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De l’espoir pour l’Union Saint-Gilloise ? il y a 25 ans, l’Antwerp privait le FC Bruges de titre et le Lierse en profitait

Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Eric Gerets a débarqué au Lierse à l’été 1994. Il y a découvert un club provincial endormi. Il a alors tout fait pour ranimer la flamme et trois ans plus tard, il était sacré champion. Le Lierse est le dernier petit club à s’être adjugé le titre, il y a 25 ans déjà. L’Union peut-elle rêver de voir le même scénario se reproduire ? A l’époque aussi, le FC Bruges aurait pu déjà s’offrir le titre à l’Antwerp lors de l’avant-dernière journée de compétition.

À l’entame de la saison 1996-1997, le Lierse était loin de déborder d’optimisme. Le club venait d’apurer ses dettes et avait terminé les deux saisons précédentes en cinquième position, mais plusieurs titulaires l’avaient quitté, comme Eddy Snelders, le médian reconverti au poste de libéro qui compensait sa lenteur par sa lecture du jeu, parti au Germinal Ekeren. Le départ de Kjetil Rekdal se faisait encore plus sentir. Le Norvégien dirigeait le jeu avec un flegme et une vista dont peu peuvent se targuer. Il marquait et commandait tout en multipliant les consignes à ses coéquipiers, quand il ne les enguirlandait pas. Certains joueurs avaient du mal à supporter son caractère, mais Rekdal détestait perdre et il ne vivait que pour le football. Il a même longtemps vécu seul à Lierre, afin de pouvoir se concentrer pleinement sur le club.

On peut jouer le titre, mais n’en parlez pas. » Eric Gerets

Toutefois, le Lierse s’était bien acquitté de ses devoirs de scouting. Il avait enrôlé quelques joueurs recalés par d’autres, des gars avides de faire leurs preuves, comme le médian Andrzej Rudy, sur une voie de garage au FC Cologne. Le Polonais avait supplié Eric Gerets de lui accorder une chance. Rudy n’avait pas très bonne réputation. Cologne le jugeait fainéant. Le Lierse a donc été surpris de l’entendre dire que les joueurs étaient trop vite contents et que certains manquaient de motivation et d’engagement. Il trouvait d’ailleurs que les entraînements n’étaient pas suffisamment durs. Même Gerets était estomaqué.

QUELQUES DUVELS

Eric Gerets est arrivé au Lierse durant l’intersaison 1994. Il avait fait ses gammes au FC Liège. Bien que le club ait vendu ses meilleurs joueurs pour éviter la faillite, le Lion de Rekem avait été surpris par la rapidité avec laquelle il avait assimilé les ficelles du métier et amené les Liégeois à un niveau supérieur. Ça n’avait pas échappé au vivier de talents qu’était le Lierse. Pour les dirigeants, Gerets était l’entraîneur idéal pour leur jeune effectif.

C’était le début d’un conte de fées qui allait connaître son apothéose durant la troisième saison de Gerets, en 1996-1997. Le départ de Rekdal, qui exigeait tous les ballons, avait libéré certains joueurs. Des nouveaux, comme Rudy, ont entraîné les autres dans leur sillage. Le Polonais est devenu le chef d’orchestre de l’équipe tout en s’effaçant au profit des autres. Le fiable gardien néerlandais Stanley Menzo, qui moisissait sur le banc du PSV, a joué un rôle crucial, grâce à sa personnalité, en dirigeant et en coachant les plus jeunes. Pourtant, le club d’Eindhoven avait déconseillé son transfert à Gerets, mais celui-ci avait suivi son instinct, au terme d’un long entretien.

L’ex-Diable a été l’architecte du titre. Durant cette saison en or, il a littéralement insufflé sa mentalité et son esprit collectif à l’équipe. Elle a fait bloc. Plus tard, il allait souvent déclarer ne pas déceler le moindre point négatif dans son passage de trois ans au Lierse. Certes, il y avait bien eu quelques prises de bec, surtout avec le président Freddy Van Laer, un homme très émotif. Gerets l’a mis à la porte du vestiaire quand, suite à une défaite cinglante 1-8 contre Anderlecht, le président avait donné libre cours à sa colère. Selon l’entraîneur, ce n’était vraiment pas le moment d’enfoncer encore un peu plus les joueurs. Par la suite, Van Laer ne s’était plus montré pendant deux semaines, avant de revenir sur la pointe des pieds.

Le Lierse de Gerets campait dans la moitié de terrain adverse, à domicile comme à l’extérieur.

Gerets n’a jamais ressenti le moindre soupçon d’hostilité. Or, même s’il pouvait être colérique le long de la ligne, le Limbourgeois a toujours eu besoin de ressentir une certaine chaleur humaine. À ses débuts au Lierse, ses joueurs avaient peur de lui, ils pensaient qu’il serait hautain et distant. Il n’en a rien été. Ainsi, Gerets accompagnait même parfois ses joueurs dans un café de Louvain. Mais le lendemain, il s’agissait de bien travailler. Dans ses discussions, Gerets étaient toujours très direct, voire dur. Mais ses consignes étaient très claires, il incitait ses hommes à pratiquer l’autocritique mais aussi à faire preuve d’assurance.

Quand il se fâchait, Gerets pouvait être redoutable, mais il restait humain. Il voulait que ses joueurs se sentent bien. Prenons le cas du Russe Denis Klyuyev, loué alors qu’il sombrait à Feyenoord. Grâce à ses qualités techniques et à sa lecture du jeu, il est devenu un des moteurs de l’équipe mais au début, il manquait de spontanéité et de joie de vivre. Jusqu’à ce qu’on lui déniche un soigneur qui parlait russe. Ensuite, Gerets l’a emmené prendre un verre en terrasse. Klyuyev a voulu commander de l’eau, mais Gerets a demandé quelques Duvels et le Russe s’est détendu.

UNE PRIME POUR LE TITRE

Cette approche a permis à Gerets de transformer le Lierse en oasis de bonheur familial tout en remportant le titre. Avant le début de la saison, Gerets avait exprimé ses ambitions, selon la tradition: terminer entre la cinquième et la huitième place. Il avait été le seul à faire inclure une prime pour le titre à son contrat et la direction n’avait pas chicané. Comment le Lierse pouvait-il être champion?

Le Lierse a péniblement entamé la saison, avec cinq nuls lors des sept premiers matches. Gerets avait commencé l’exercice dans un 3-5-2 qui se muait parfois en 3-4-3. Il visait un football tout en mouvement, avec des combinaisons rapides et précises, en octroyant à ses gars toute latitude de jouer. C’était son postulat de départ: le Lierse campait dans la moitié de terrain adverse, à domicile comme à l’extérieur. Derrière, Eric Van Meir a signé la meilleure saison de sa carrière et est devenu le meilleur buteur de l’équipe avec seize goals. Il personnifiait le football aventureux du Lierse. Van Meir faisait figure d’épouvantail. Il opérait dans un registre libre et la montée du libéro déséquilibrait systématiquement l’équipe adverse. Il y avait également Nico Van Kerckhoven, un ténor qui agissait toujours en fonction de l’équipe, qui était quasi impassable et conservait toujours sa vision du jeu en possession du ballon. Le puzzle s’est progressivement mis en place, accélérant le processus de développement de l’équipe, grâce aussi à un Andrzej Rudy, à l’enthousiasme contagieux.

UN MUR JAUNE ET NOIR

Le Lierse s’est donc repris après des débuts laborieux. Le 1er janvier, il occupait la troisième position derrière un surprenant Excelsior Mouscron et le Club Bruges. Les Hennuyers connurent ensuite un passage à vide, suite au départ de leur entraîneur Georges Leekens, promu sélectionneur des Diables Rouges.

Ses résultats ont fait du Lierse un club scruté. Début février, Gerets a annoncé à la direction qu’il avait signé au Club Bruges. Bob Peeters avait déjà fait savoir qu’il s’en irait en fin de saison et Stanley Menzo s’était rendu à Bordeaux pour négocier avec les Girondins.

L’exode qui s’annonçait n’a pas eu d’impact négatif sur les prestations de l’équipe. Un moment donné, Gerets stupéfia même son groupe en déclarant, pendant une discussion tactique: « On peut jouer le titre, mais n’en parlez pas. » Les joueurs n’ont toutefois commencé à y croire vraiment que lors de l’avant-dernière journée. Devant 14.000 spectateurs, ils refirent leur retard face à Genk pour s’imposer 5-2. Au même moment, le Club Bruges s’inclinait à l’Antwerp et quelques joueurs se disputaient en quittant le terrain.

Le Lierse a joué son dernier match au Standard. Il regorgeait d’assurance, porté par ses supporters. Un véritable mur jaune et noir s’était dressé à Sclessin. Ensuite, ce fut la fête au centre de Lierre. Toute la ville se para de jaune et de noir et rompit le sacro-saint silence qui règne habituellement sur les rives de la Nèthe.

Le conte de fées connut cependant une fin rapide. Jos Daerden prit le relais d’Eric Gerets. Le Lierse élimina les Chypriotes de Famagouste au tour préliminaire de la Ligue des Champions mais en poule, il fut confronté à des formations d’un format supérieur: l’AS Monaco, le Sporting CP et le Bayer Leverkusen. Toutefois, l’argent du bal des champions lui permet d’ériger une nouvelle tribune. En championnat, par contre, le Lierse échoua à une anonyme septième place.

Le classement du championnat 1996-1997

Lierse SK 73

Club Bruges 71

Excelsior Mouscron 61

Anderlecht 58

Lommel SK 57

Antwerp FC 53

Standard 50

RC Genk 48

RC Harelbeke 47

Germinal Ekeren 46

STVV 39

Lokeren 38

Charleroi 37

AA Gand 36

Eendracht Alost 36

RWDM 35

KV Malines 31

Cercle Bruges 27

L’étape suivante

Après avoir offert le titre au Lierse, Eric Gerets a rejoint le Club Bruges. Mais auparavant, il a tenté de tenir une promesse: si le Lierse était champion, il avait juré d’aller à pied de Lierre à sa ferme de Rekem, dans le Limbourg, en trois jours. Malheureusement, au bout de deux jours, vanné, il a dû interrompre sa marche forcée, aux environs de Tongres.

Gerets a probablement développé le meilleur football de toute sa carrière durant sa première saison dans la Venise du Nord. Le Club a remporté le titre avec 18 unités d’avance sur Genk. L’équipe comportait tous les ingrédients de la réussite: elle alliait vitesse, circulation fluide du ballon et pressing qui lui permettait de récupérer rapidement la possession.

Confronté à plusieurs problèmes, il n’a pu poursuivre sur sa lancée durant sa seconde saison. Ainsi, la guerre du Kosovo a fortement entamé le moral de ses footballeurs serbes. La cassure qui s’est produite au sein du noyau n’a plus jamais été comblée. Même les joueurs dotés d’une excellente mentalité ont été aspirés par cette spirale négative.

Au Lierse, Gerets était parvenu à étouffer dans l’oeuf tous les problèmes. Là, il était impuissant. Il a réalisé ce qu’il se produisait quand un entraîneur ne pouvait intervenir assez rapidement, mais aussi que parfois, il était placé devant un dilemme insoluble. Car quand on écarte un joueur de l’équipe, on diminue sa valeur de revente. Avant même la fin du championnat, Gerets a signé au PSV.

Eric Gerets, l'architecte du succès lierrois.
Eric Gerets, l’architecte du succès lierrois.© BELGAIMAGE
Le Brésilien Zefilho et ses coéquipiers en pleine célébration du titre dans les vestiaires de Sclessin.
Le Brésilien Zefilho et ses coéquipiers en pleine célébration du titre dans les vestiaires de Sclessin.© BELGAIMAGE

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