Thibaut Courtois se consacrera désormais essentiellement au Real Madrid. © BELGA

Courtois arrête les Diables: l’ego du champion et la défaite des Belges

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Thibaut Courtois a officialisé son divorce avec les Diables de Domenico Tedesco. Amoureux démesuré de victoires et de reconnaissance, il ne se sentait plus comblé par la Belgique.

La photo est choisie avec le soin propre aux grandes annonces. Les poings serrés au bout de bras écartés, un cri qui se devine en un regard, et des cheveux dont la coloration éclaircie tirent un peu vers le blond. Thibaut Courtois a presque l’air sorti d’un épisode de Dragon Ball. Le cliché date du Qatar, là où l’essentiel de la génération dorée s’effondre. Précisément contre le Canada, là où le meilleur gardien du monde maintient la Belgique à bout de gants, écartant notamment un penalty pour permettre un succès flatteur.

A un jour près, 20 mois se sont écoulés entre la prise du cliché et sa mise en ligne sur le compte Instagram de Thibaut Courtois. Le gardien l’utilise pour mettre un terme à plus d’un an de flou autour de son aventure diabolique: «Malheureusement, compte tenu des évènements avec le coach et après une longue réflexion, j’ai décidé de ne pas revenir en équipe nationale sous ses ordres.»

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Le gardien du Real Madrid ne fait jamais d’erreur de timing. Ses mots interviennent peu de temps avant la première sélection belge qui fait suite à l’Euro allemand. Puisque l’été des Diables n’a pas été aussi emballant que prévu, peut-être attendait-il un geste d’une Fédération avec laquelle il entretient essentiellement des contacts via Frank Vercauteren, coach lors de l’année de sa révélation à Genk. Celui qui est désormais directeur technique de l’Union belge a entretenu le contact avec Thibaut Courtois tout au long d’une crise à l’issue inéluctable.

L’homme aux 102 apparitions sous le maillot de l’équipe nationale savait donc parfaitement qu’à Tubize, siège du football fédéral, les prestations de la Belgique à l’Euro n’étaient pas jugées avec la même sévérité que par la presse ou le public. Atteindre les huitièmes de finale était l’objectif fixé à Domenico Tedesco, et l’évaluation du peu de panache avec lequel il a été accompli n’a pas encore été bouclée, preuve du peu d’urgence autour de la question de l’avenir du sélectionneur. Courtois a compris que ce serait encore avec Tedesco, et s’est offert le luxe du coup de sifflet final en affirmant que ce serait donc encore sans lui.

Courtois, Tedesco et le vestiaire

Au sein du vestiaire belge, la personnalité du sélectionneur est appréciée, principalement par la nouvelle génération. Le coach italo-allemand a également l’appui de ses cadres, Romelu Lukaku en tête. En grande difficulté avec les Diables cet été, le meilleur buteur de l’histoire du pays a ainsi été défendu dans les mots et dans les actes par son coach, qui l’a laissé sur la pelouse lors des 360 minutes de l’Euro belge malgré des prestations de moins en moins convaincantes. Un atout supplémentaire dans la manche de Tedesco, car Lukaku est une voix qui compte et qui porte dans les couloirs de Tubize. Même avant la crise de confiance, c’était loin d’être le cas pour Thibaut Courtois. «Au Real Madrid, des personnes qui travaillent dans notre centre d’entraînement jusqu’au président, ils te font sentir à quel point tu es important», expliquait le gardien en décembre dernier à Sporza pour comparer sa situation en club avec celle chez les Diables.

Courtois a beaucoup d’estime pour sa propre réussite professionnelle, et considère à ce titre que ses mots pèsent lourd. A raison, trouvait Roberto Martinez qui en avait fait l’un des cadres de la génération dorée, bien plus que lors de l’ère Wilmots. Avec Tedesco, malgré un statut de vice-capitaine partagé avec Lukaku dans l’ombre de Kevin De Bruyne, le sentiment n’a jamais été identique.

Plus d’un an après les faits, la querelle du stade Roi Baudouin reste entourée de flou. Tedesco affirme encore que c’est ce fameux brassard de capitaine offert à Lukaku contre l’Autriche qui a vexé Courtois au point de claquer bruyamment la porte des Diables. Le gardien rétorque que l’histoire est sortie de son contexte, pointant côte-à-côte le manque de communication du sélectionneur sur le sujet et le manque de reconnaissance global de la Fédération belge pour sa carrière, honorée le soir de ce match face aux Autrichiens avec une discrète cérémonie à l’occasion de sa centième sélection.

Si le dernier rempart du Real Madrid a beaucoup de respect pour Romelu Lukaku, il n’a pas apprécié que les occasions manquées par son compatriote en finale de la Ligue des Champions 2023 soient utilisées comme prétexte pour lui offrir le brassard de capitaine et le remettre en confiance. Parce que chez les Courtois, on récompense ceux qui gagnent et on chambre ceux qui perdent. On se sublime quand on a les oreilles qui sifflent et on éructe vers les supporters quand la victoire est au bout. Dans sa villa madrilène, Thibaut a d’ailleurs installé une salle des trophées où se retrouvent les maillots de ses matchs les plus symboliques, aux côtés des récompenses individuelles et collectives de plus en plus nombreuses. A son goût, il devrait pourtant y en avoir plus.

Aussi insignifiant qu’il puisse paraître pour un gardien de sa dimension, le titre de meilleur Belge évoluant à l’étranger remis en marge du Soulier d’or à Kevin De Bruyne pour l’année 2022 l’a choqué, lui qui avait tout gagné avec le Real Madrid et survolé la finale de la Ligue des Champions avec une prestation héroïque contre Liverpool. Vainqueur du Trophée Yachine qui consacre le meilleur gardien du monde au bout de cette même année 2022, il avait consacré une bonne partie de son speech à sa décevante septième place au Ballon d’or, désigné lors de la même soirée: «A l’heure de voter, on oublie souvent les gardiens, ce sont souvent les buteurs et les passes décisives, mais ce n’est pas très grave. On sous-estime encore un peu le poste de gardien.»

Comprendre l’ego

Pour beaucoup, il est difficile de comprendre Thibaut Courtois. Trop d’égo pour susciter l’adhésion, même au sein des vestiaires dans lesquels il est passé. Rares sont par exemple ses anciens concurrents qui acceptent de parler de lui. Courtois le sait, et ne s’en vexe même pas quand on lui fait la réflexion. «Si vous voulez arriver loin dans le football, vous devez être un mâle alpha», expliquait-il à Sporza à l’heure d’analyser son conflit prolongé au point de devenir une querelle de coqs avec Domenico Tedesco. «Je n’ai aucun problème à admettre que j’ai une forte personnalité.»

Vainqueur dans l’âme, éduqué dans la haine de la défaite par son père Thierry et bercé par les sportifs américains dont il admire le franc-parler et le charisme (notamment en NBA), Thibaut Courtois fait paradoxalement plus souvent parler de lui dans la défaite. Son interview dans la foulée de l’élimination en demi-finale de la Coupe du monde 2018 a suscité des années de vannes françaises et sa réaction furieuse après la défaite contre les Gallois à l’Euro 2016 n’avait pas épargné Marc Wilmots.

Face à l’Autriche, déjà frustré par la communication floue de Tedesco et sa mise à l’honneur manquée, le gardien déborde après le coup de sifflet final d’un match de souffrance, où la Belgique avait presque miraculeusement sauvé un point (1-1). Il fustige la difficulté de retourner une situation compromise quand on s’aligne avec des joueurs qui ont passé leur saison en club à jouer le bas de tableau. S’il corrigera par la suite en disant qu’il parlait plus de leur mental que de leur qualité, certains sont blessés. Relégué avec Leicester au printemps 2023, Timothy Castagne avait affirmé dans Le Soir en octobre que «ce serait bizarre si Thibaut devait maintenant revenir dans l’équipe comme si rien ne s’était passé. Voulons-nous sacrifier ce groupe pour un seul joueur?»

Courtois et la défaite

Thibaut Courtois déteste perdre. Il se tatoue ses plus grandes victoires dans la peau et se bat chaque jour face au spectre de l’échec. Ancien entraineur des gardiens des Diables rouges et proche confident de Courtois et de son entourage, Erwin Lemmens aime raconter que si vous initiez Thibaut à un nouveau sport qu’il ne maîtrise pas immédiatement, il vous rappelle un mois plus tard pour vous affronter à nouveau et vous met la misère avec un niveau exceptionnel. «Il veut réussir l’impossible, et ça le rend sans arrêt meilleur.»

En refermant la porte de l’équipe nationale, pour une pause carrière qu’il sait peut-être définitive (il aura déjà 34 ans après le Mondial 2026, prochaine échéance décisive pour Domenico Tedesco), Thibaut Courtois a-t-il vraiment tant de regrets? En privé, il confiait volontiers qu’il arrêterait sa carrière internationale quand il ne sentirait plus la Belgique capable de briller dans les grandes compétitions, mettant un point d’interrogation sur son avenir au déclin de la génération dorée. Enthousiasmé par certains profils de la nouvelle vague belge, il semblait avoir changé d’avis. Est-ce néanmoins sans sourire en coin que lui, la machine à trophées, regarde son pays poursuivre sa route avec, sur le banc, un sélectionneur qui a plus perdu que gagné lors de son premier grand tournoi?

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