L’enfer des play-downs: erreur de formule ou clubs qui ne méritaient pas mieux?
Nouveauté de la formule du championnat, les play-downs font faire des cauchemars à leurs quatre participants. Avec le recul, ils n’ont pourtant pas fait grand-chose pour les éviter.
Dans les travées du stade du Pays de Charleroi, quand le coup de sifflet final retentit, les discours sont généralement convenus. En tout cas, maîtrisés. Les passages dans la zone mixte font partie d’un scénario bien huilé, duquel rien ne doit généralement dépasser. En postface d’un partage contre un Cercle de Bruges longtemps réduit à dix, les mots échappent néanmoins à Pierre-Yves Hendrickx. Le mélange de sentiments entre un stade bien garni et un résultat amer, entaché d’un penalty manqué qui aurait presque assuré le maintien. La menace des play-downs pèse toujours. Le directeur général des Zèbres ne mesure alors plus ses mots: «Au départ, c’est de notre faute… C’est nous qui avons voté cette putain de formule de championnat pour la descente. C’est une catastrophe… On ne peut en vouloir qu’à nous-mêmes.»
Quelques mois plus tôt, interrogé dans les sofas de son bureau voisin du stade par la RTBF, Mehdi Bayat avait le discours moins fleuri sur la forme, mais semblable sur le fond: «Je pense qu’au moment où on a voté le nouveau format de compétition, on a mal évalué les risques. Ce format crée trop de stress pour les clubs, qui ont besoin de stabilité pour travailler sereinement. Un club comme Charleroi bosse bien depuis dix ans et, à cause d’une mauvaise année, il risque aujourd’hui de basculer. Ca ne va pas…»
Quand l’été 2022 cogne à la porte du pays, pourtant, les temps sont loin d’être à l’inquiétude pour les Carolos. En sortant du Martin’s Klooster de Louvain, cadre d’une assemblée générale décisive de la Pro League pour déterminer la nouvelle formule du championnat belge, Mehdi Bayat a d’ailleurs le sourire. L’homme fort du Sporting de Charleroi, généralement allié des puissants sur les projets d’avenir du foot national, a voté en faveur du plan proposé par Lorin Parys, le CEO de la Pro League: un retour à une élite à seize clubs à l’horizon 2023-2024, avec des play-offs pour le titre à nouveau disputés par six équipes, et non plus à quatre comme lors des deux saisons écoulées.
«Au départ, c’est de notre faute… C’est nous qui avons voté cette putain de formule de championnat pour la descente.»
Le spectre des play-downs
Une dizaine de semaines après avoir conclu la phase classique du championnat, précisément à la sixième place, les Carolos votent avec l’appétit de ceux qui regardent vers le haut, négligeant les risques de ces play-downs qui concerneront les équipes classées du treizième au seizième rang. Le risque de relégation sera important: les deux derniers de ce minichampionnat à quatre dégringoleront vers la deuxième division, le deuxième classé devra affronter une équipe de Challenger Pro League en pleine bourre pour conserver sa place au sein de l’élite, et seul le vainqueur de ces six matchs de la peur assurera immédiatement son avenir au sommet du football belge. Ce 17 juin 2022, à Louvain, il ne faut pourtant que deux heures et demie pour mettre presque tout le monde d’accord. Avec 33 voix favorables et seulement douze contre, la majorité des deux tiers nécessaire pour réformer le championnat est atteinte. Zulte Waregem, Courtrai ou Ostende grincent des dents, craignant pour leur avenir en première division, mais les votes de clubs comme le Cercle, OHL, Saint-Trond ou Charleroi ont fait basculer la proposition dans la réalité.
Quand Nachon Nsingi fait trembler les filets et les tribunes du Den Dreef Stadium à la 92e minute du match de l’OHL contre Malines le 17 mars dernier, il n’y a donc plus grand monde chez les Zèbres pour penser que la formule était une bonne idée. Trois jours suffisent pour prendre une décision radicale et se séparer de l’icône locale Felice Mazzù, revenu un peu plus de douze mois plus tôt sauver une saison mal embarquée. Puisque le week-end avait déjà entraîné la démission de Florian Kohfeldt, arrivé sur le banc d’Eupen en début de saison, et que le Français Bruno Irles n’a pas survécu à sa quatrième défaite en cinq matchs à la tête du RWDM, seule l’équipe de Courtrai entamera les play-downs avec le coach qui a conclu la phase classique.
Sans s’en vanter pour autant, parce qu’après les courtes expériences d’Edward Still et de Glen De Boeck, l’Islandais Freyr Alexandersson est déjà le troisième entraîneur à occuper le banc du stade des Eperons d’or cette saison. Avec quatorze points pris sur 30 possibles depuis son arrivée au mois de janvier, le quadragénaire permet à son club d’aborder le sprint final dans le rôle de l’équipe qui stresse le moins, alors que c’est bien chez les Kerels que le stress était arrivé le plus tôt. Le mois de septembre n’était effectivement pas encore terminé quand Edward Still s’était vu indiquer la porte de sortie au bout d’un été mouvementé.
Pourquoi les clubs sont responsables
Si le chaos hors du terrain est un dénominateur commun chez les quatre participants à ce bal de l’horreur de fin de saison, Courtrai joue alors plutôt le rôle de celui qui donne l’exemple. Au beau milieu du mois de juin dernier, le club flandrien annonce un accord entre Vincent Tan, son propriétaire malaisien, et l’homme d’affaires américain Maciek Kamiński . En compagnie de son fils Michael, ils tiennent une conférence de presse d’une minute, sans question possible, et laissent déjà imaginer un futur rocambolesque. L’argent n’arrive évidemment jamais, les négociations de rachat reprennent avec les dirigeants de Burnley – déjà intéressés auparavant – mais échouent finalement au bout de l’été, après avoir lourdement influencé le mercato où chaque transfert potentiel devait recevoir l’aval de Cardiff (club possédé par Vincent Tan) et de Burnley avant d’être négocié. Abondamment écrémé par les incertitudes autour de son avenir, le noyau de Courtrai avait pourtant bien besoin de renforts pour s’armer dans une course contre une relégation pour laquelle tous les spécialistes faisaient déjà du club flandrien un malheureux favori.
Des renforts, c’est aussi ce qu’Edward Still avait signalé qu’il fallait à Eupen lors de sa dernière réunion avec les dirigeants du Kehrweg. Les hommes forts offensifs de l’équipe, Stef Peeters et Smail Prevljak, étaient en fin de contrat dans les cantons de l’Est, et une injection abondante de sang neuf était réclamée par le Brabançon pour poursuivre l’aventure chez les Pandas. Sans accord avec des dirigeants qui préféraient se retourner vers l’Allemagne voisine, c’est Florian Kohfeldt qui a repris le banc d’Eupen, comptant ses renforts sur les doigts d’une seule main et devant rapidement composer sans le jeune polonais Bartosz Bialek, arrivé pour planter ces précieux buts qui transforment un relégable potentiel en équipe du ventre mou, mais grièvement blessé dès la préparation. Surpris par la démission d’un entraîneur dans lequel ils avaient maintenu leur confiance malgré un bilan famélique de quatorze points sur 75 depuis septembre, les dirigeants eupenois ont nommé leur ancien préparateur physique, Raphaël Fèvre, et le coach assistant, Kristoffer Andersen, à la tête de l’équipe pour les play-downs. Un choix qui interpelle sur les souhaits d’avenir des germanophones, possédés par un Qatar qui ne semble plus avoir grand-chose à faire de son pied-à-terre belge depuis plusieurs saisons déjà.
Au RWDM aussi, les bureaux ont tremblé. Les Molenbeekois ont entamé la saison avec Gauthier Ganaye dans le costume de CEO, lui qui avait disparu de la circulation à Ostende et à Nancy, clubs possédés par Pacific Media Group et tous deux relégués l’an dernier. Le Français a activé ses réseaux de toujours pour mener le mercato, comptant également sur la galaxie de son patron John Textor (propriétaire de Lyon et Botafogo) pour construire un noyau bariolé. Le coach de la montée, Vincent Euvrard, et le président historique de la remontada, Thierry Dailly, ont été évincés avant même le coup d’envoi du championnat, et le chaos a fini par contaminer le terrain. Les Bruxellois n’ont gagné aucun de leurs douze derniers matchs, précipitant les licenciements successifs de Claudio Caçapa et Bruno Irles, et entameront les play-downs avec Yannick Ferrera sur le banc mais sans supporters dans les tribunes, conséquence de remous occasionnés par cette gestion chaotique en coulisses.
A Charleroi aussi, les supporters font du bruit. Leur dépôt abondant de foin à l’entrée des terrains d’entraînement de Marcinelle, accompagné d’une banderole «Bon app’ les chèvres», a fait le tour des réseaux sociaux. Le nouveau coach, Rik De Mil, n’a pu s’empêcher de sourire quand il s’est vu offrir un saucisson Bâton de Berger par les ultras pour son premier jour chez les Zèbres. C’est avec beaucoup moins d’humour que les Storm Ultras, groupe le plus influent du public carolo, réclament sur leur page Facebook le départ de Mehdi Bayat, jugé coupable de nombreuses promesses non tenues, essentiellement sportives. Là aussi, un investisseur étranger est arrivé voici quelques mois, mais il semble plus à même d’être accueilli à bras ouverts et avec des fonctions élargies.
Sur les terrains, l’ambiance sera forcément morose et le stress omniprésent. Est-ce une formule injuste pour autant? Certains suiveurs aiment affirmer qu’au bout d’un championnat, une équipe qui prend moins d’un point de moyenne par match ne mérite de toute façon pas de s’y sauver.
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