombie. Prêtez-le 6 mois là-bas, idéalement à l’Atlético Nacional, pour qu’il puisse atteindre la sélection et qu’il retrouve de la valeur.” Gand trouve donc un accord sur base d’une location avec le club le plus en vue de Colombie et Deiver Machado atterrit en équipe nationale deux mois après être retourné dans son club formateur. La saison se passe bien sauf qu’au moment où il revient à Gand, le club hésite à lui donner une seconde chance et refuse toutes les offres, venant majoritairement d’Amérique du Sud. Le train passe pour Deiver qui doit se coltiner la réserve de Gand toute la saison. Les Buffalos le libèrent de son contrat en 2020 et il signe à Toulouse, sans doute grâce aux bons contacts de Mogi Bayat au sein du club de la ville rose.
Toulouse joue dans un système qui lui convient et livre une saison pleine, loupant de peu la montée, malgré un but de Machado dans le match de barrage face à Nantes. Il signe alors à Lens durant l’été 2021, Franck Haise aimant particulièrement ce genre de profil dynamique avec Jonathan Clauss ou Przemyslaw Frankowski. Mais pour passer ce cap, Machado a dû se mettre à jour tactiquement pour atteindre les exigences européennes.
Déry juge d’ailleurs toujours son placement défensif comme l’un de ses manquements : “Il n’a jamais appris à défendre, car en Colombie, un piston ne fait qu’attaquer. Il a en fait appris à défendre sur le terrain”. Des lacunes défensives qui peuvent être comblées par le système très bien rôdé de Franck Haise grâce notamment aux coulissements des milieux et par son football assez dominant. “Quand je le vois aujourd’hui, il a tellement évolué”, lance Déry. “Surtout dans sa maturité, son intelligence de jeu. Avant, il jouait tête baissée et ne pensait qu’à percuter tout le match. Maintenant, il est dos à la ligne et donc face au jeu. Il joue désormais toujours la tête levée et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.”
Récemment titulaire avec la Colombie face au Japon, Machado a délivré une passe décisive pour son retour avec la sélection, ce qui rend Déry fier : “C’est dommage qu’il ne soit pas devenu international sur la durée, car il l’aurait mérité. Il a finalement perdu deux ans à Gand. Il y avait une place à prendre à cette place en sélection avec Frank Fabra qui a connu pas mal de blessures.”
Par Robin Maroutaëff
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici