Comment Tedesco a rendu le sourire à De Bruyne

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Fooball

Kevin De Bruyne est le capitaine des Diables du futur. Une mission qui semble lui avoir redonné le goût de la sélection après une Coupe du monde passée à bouder.

Par Guillaume Gauthier

Le triomphe est modeste, le sourire pétillant. Juste avant la fin d’une mi-temps que la Belgique a survolée, Kevin De Bruyne vient enfin à bout de la muraille monténégrine. Honorée avant le coup d’envoi pour sa centième apparition sous le maillot des Diables Rouges, la référence mondiale de la passe décisive fait trembler les filets de la façon la plus symbolique qui soit: son but est une passe, appuyée en direction d’une cage désertée par le gardien visiteur.

Homme du match presque sans forcer, le maître à jouer de la sélection ravit le public par une mine radieuse qu’on ne lui connaissait plus en équipe nationale. Il faut dire que ses dernières apparitions diaboliques remontaient déjà au printemps 2023, et s’étaient déroulées loin de Bruxelles avec une victoire en Suède puis un impressionnant étalage de ses qualités en Allemagne ponctué d’un but et de deux passes décisives pour le premier enchaînement de matchs sous les ordres de Domenico Tedesco.

Pour retrouver une trace de Kevin De Bruyne sur la pelouse du stade roi Baudouin, il faut encore rebrousser chemin sur la ligne du temps, et s’arrêter le 22 septembre 2022. La Belgique est encore celle d’Eden Hazard et de Roberto Martínez, et reçoit le pays de Galles en Ligue des Nations. Buteur et passeur décisif avant le retour aux vestiaires, De Bruyne signe là ses dernières actions décisives de l’ère Martínez, avant un long mutisme de cinq rencontres englobant la Coupe du monde au Qatar et son unique match préparatoire, disputé au Koweït contre l’Egypte. Ce jour là, «KDB» perd le ballon sur l’ouverture du score égyptienne et erre sur le rectangle vert comme un fantôme. Publiquement, il se plaint de plus en plus ouvertement des saisons à rallonge qu’on impose aux footballeurs, lui qui facture déjà 23 apparitions depuis le coup d’envoi d’une saison débutée moins de quatre mois plus tôt. En privé, il confie que cette Coupe du monde placée en plein cœur du calendrier saisonnier manque de charme et donc d’attrait. La défaite belge contre les Egyptiens est le premier symptôme d’un automne dont le Diable sortira plus malade que jamais depuis une décennie.

«Si on ne fait pas tout ensemble, ça ne va pas aller.»

De Bruyne sur le banc des accusés

Kevin De Bruyne est alors pointé parmi les coupables. Quand les mots volent dans le vestiaire, dans la foulée de la défaite contre le Maroc, le numéro 7 se retrouve au cœur de la cible. Si les tauliers du groupe de Roberto Martínez ne tiennent pas trop rigueur à Eden Hazard pour ses remarques mi-humoristiques, mi-alarmantes sur le manque de vitesse du secteur défensif, ils sont bien plus agacés par «KDB». Interrogé parThe Guardian avant la compétition, le maestro des Diables a miné les chances belges d’exploit: «Aucune chance, on est trop vieux. Nous avons une bonne équipe, mais elle prend de l’âge. On a perdu certains joueurs importants. On a quelques bons nouveaux joueurs qui arrivent, mais ils ne sont pas au niveau de ceux qu’on avait en 2018.»

Tedesco a taillé un costume tactique sur mesure pour mettre le rouquin au centre de son projet de jeu. © Getty Images

Un mois plus tôt avant cette interview qui secoue le vestiaire, Kevin De Bruyne échoue sur la troisième marche du podium du Ballon d’or, dans le sillage de Karim Benzema et Sadio Mané. Dans son entourage, alors que Manchester City aspire une fois de plus à tout gagner (ils concluront d’ailleurs la saison par un triplé historique), on aurait alors conseillé à l’artiste belge de minimiser dans les médias l’importance de la Coupe du monde pour qu’elle ne pèse pas trop lourd sur le bilan individuel de sa saison à venir. S’il finira troisième au classement du «Joueur UEFA de l’année», qui ne prend en compte que les compétitions de club et sacre son coéquipier Erling Haaland (absent du Mondial) devant Lionel Messi, «KDB» échoue au pied du podium du Ballon d’or, très loin de la troisième place d’un Kylian Mbappé qui a principalement brillé sur la scène qatarie.

Alors que la Belgique semble desservir les plans de carrière ambitieux d’un Kevin De Bruyne qui aspire de plus en plus à du repos et du temps passé en famille hors de ses exploits mancuniens, la vague de retraites internationales qui suit le match nul contre la Croatie et l’élimination belge dès la phase de poules fait craindre le pire. De Bruyne aura-t-il encore envie de porter le maillot des Diables, lui qui a traversé l’automne dans le Golfe sans jamais donner l’impression d’avoir envie d’être présent? La question échoue entre les mains de Domenico Tedesco, nouveau sélectionneur appelé à trancher sur le rôle de la star de Manchester City dans le futur de la Belgique.

Le brassard et le costume

La réponse est un brassard. Eden Hazard fraîchement retraité, le coach des Diables annonce que Kevin De Bruyne sera le nouveau capitaine de la sélection, là où d’aucuns l’imaginaient plutôt choisir un Romelu Lukaku très écouté et respecté par la jeune génération. Non content de lui réserver le bout de tissu, Tedesco taille carrément un costume tactique sur mesure pour mettre le rouquin au centre de son projet de jeu. Un passage en 4-3-3 et un rôle de milieu intérieur droit très proche de celui qu’il occupe le plus souvent sous les ordres de Pep Guardiola à Manchester: tout est pensé pour faire de Kevin De Bruyne un homme heureux de porter les couleurs de son pays.

L’opération séduction porte ses fruits. Hors du terrain, le nouveau sélectionneur échange énormément avec son capitaine, qui sera d’ailleurs sondé un an plus tard à l’heure d’évoquer un retour potentiel d’Axel Witsel chez les Diables. Sur le pré, il lui redonne un sourire qui semblait disparu, loin du joueur bougon des matchs de Ligue des Nations et se plaignait ouvertement d’affronter une énième fois le pays de Galles dans le cadre de cette compétition ajoutée par l’UEFA à un calendrier déjà étouffant.

Les promesses du printemps passent pourtant à la trappe quand De Bruyne doit quitter, pour la deuxième fois en trois ans, la finale de la Ligue des Champions bien avant le coup de sifflet final. Blessé contre l’Inter, le patron du jeu des Skyblues accumulera des ennuis de santé durant de longs mois, manquant tout le reste de la campagne qualificative des Diables Rouges vers l’Euro allemand. Même en mars, alors qu’il a retrouvé le chemin des terrains, il est préservé, en accord avec Manchester City, et reste loin de Dublin et de Londres pour les matchs amicaux de la Belgique face à l’Irlande puis l’Angleterre. En coulisses, certains s’interrogent alors sur sa véritable envie de réintégrer ce projet qui, par défaut, finit par se dessiner sans lui. Tedesco, lui, ne doute jamais.

Au Qatar, De Bruyne a essentiellement boudé… © Getty Images

Le coup de fraîcheur

Sur l’ensemble de la saison 2023-2024, Kevin De Bruyne n’aura joué que 26 des 59 matchs au menu des hommes de Pep Guardiola. C’est donc avec une fraîcheur inédite qu’il rejoint Tubize au coup d’envoi du mois de juin pour entamer la route vers l’Euro. Et plus d’appétit que jamais? «La faim a toujours été là. Le jour où je n’aurai plus faim, je ne viendrai plus», nuance le maestro du jeu diabolique en prélude à sa centième apparition sur la scène internationale.

Loin des critiques du Qatar, c’est en véritable capitaine que «KDB» fait face aux médias, distribuant les bons points à la jeune génération, s’identifiant à eux car il se sent «encore parfois comme si j’avais 20 ans», ou rassurant sur une défense que tout le monde a dans le viseur: «La défense m’inquiète plus que l’attaque? Non, car on doit jouer tous ensemble. Ce ne sont pas des groupes distincts. Les joueurs offensifs doivent aider les défensifs. Si on ne fait pas tout ensemble, ça ne va pas aller.»

Même le discours au sujet des ambitions nationales s’est policé. Plutôt que de considérer les Belges comme une équipe de seconde zone, De Bruyne affirme désormais que les Diables, certes, ne font pas partie des favoris, «mais personne ne sera content de jouer contre nous». La communication est positive, les sourires plus nombreux que jamais. Kevin De Bruyne semble avoir changé, peut-être parce que Domenico Tedesco et la retraite d’Eden Hazard l’ont définitivement mis au centre de l’attention nationale.

La Belgique attend que «KDB» soit le héros d’un match de très haut vol, de ceux qui restent dans l’histoire.

Il faudra désormais endosser plus fréquemment sur le terrain ce statut d’homme qui doit faire la différence dans les grands rendez-vous. Parce que s’il avait été brillant contre le Brésil lors du fameux quart de finale de 2018, sa prestation avait été éclipsée par le récital d’Eden Hazard ou les miracles de Thibaut Courtois. Certes, sa deuxième mi-temps contre le Danemark à l’Euro 2021 est une référence de son parcours diabolique, mais c’était «seulement» un match de poule, une blessure le privant du début d’un tournoi qu’il avait dû conclure prématurément suite à un tacle rugueux de João Palhinha en huitième de finale contre le Portugal.

La Belgique attend que «KDB» soit le héros majeur d’un match de très haut vol, de ceux qui restent dans l’histoire de la sélection. L’été allemand lui tend les bras. Le sourire sera toujours pétillant. Le triomphe pourrait même s’affranchir d’un peu de modestie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire