Cyriel Dessers raconte le jour le plus fou de sa vie: « Le matin, je pars pour signer à Leganés et le soir… »
Il y a un an, à Genk, Cyriel Dessers (26 ans) est tombé sur un Paul Onuachu inarrêtable. Il évolue aujourd’hui à Feyenoord, où il démontre toutes ses qualités.
Cyriel Dessers se fait chaque jour la réflexion: l’entrée du Kuip est vraiment impressionnante. Le solide attaquant est arrivé à la toute dernière minute du mercato d’été, mais on ne parle que de lui. Parfois, l’herbe est bel et bien plus verte ailleurs…
En parlant de vert, il y a un an, vous avez opté pour l’équipe nationale du Nigeria. Qu’est-ce que ça vous a apporté?
DESSERS : J’y ai été très bien accueilli, même si je ne parle pas yoruba. Beaucoup de joueurs ont grandi en Europe, ça a facilité mon intégration. Je ne suis pas encore allé au Nigeria, car le match que j’ai joué avait lieu en Autriche. Je me réjouis d’y aller, mais encore faut-il que je sois de nouveau sélectionné.
La concurrence est-elle forte?
DESSERS : Devant, il y a Victor Oshimen et Kelechi Iheanaho puis six ou sept joueurs pour deux places, dont moi, Paul Onuachu et Terem Moffi. C’est normal pour un pays de 180 millions d’habitants et une diaspora de cent millions. Mais je ne regrette pas mon choix.
Vous ne regrettez pas non plus d’avoir choisi Feyenoord. Quelle est la grande différence avec Genk?
DESSERS : Feyenoord est un super grand club. Je l’avais déjà constaté en l’affrontant, mais c’est encore plus flagrant maintenant que j’y suis. Je ne peux plus sortir en rue sans qu’on m’aborde. Et puis, la vitrine des trophées est impressionnante. Jouer devant 50.000 spectateurs, ça vous donne de l’énergie. J’ai toujours été plus fort dans les grands matches.
« Lors de mon transfert, je ne contrôlais plus la situation »
Vous avez loupé toute la préparation. L’adaptation a-t-elle été difficile?
DESSERS : Très difficile. C’était la première fois que ça m’arrivait. L’équipe avait déjà joué neuf matches, dont six en Coupe d’Europe. Elle était bien en place. Devant, Bryan Linssen avait déjà inscrit six buts. Mais j’ai été super bien accueilli.
Un attaquant n’a qu’une chose à faire pour se faire remarquer.
DESSERS : Marquer des buts est important, mais je joue aussi un rôle dans le vestiaire. Je vais avoir 27 ans, je suis un des joueurs les plus expérimentés. J’encourage les autres, comme je le faisais à Genk. Au Pays-Bas, on doit se faire respecter dès le début. Quand j’ai quitté Lokeren pour le NAC Breda, Willy Reynders disait déjà que cette mentalité me conviendrait. À Lokeren, quand vous demandiez une explication, on vous regardait de travers. Ici pas.
Que devez-vous aux Pays-Bas?
DESSERS: J’y ai reçu ma chance. En Belgique, c’est difficile pour les jeunes, car on préfère les joueurs expérimentés. Ici, c’est le contraire, on privilégie la marge de progression. J’aurais pu rester à Lokeren comme doublure de Tom De Sutter, mais j’avais 21 ans et je voulais jouer.
Avez-vous été surpris par l’intérêt de Feyenoord?
DESSERS : Je savais qu’ils cherchaient un attaquant. J’ai discuté une première fois avec l’entraîneur à la mi-août, mais ça ne s’est fait que le dernier jour, le jour le plus bizarre de ma vie. Le matin, je partais pour Madrid en me disant que j’allais signer à Leganés et le soir, je signais à Feyenoord. Je ne contrôlais plus la situation, je dépendais des dirigeants et j’attendais juste un coup de fil. Cette journée vaudrait un film, tellement il y a eu des rebondissements.
« Je ne considère pas la saison dernière comme perdue »
Si Paul Onuachu avait quitté Genk, vous ne seriez pas ici?
DESSERS : Tout le monde pensait qu’après une telle saison, il allait partir. Lui et moi aussi. Je m’étais dit que j’allais lutter pour une place avec son remplaçant et j’avais confiance, car j’avais bien terminé la saison dernière et bien entamé celle-ci. Mais il n’est pas parti et il était évident qu’après avoir marqué 35 buts il aurait du crédit. Je ne regrette pas une seule seconde d’avoir signé à Genk, ça restera toujours mon club, mais je me dis que je n’ai pas pu montrer ce que je valais, car Paul a livré une saison fantastique.
Wesley Sonck a longtemps été votre joueur préféré. Est-ce exact?
DESSERS : Chaque semaine, Robin van Persie donne un entraînement aux attaquants de Feyenoord. Il nous apprend plein de trucs, parfois des détails et j’aurais voulu que Wesley me donne de tels conseils.
Un exemple?
DESSERS : Lorsque le ballon est de l’autre côté du terrain, l’attaquant se place devant le défenseur. Il facilite ainsi la tâche de celui-ci. Van Persie nous conseille de toujours rester dans l’angle mort.
À 27 ans, vous pouvez encore progresser?
DESSERS : Tout à fait. C’est pourquoi je ne considère pas la saison dernière comme perdue. À l’entraînement, j’ai sans cesse été confronté à deux internationaux colombiens. Ça m’a fait progresser. C’était ma première saison dans un grand club, j’ai progressé techniquement, tactiquement et mentalement. Mais on progresse toujours plus quand on joue.
Certains consultants pensent que vous auriez été meilleur dans un système à deux attaquants, à côté de Paul Onuachu.
DESSERS : Ça aurait pu fonctionner, car nous sommes très complémentaires. Je préfère la profondeur tandis que Paul est plus fort balle au pied. Lors du dernier match de Jess Thorup, nous avons joué ensemble, avec Théo Bongonda derrière nous. Ça a bien fonctionné, mais il aurait fallu changer le système alors que les ailiers, Ito et Bongonda, étaient en grande forme. J’ai regretté le départ de Thorup, car il disait qu’avec mes qualités, j’aurais pu jouer.
La saison de Genk a été chahutée mais vous avez loupé le titre de peu. Comment expliquez-vous cela?
DESSERS : Parce que le groupe était très jeune.
Ça manquait de leaders?
DESSERS : Quand on jouait bien, on ne parlait pas de ça. Mais nous sommes bien conscients qu’avec un demi-point de retard sur Bruges, nous sommes passés à côté du doublé.
Quelle langue parliez-vous à l’entraînement?
DESSERS : Anglais.
Et ici?
DESSERS : Néerlandais.
Malgré tous les étrangers?
DESSERS : Oui. Ici, les clubs accordent de l’importance au cours de néerlandais. À Heracles, nous avions un entraîneur allemand, mais il tentait de parler néerlandais. Ça facilite aussi les contacts avec les supporters.
« Je voulais gagner quelque chose avec mon club de coeur et j’y suis arrivé »
À Genk, on a placé la barre plus haut cette saison. Et ici?
DESSERS : Feyenoord ne sera jamais un club de l’ombre, il est trop grand pour cela. Après quelques saisons difficiles, un vent nouveau souffle sur le club, avec un nouvel entraîneur et de nouveaux joueurs. Pour le moment, ça se passe très bien et nous avons encore une grande marge de progression car les joueurs sont très jeunes.
Qu’est-ce qui fait votre force?
DESSERS : Le groupe. Il était déjà très homogène quand je suis arrivé et c’est plus amusant comme ça. Notre entraîneur, Arne Slot, est très fort tactiquement. Il a toujours plusieurs coups d’avance sur l’adversaire et ça me fascine. Mais c’est aussi un bon entraîneur de terrain, très clair. C’est chouette pour les joueurs.
Vous lui facilitez la tâche. Il commence avec l’autre attaquant et si ça ne marche pas, il vous fait entrer et vous faites la différence.
DESSERS : La saison dernière, à Genk, j’ai appris à ne plus faire les comptes après un match et à ne pas laisser tomber, car on est déçu. Je bosse et je n’attends rien du prochain match. Si je suis titulaire, je suis prêt. Si je dois monter à la 85e minute, c’est bien aussi.
À Genk non plus, vous ne parliez jamais de votre situation de remplaçant.
DESSERS : J’ai vite compris que Paul resterait titulaire. Il a surpris tout le monde. Je devais donc remplir un autre rôle: être important dans le vestiaire, aider les autres. Je voulais à tout prix gagner quelque chose avec le club que je supportais quand j’étais petit et j’y suis arrivé. Je préférais être deuxième attaquant derrière un type qui a marqué 35 buts dans une équipe échouant de peu à la deuxième place que réserviste avec le sixième du championnat.
Le boulot d’attaquant est-il le plus difficile?
DESSERS : Un joueur de champ a en moyenne le ballon trente secondes par match. Un attaquant, c’est quinze secondes. Et pendant ce laps de temps, il doit faire quelque chose.
« Un joueur contrôle beaucoup moins sa carrière que les gens le pensent »
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre carrière jusqu’ici?
DESSERS : À chaque fois que je fais un plan de carrière, ça se passe autrement. Au cours de mes six premiers mois à Utrecht, j’ai inscrit douze buts et je me suis dit que j’étais prêt à franchir une étape mais en décembre, l’entraîneur est parti à l’Ajax et je n’ai plus joué. Lorsque je suis arrivé à Heracles, je me suis dit que j’allais m’ennuyer pendant deux ans mais après six mois, de grands clubs me voulaient. Puis à Genk, je me suis retrouvé sur le banc. Certains ont une carrière stable, la mienne est faite de hauts et de bas mais à chaque fois que je recule, c’est pour mieux sauter. Quand je suis arrivé ici, on a dit que j’avais échoué à Genk. Ce n’est pas mon avis. J’ai le niveau pour un grand club. Seulement, j’ai été confronté à un phénomène: Onuachu.
Personne ne pensait que j’effectuerais un tel parcours. »
Cyriel Dessers
Pensez-vous à l’avenir?
DESSERS : Non. Quand on arrive après neuf matches dans une équipe qui tourne bien, on ne sait pas à quoi s’attendre. J’ai marqué cinq buts en 250 minutes, dont trois décisifs. Je sais que je ne marquerai pas toutes les cinquante minutes pendant toute une saison, mais c’est chouette d’être important quand on arrive quelque part. Si je joue, je marque. À Genk, j’ai été huit fois titulaire et j’ai inscrit huit buts. Peut-être que Feyenoord lèvera l’option, peut-être que je retournerai à Genk ou que je serai prêté dans un autre club. Un joueur contrôle beaucoup moins sa carrière que les gens le pensent. Lorsque j’étais à Heracles, j’aurais pu aller au Celta Vigo, qui devait aller au Real puis à Barcelone le mois suivant. Mais c’est tombé à l’eau et je suis resté à Heracles.
Comment supportez-vous cela mentalement?
DESSERS : C’est parfois difficile, mais c’est aussi ce qui fait la beauté du football: on ne sait jamais de quoi demain sera fait. À un certain moment, Utrecht voulait me louer à Waasland-Beveren. Ça ne s’est pas fait parce que je me suis blessé et j’ai inscrit le but décisif en finale de la Coupe, qualifiant ainsi Utrecht pour la Coupe d’Europe. Beaucoup de joueurs ont une belle carrière, mais ne gagnent rien. Je suis international, j’ai gagné des finales et inscrit des buts décisifs, je suis monté avec le NAC Breda et j’ai vu 25.000 personnes faire la fête sur le parking: des moments inoubliables. Il y a dix ans, j’entamais ma première année de droit. Je pensais jouer en Promotion et étudier. Puis je suis passé de Tongres à OHL et j’ai inscrit trente buts en Espoirs, ce qui a attiré l’attention de Lokeren. Je dois beaucoup à Rudi Cossey, qui m’a beaucoup soutenu la première année. Mais personne ne pensait que j’effectuerais un tel parcours.
Êtes-vous pour ou contre la BeNe League?
DESSERS : Ce sera difficile car en Belgique, on dit du mal du championnat néerlandais et aux Pays-Bas, c’est l’inverse. Pour les clubs belges, ce serait bien de jouer dans des stades comme ceux de Feyenoord, de l’Ajax ou du PSV. En Belgique, il y a plus que trois grand clubs, mais il y a beaucoup d’obstacles à une BeNe League. Aux Pays-Bas, les joueurs extra-européens doivent gagner au moins une fois et demi le salaire moyen d’un joueur d’Eredivisie, soit 300.000 euros. Seuls quatre clubs peuvent payer cela alors qu’en Belgique, on importe davantage de joueurs, au détriment des jeunes.
« Battez-vous, confrontez les gens à leurs propos! »
En mai, vous êtes apparu dans le documentaire « FC United » consacré au racisme dans le foot belge. Dites-nous en plus.
CYRIEL DESSERS : Mes parents m’ont toujours dit de ne pas accorder d’importance à ces gens-là et de me concentrer sur moi-même. J’ai tout de même voulu témoigner pour aider ceux qui doivent encore s’en sortir. Moi, j’ai de la chance: j’ai un prénom et un nom flamand, mais beaucoup de gens ont du mal à louer une maison ou à trouver du boulot.
Quel conseil leur donnez-vous?
DESSERS : Ne faites pas comme moi: battez-vous, confrontez les gens à leurs propos.
La situation est-elle différente aux Pays-Bas?
DESSERS : Ici, le passé colonial est plus présent dans la population. Il y a beaucoup de Surinamiens, d’Indonésiens ou d’Antillais. Il y a aussi du racisme, mais j’ai l’impression que les Pays-Bas ont de l’avance sur nous.
Y a-t-il aussi du racisme dans le sport de haut niveau?
DESSERS : Notre vestiaire est très diversifié et c’est ce qui le rend intéressant. Si on prend les points forts de chaque culture, on obtient un ensemble beaucoup plus fort. Dès lors, je ne comprends pas comment des gens peuvent remettre cela en cause.
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