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Dans la tête de Vincent Kompany, la pile électrique qui sait garder sa zénitude

Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Un workaholic maniaque du détail qui s’en tape des critiques, c’est ça le vrai Vincent Kompany. Enquête dans les secrets bien gardés du coach des Mauves.

« Oui, mon fils fait des journées 8 h-22 h au club, c’est ça qui me fait souffrir comme parent, il travaille trop »: Pierre Kompany lance la première salve. À Anderlecht, son fils balade une réputation de workaholic pur et dur. Et il exige les mêmes efforts de son entourage. Parfois, ça peut décourager l’un ou l’autre prospect contacté par le Sporting pour renforcer ses effectifs. L’un d’eux a appris que s’il s’engageait, il devait aussi s’engager à passer une dizaine d’heures par jour au club… même s’il a terminé son boulot. Il a décliné.

Un coach qui ne s’est jamais énervé, ça a permis à Anderlecht d’avancer. » – Felice Mazzú

« Il fait tout ça parce qu’il estime que c’est nécessaire, parce qu’il n’y a pas d’argent et parce qu’il est conscient que des bons joueurs sont venus pour lui et attendent qu’il s’investisse énormément », poursuit le papa. « Il veut montrer l’exemple. Mais c’est beaucoup pour un seul homme. Toute la famille voit qu’il bosse trop. Mais c’est génétique. Quand il était joueur, il se tapait aussi des horaires de malade pour revenir de blessure. Et tu sais combien d’heures je peux bosser, moi? Parfois 18 heures par jour, j’envoie des mails à 3 heures du matin. On est comme ça. »

VincentKompany serait donc un coach incapable de déconnecter? « À côté de ça, comme son frère et sa soeur, il est capable de s’asseoir par terre pour jouer avec ses enfants », dit encore le paternel. Et l’avis de JacquesLichtenstein, l’un des hommes qui connaît le mieux le phénomène Vinnie? Il a été son agent pendant toute sa carrière de joueur. Aujourd’hui, ils ne collaborent plus. Un choix conscient de l’agent: « Notre société ne veut pas représenter d’entraîneur. On estime que c’est trop délicat et on ne veut pas être attaquables. Il était clair entre Vincent Kompany et moi que, dès qu’il arrêterait de jouer, notre collaboration cesserait. Il ne m’a pas remplacé, il travaille sans agent. »

Jacques Lichtenstein nous rassure sur un point: l’entraîneur des Mauves est capable de déconnecter. « On continue à s’appeler de temps en temps. La dernière fois, il y a quelques jours, on a plus parlé de NFT et de cryptomonnaies que de foot. » Pour que ce soit clair pour tout le monde: un NFT, terme anglais, est en français un JNF, un jeton non fongible, c’est-à-dire un certificat de propriété et d’authenticité d’une oeuvre numérique achetable en ligne…

Il a modifié les horaires des diffuseurs du championnat…

On en revient au niveau d’exigence de Vincent Kompany. Exigeant envers lui-même et envers les autres. « C’est un niveau d’exigence bien au-dessus de la moyenne de ce qui se fait en Belgique », nous explique un proche de plusieurs joueurs du Sporting. « Il fait des trucs qui ne se font dans aucun autre club de chez nous. Moi aussi, j’entends qu’il est présent au club de façon presque anormale, style arrivée à Neerpede sur le coup de 8 heures du matin et il ne quitte qu’en fin de soirée. Après chaque entraînement… il visionne l’entraînement parce que tout est filmé. Il fait des découpages et il lui arrive de montrer des séquences aux joueurs le lendemain. Certains pensent qu’ils sont arrivés parce qu’ils ont fait deux belles passes la veille, Kompany leur montre qu’ils en ont surtout fait dix mauvaises et que le chemin est encore long. Il ne laisse rien passer. Et il veut faire comprendre aux jeunes qui se plaignent de leur temps de jeu, aux gamins qu’on met sur un piédestal, qu’ils sont de bons footballeurs mais pas encore des sportifs de haut niveau. Entre les deux, la différence est énorme. Certains le comprennent assez vite, d’autres pas. Par exemple, AlbertSambiLokonga dit que Kompany lui a donné les codes pour qu’il s’impose très vite à Arsenal. »

Le coach des Mauves manifeste la même implication maladive aux cours d’entraîneur qu’il suit actuellement. La parole à un de ses condisciples, KarelGeraerts, actuellement T2 à l’Union: « Il est super attentif, super curieux et il a toujours sa propre opinion sur ce que les professeurs nous racontent. Il pose pas mal de questions et c’est toujours to the point, très pratique, pas des questions générales. Je me souviens par exemple du jour où il a cuisiné JefBrouwers, qui nous donne les cours de psychologie du sport. Il s’interrogeait sur les meilleures façons de gérer certaines situations bien concrètes. »

Le nez dans le guidon, partout et tout le temps. C’est ça, le coach qui sommeille en Vincent Kompany. C’est historique chez lui: il n’accorde des interviews individuelles qu’au compte-gouttes. Sans doute parce qu’il ne veut pas faire de jaloux, probablement aussi parce qu’il estime avoir des choses plus utiles à faire. Vinnie et la presse écrite belge, ça se limite aux conférences de presse collectives, un ou deux jours avant les matches, puis juste après les rencontres. En plus des passages obligés à la télé, avant le coup d’envoi et après le coup de sifflet final. Il a même réussi à modifier légèrement les accords passés entre la Pro League, les clubs et les diffuseurs…

« La règle, c’est que les coaches viennent chez nous une heure avant le match et dans un délai de vingt minutes après la fin », explique le commentateur VincenzoCiuro, qui est régulièrement présent sur les rendez-vous d’Anderlecht et a donc souvent l’occasion de tendre sa bonnette à l’entraîneur d’Anderlecht. « Kompany a demandé une petite adaptation. Il souhaite venir une heure quart avant le coup d’envoi, au lieu d’une heure pile. Parce que, dans les derniers moments, il tient à passer le plus de temps possible avec son groupe. Après les matches, c’est la même chose, il a envie d’être avec ses hommes. Et donc, parfois, il déborde des vingt minutes prévues dans le contrat. Il se pointe parfois après une demi-heure, quarante minutes. Le sommet, ça a été après une défaite, on a dû attendre près d’une heure pour l’avoir. On a deux ou trois joueurs de chaque équipe après les matches, même un en plus de son noyau si l’homme du match est un gars d’Anderlecht. Ça décale tout et on sent que ça ne lui convient pas. Il voudrait avoir tout le monde autour de lui dans le vestiaire, le plus vite possible. »

Il travaille trop, c’est ça qui me fait souffrir comme parent. » – Pierre Kompany

Il va dans les cafés parler aux supporters…

Paradoxe, la pile électrique qui ne s’arrête jamais est aussi l’incarnation de la zénitude. Un interne du club explique qu’il garde son calme légendaire « même quand il a le feu au cul. » Avant la série de victoires entamée à Charleroi, on commençait à entendre que son fauteuil vacillait. La même source indique qu’il est resté égal à lui-même, jamais abattu dans les moments difficiles comme il n’est jamais euphorique quand ça sourit. « On discute quelques minutes avant nos matches, il est toujours très zen », nous dit FeliceMazzú. « Et toujours très positif. On parle de foot, mais parfois aussi d’autres choses qui n’ont rien à voir. Ce sont chaque fois des moments agréables, malgré la pression. On voit qu’il a toujours conservé la confiance et il a fini par envoyer cette énergie positive vers le groupe, vers la direction, vers l’ensemble du club. Un coach qui ne s’est jamais énervé, ça a permis à Anderlecht d’avancer. »

Les critiques quand son équipe est dans le dur? Nos témoins sont unanimes: Vincent Kompany s’en tape. « On te sublime dans les bons moments, on te démolit dans les mauvais, je connais ça aussi », enchaîne le coach de l’Union. « Quand tu as connu le plus haut niveau en Angleterre et en équipe nationale, ça t’aide, tu te fais une carapace énorme. Kompany est toujours resté serein, hyper organisé et hyper calme dans sa communication. »

Et son père rigole un bon coup quand on le chauffe sur la faculté de son fils à digérer les commentaires négatifs… « Allez, dis… » On nous raconte cette anecdote survenue dans les locaux de la radio bruxelloise Arabel. Pierre Kompany, député bruxellois et bourgmestre de Ganshoren, avait été invité pour une émission politique. Il a lancé au responsable de la station: « Vous n’êtes pas toujours tendre avec mon fils. » Ce responsable lui a rétorqué: « Quand 20.000 supporters commencent à siffler, ça veut quand même dire qu’ils ne sont pas contents. » Réplique du paternel: « Les critiques me touchent beaucoup plus que lui. Ce n’est pas à Vincent que ça fait mal mais à son entourage. »

Pierre Kompany nous en dit plus sur l’état d’esprit du coach, toujours sur le même thème: « Il a joué dans le pays du foot où il y a soixante millions d’habitants. Quand la presse anglaise écrit, c’est pour tout le Commonwealth, plus de deux milliards de personnes. Ici, on a onze millions de gens qui lisent les journaux. On est en famille… Mon fils n’a aucun mal avec ça, il ne nous en parle même pas. Contrairement à ce que certaines personnes pensent peut-être, il n’a pas besoin d’être consolé par ses proches quand ça va moins bien. Non, c’est lui qui va parfois réconforter les supporters. Tu as déjà vu beaucoup d’entraîneurs qui vont dans les cafés pour discuter avec les fans? À des moments où personne ne sait ce qu’il faut faire pour que ça aille mieux, il provoque la discussion. Il a su vivre avec la pression de matches historiques dans des stades de 90.000 personnes, avec des enjeux terribles. Après ça, tu relativises d’office les petites attaques. Et puis il sait que les gens qui le critiquent aujourd’hui viendront peut-être l’embrasser demain. »

Dans la tête de Vincent Kompany, la pile électrique qui sait garder sa zénitude
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« Il a un côté envoûtant »

Retour à Vincenzo Ciuro et à ses interviews individuelles avec le Prince, les jours de matches. « Ses discours sont toujours très argumentés. En termes de QI, c’est le haut niveau. Avec lui, tu n’auras jamais une interview débridée où ça part dans tous les sens. C’est très cadré. Il accepte les questions pointues. Tu sens qu’il réfléchit tout le temps, qu’il n’arrête jamais. À l’interview d’avant-match, il est dans sa bulle. Avec les autres entraîneurs, on se dit bonjour, on se checke, on papote un peu avant de poser les questions. Avec lui, pas du tout. Ça ne sert à rien d’essayer, il est trop focus. En général, sa réponse à la première question n’est pas d’un niveau exceptionnel parce qu’il n’est pas encore dedans, il regarde en l’air ou dans le vague, il est trop dans son truc. Après, il se relâche un peu. Mais il est plus dans le calcul que dans le naturel, à l’inverse de coaches comme Edward Still ou FeliceMazzú. Avec lui, c’est: Ce que je vais dire, jusqu’où je peux le dire, où je vais m’arrêter. Il donne mais il ne veut pas trop donner non plus. Après les matches, c’est différent, le résultat a une influence sur la façon dont il se comporte. Le seul point commun entre l’avant et l’après, c’est sa réflexion. Et il est toujours pondéré sur les sujets touchy, comme l’arbitrage. Il fait attention aux termes qu’il utilise et à l’image qu’il va renvoyer. Tu sens parfois qu’il bouillonne, mais il ne veut pas le montrer. Il veille toujours à ne pas aller trop loin dans les décibels et dans le contenu. »

Le commentateur finit sur cette confidence: « Il a un côté ensorcelant, un peu perturbant. J’ai connu des coaches difficiles à interviewer, à cause de leur personnalité, comme Laszlo Bölöni ou Franky Vercauteren. Vincent Kompany, c’est encore autre chose, il est envoûtant. Parce qu’il a été un des meilleurs joueurs du monde? Parce qu’il est grand? Il en impose physiquement, ça peut jouer dans la tête de celui qui lui pose les questions. Tu te laisses parfois un peu embobiner. Mais il est toujours respectueux de notre métier. On a longtemps eu l’impression de tourner en rond avec lui quand il parlait systématiquement de jeunes, de collectif, de process. Mais il n’a jamais fait passer un message de supériorité footballistique ou intellectuelle. »

« Ce n’est pas le groupe et moi mais moi dans le groupe »

Au club, on nous parle d’un Vincent Kompany « qui ne se laisse guider par personne. À la limite, il suffit qu’on lui conseille de faire blanc pour qu’il fasse noir. » Et notre témoin qui côtoie pas mal de joueurs du noyau pro ajoute: « Il a une relation très naturelle avec le groupe. Anderlecht est quand même un des seuls clubs où les joueurs appellent le coach par son prénom ou un surnom. Quand Lior Refaelov l’interpelle, ce n’est pas Coach mais Vinnie. Kompany peut se le permettre, vu son charisme, sa légitimité. Il n’a pas besoin de créer un cadre pour se faire respecter. Il y a des enseignants qui se font respecter en demandant aux étudiants de les tutoyer. C’est la même chose avec lui. Avec Kompany, ce n’est pas le groupe et moi mais moi dans le groupe. »

Il aurait pu avoir une relation délétère avec quelques joueurs. Adrien Trebel, par exemple, toujours condamné à jouer avec les U21. « Trebel l’apprécie toujours autant pour sa franchise », témoigne le même insider. « Il a beaucoup aimé sa faculté à dire les choses en face. Quand Kompany a écarté Trebel, il aurait pu dire: Ce n’est pas moi, la décision vient d’untel ou untel. Non, il a assumé: C’est ma décision. » Pareil pour Alexis Saelemaekers, que le Sporting a parqué à Milan alors que le joueur ne demandait pas à partir même s’il jouait peu. Ils ne se sont pas engueulés. Kompany voyait un potentiel dingue chez Saelemaekers, mais estimait simplement qu’il n’était pas encore prêt. Difficile à digérer pour l’intéressé, mais aujourd’hui, il rejoint totalement son ex-entraîneur. Il dit à son entourage qu’il a compris que s’il ne jouait pas à l’époque, c’était une décision parfaitement défendable.

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