De Ketelaere est le meilleur Belge de 2024: les Diables doivent le faire briller, mais comment?
Charles De Ketelaere est devenu l’un des meilleurs joueurs du championnat italien, mais peine toujours à trouver sa place dans le onze des Diables. Explications.
La série semblait vouée à prendre fin. Dix victoires de rang, c’était déjà inespéré pour l’Atalanta, ce club de Bergame qui ne sort jamais vraiment de l’ombre des géants du nord de l’Italie. Pour prolonger la lumière des projecteurs, les fans de la «Dea» ne pouvaient même plus compter sur les meilleurs artificiers de la maison. Mateo Retegui, déjà douze buts depuis l’été, a quitté prématurément le terrain en première période. Ademola Lookman, tout juste élu meilleur joueur africain de l’année et auteur du 2-1 juste avant la mi-temps, a été remplacé. C’est 2-2, il ne reste même plus cinq minutes à jouer, et les pieds de Charles De Ketelaere semblent être les derniers à pouvoir prolonger l’euphorie. Un slalom à l’horizontale, une frappe subtile et un dixième but cette saison transforment le Belge en héros. Avec un onzième succès consécutif en championnat, l’Atalanta conserve la tête de la Serie A italienne.
Charles De Ketelaere n’y est évidemment pas pour rien. Depuis le début de l’année 2024, les chiffres du gaucher donnent autant le tournis qu’une feinte de Johan Cruyff. 20 buts marqués et 16 passes décisives, cela fait de lui l’un des trois seuls joueurs des grands championnats européens à avoir franchi la barre des quinze dans les deux catégories, toutes compétitions confondues, en la prestigieuse compagnie de Cole Palmer et Mohamed Salah. «Ses statistiques sont brillantes, même si on les compare aux joueurs des meilleurs championnats d’Europe», confirme son entraîneur, le tacticien italien Gian Piero Gasperini. «Depuis son arrivée à Bergame, ses passes décisives sont au niveau des meilleurs joueurs du continent.»
Le tableau noir et le capot
Si le coach de l’Atalanta est parvenu à tirer le meilleur de Charles De Ketelaere, c’est pourtant en en faisant résolument un attaquant. A Bruges, ses périodes les plus brillantes coïncidaient déjà avec un positionnement dans l’axe offensif du jeu, souvent dans un 3-5-2 où il accompagnait Noa Lang ou Bas Dost, dans des registres bien différents. Un poste entre les lignes qui n’existait pas vraiment dans le système de Stefano Pioli, coach d’un Milan AC qui avait ouvert très grand le portefeuille pour s’offrir les services du Diable rouge. Pas assez robuste au poste de milieu offensif du 4-2-3-1, pas assez percutant sur son flanc droit, pas assez brillant aux yeux de son coach, De Ketelaere a donc changé de club et surtout de système de jeu pour redevenir un talent différent.
Depuis plusieurs années, l’Atalanta de Gian Piero Gasperini se distingue par deux particularités. Une défense à trois très ambitieuse au tableau noir, et un volume exceptionnel sous le capot. Passé au laboratoire de cette transformation physique et athlétique, De Ketelaere se dit aujourd’hui «plus en forme que jamais» et peut contribuer au moteur hors-normes de la «Dea». Costaud dans la répétition des courses et, surtout, dans les duels, le Belge peut laisser libre cours à son imagination offensive grâce à des poumons développés et un plan de jeu qui lui donne carte blanche en possession du ballon.
Chez Gasperini, la ligne offensive se dessine alternativement en 2+1 (deux milieux offensifs et un attaquant) ou 1+2 (l’inverse), toujours avec l’idée de multiplier les combinaisons entre les lignes. Quel que soit son poste dans le trio, le costume d’improvisateur est taillé sur mesure pour Charles De Ketelaere. Sa créativité en fait le joueur du championnat italien qui réussit le plus de passes dans le dos de la défense et le plus de passes dans la surface adverse. Son flair fait le reste, et lui permet de déjà facturer dix buts et neuf passes décisives cette saison, à portée de tir de ses stats de l’exercice précédent (14+11) alors que la cuvée 2024-2025 atteint seulement la mi-parcours.
L’exception bergamasque
«CDK» n’est évidemment pas le seul élément offensif performant d’un plan bergamasque qui, avec 1,83 «expected goal» créé par match, fait mieux en la matière que le Real Madrid ou Manchester City. Le Nigérian Ademola Lookman s’apprête ainsi à boucler 2024 avec 22 buts et 12 passes décisives, alors que le buteur italien Retegui (douze buts depuis son arrivée cet été) a parfaitement pris le relais de Scamacca (13 buts et 6 passes décisives entre janvier et juin), blessé aux ligaments du genou. Machine à créer des opportunités pour ses joueurs offensifs, l’Atalanta a vu beaucoup d’entre eux taper dans l’œil des grosses écuries européennes, avec un rendement souvent décevant.
De Rasmus Hojlund, parti pour Manchester United, aux Colombiens Luis Muriel et Duvan Zapata, sans oublier les moins offensifs Alejandro «Papu» Gomez ou Teun Koopmeijners, rares sont les éléments moteurs du jeu de la «Dea» qui parviennent à briller de la même manière hors du Gewiss Stadium. Même quand les systèmes de jeu sont similaires, comme c’était le cas pour l’Allemand Robin Gosens, intenable dans le couloir du système à trois défenseurs de Gasperini mais incapable d’atteindre ce niveau lors de son transfert vers l’Inter de Simone Inzaghi pourtant également posée à trois derrière et prompte à faire briller ses joueurs de flanc. De quoi mettre en perspective l’importance d’un éventuel transfert futur pour Charles De Ketelaere, mais aussi s’interroger sur la reproductibilité de son rendement lombard en équipe nationale.
De Ketelaere et le mea culpa de Tedesco
Dans son long mea culpa d’après-Euro, Domenico Tedesco n’a pas caché sa frustration d’avoir trop peu utilisé Charles De Ketelaere lors de l’été allemand. Après deux années sous les ordres du nouveau sélectionneur, l’agitateur offensif de l’Atalanta ne compte en effet que neuf apparitions avec les Diables, dont seulement trois dépassant les 30 minutes jouées. C’est moins que sous les ordres de Roberto Martinez, qui avait lancé De Ketelaere à onze reprises (dont cinq de plus d’une demi-heure) entre 2020 et 2022.
Il faut dire que le 3-4-2-1 de l’Espagnol glissait le Brugeois entre les lignes, dans ce que les staffs souvent anglophones appellent les «pocket zones», ces espaces entre l’axe du terrain et les flancs où le «Prince Charles» aime se libérer du marquage adverse sans s’éloigner des filets. Posée en 4-3-3 pour faire briller Kevin De Bruyne puis construire autour des explosions de Jérémy Doku sur son côté gauche, la Belgique de Tedesco n’avait pas vraiment de rôle taillé pour «CDK». Lors du match amical en Allemagne, en mars 2023, De Ketelaere monte d’ailleurs au jeu à la place de Romelu Lukaku. Par la suite, il reprendra alternativement le rôle de Trossard ou celui de Kevin De Bruyne, le plaçant systématiquement trop loin de l’attaquant pour vraiment faire parler de lui.
Un puzzle pour la pièce Charles
Puisqu’il est devenu trop fort pour n’être qu’un joker et que les absences de Lukaku et De Bruyne sont de plus en plus fréquentes, Tedesco retourne à l’atelier pour tailler un nouveau costume tactique à sa Belgique. Faire briller le sourire de publicité pour dentifrices de son gaucher bergamasque devient alors une priorité. Même s’il faut pour cela envoyer Jérémy Doku dans le couloir droit d’un étrange 3-4-2-1 en Italie, quand De Ketelaere est associé à Trossard dans le dos de Loïs Openda. Encore tentée face à la France avec un Timothy Castagne très haut dans le couloir gauche en possession de balle, rôle qu’il occupait souvent lors de son passage à l’Atalanta, justement, la formule n’a plus cours en novembre, en l’absence d’un De Ketelaere blessé.
Que la suite soit avec ou sans Domenico Tedesco, elle devra se faire en prenant en compte la nouvelle dimension prise par De Ketelaere. Le problème, c’est que le dénominateur commun de ses meilleures prestations est l’accumulation de joueurs au cœur du jeu, et que la nouvelle génération belge brille principalement par la prolifération de ses talents explosifs sur les flancs, de Doku à Duranville en passant par Bakayoko ou Fofana. Charles De Ketelaere, lui, fait partie de ceux qui ont besoin des jambes des autres pour aller vite. De préférence, en les rapprochant des siennes.
Quelle que soit la solution du puzzle diabolique, le numéro 17 de l’Atalanta n’est plus une pièce secondaire. En 2024, «CDK» est devenu un joueur décisif à tous les matchs, qui marque contre le Real Madrid ou brille dans une finale de Coupe d’Europe. Certes, cela se fait dans le contexte spécifique mis en place par Gian Piero Gasperini, si difficile à reproduire que rares sont ceux qui brillent encore quand ils sortent du cadre strict de la « Dea ». Au bout d’une année cauchemardesque pour les Diables rouges, Charles De Ketelaere a toutefois gagné le droit d’être posé au centre de la table parmi les premiers, avant de se mettre à chercher quelles autres pièces pourront permettre de faire tenir le tout dans un puzzle qui gagne.
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