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Comment Memphis Depay est devenu le nouveau Messi(e) du Barça

Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

À 27 ans, Memphis Depay a réalisé son rêve: jouer au FC Barcelone. Mais pour y arriver, il a dû prendre des chemins de traverse, faire face à la critique et vaincre les préjugés.

Chez nous, quand on parle de Memphis Depay, on pense souvent à Zulte Waregem. Lors de l’été 2013, le club flandrien avait affronté le PSV Eindhoven au tour préliminaire de la Ligue des Champions et les deux jeunes ailiers du club néerlandais avaient donné le tournis à ses défenseurs. Leurs noms: Zakaria Bakkali et Memphis Depay. Deux diamants bruts. Des garçons difficiles aux pieds d’or. En 2021, on ne parle pratiquement plus de Bakkali. Depay, par contre, est devenu un des leaders de l’équipe nationale oranje et du Barça.

Memphis célèbre ses buts en se bouchant les oreilles. Il veut dire par là qu’il se fiche de la critique, que rien ne peut l’atteindre.

 » A dream come true », écrivait-il sur son compte Instagram en juin de cette année, au moment d’être présenté à Barcelone. Et pour cause. Petit déjà, il supporte le club blaugrana. Il conserve précieusement le maillot avec le nom de Kluivert inscrit dans le dos. Même s’il n’aura pas l’occasion de rencontrer Lionel Messi – en vacances prolongées avant son transfert à Paris – et même si le FC Barcelone, ruiné, ne peut transférer que des joueurs libres comme lui, l’international néerlandais est fier comme un paon. Il est là où il a toujours rêvé d’être: au Camp Nou.

Traumatisme de jeunesse

Le chemin se révèle sinueux et parsemé d’embûches, mais Depay les dribble avec l’aisance dont il fait preuve sur un terrain de football. Tout petit, il doit faire face aux difficultés. Son père, Dennis Depay, un Ghanéen, quitte rapidement le foyer conjugal, raison pour laquelle Memphis ne porte que son prénom et pas son nom de famille sur son maillot. Sa maman trouve refuge chez le voisin, mais les choses ne s’arrangent guère. Après avoir gagné au loto, celui-ci met Cora Schensema et son fils à la porte. Entre-temps, Memphis doit se faire une place entre quinze (! ) frères et soeurs. Il est agressé physiquement et victime de harcèlement. « Quand on connaît mon parcours et ma vie, il n’est pas si difficile de me comprendre », déclarait-il l’an dernier dans une interview accordée à France Football. « Je ne vais pas changer, je resterai toujours comme je suis et je serai donc toujours incompris. »

À neuf ans, il quitte Moordrecht (où il grandit dans le quartier moluquois dirigé par le terrible gang de motards de Satudarah) pour le Sparta Rotterdam. C’est son amour pour le ballon rond qui le sauve et lui permet de fuir la misère. Trois ans plus tard, le PSV fait tout pour qu’il rejoigne son centre de formation. Erik ten Hag, actuel coach à succès de l’Ajax Amsterdam, est alors l’adjoint de Dick Advocaat. Il investit beaucoup de temps et d’énergie dans le talentueux mais difficile adolescent de Moordrecht. « Il est toujours à la limite », dit Ten Hag à l’époque. « Si on lui donne un doigt, il veut un bras. Ce n’est pas un caractère facile. Il est très sûr de lui et se surestime parfois. S’il peut rester concentré sur le sport de haut niveau, je pense qu’il peut devenir le nouvel Arjen Robben. Mais si on est trop strict avec lui, si on ne lui laisse pas assez de liberté, il réfléchit trop et cesse d’être bon. Memphis est extravagant, créatif. C’est comme un peintre qui suit sa voie et retrouve l’inspiration. » Sa maman ajoute: « Memphis a toujours dit qu’il n’était pas comme les autres. »

En claquant quatorze buts avec la sélection néerlandaise sur l'année 2021, Memphis Depay a établi un nouveau record.
En claquant quatorze buts avec la sélection néerlandaise sur l’année 2021, Memphis Depay a établi un nouveau record.© BELGAIMAGE

Dans les rapports d’évaluation, on le qualifie de rebelle. À quinze ans, il touche même au milieu de la drogue. Le déclic se produit lorsqu’il côtoie Advocaat. En 2012-2013, vu que Dries Mertens casse la baraque, Depay n’obtient que rarement sa chance. Il est impatient et ne le cache pas. Un jour, Advocaat lui met un article du Telegraaf sous le nez. « Ça parlait de l’investissement que Cristiano Ronaldo avait réalisé dans son corps et dans sa carrière. Dans le football de haut niveau, la seule chose qui compte, c’est le rendement, pas les petits trucs. Memphis l’a très bien compris. »

La naissance d’un lion

Depuis ce jour-là, Memphis Depay est fou de CR7. Il s’inspire de son éthique de travail – il s’est entouré d’un diététicien et d’un préparateur physique – et de sa confiance en lui. La différence, c’est que le Portugais est provocateur mais performant, ce qui n’a pas toujours été le cas de Depay. Surtout pas à Manchester United, où il est transféré en 2015 contre 35 millions d’euros, à l’époque un record pour un joueur du championnat des Pays-Bas. Louis van Gaal le veut absolument, mais malgré un départ encourageant, il ne se débarrassera jamais de son rôle de remplaçant. L’arrivée de José Mourinho, en 2016-2017, est synonyme de fin pour le « rebelle » néerlandais. Le Portugais lui préfère en effet Anthony Martial et Marcus Rashford.

À l’époque, Depay se fait démolir par à peu près tous les médias. On le dit trop sûr de lui, il en fait des caisses (grosses voitures, fringues extravagantes, tatouages, bijoux bling-bling), ne se remet pas en question et ne montre rien sur le pré. Il semble parfois accorder plus d’importance à sa marque Depay Clothing et au design de ses écouteurs ou à sa carrière de star du hip hop qu’à ce qu’il se passe sur le terrain. Sur YouTube, on trouve de nombreux clips vidéo de Memphis Depay qui répond aux critiques en rappant. Il se la joue intouchable, mais Jessica Villerius casse cette image. En 2020, alors que Depay se remet d’une grave blessure au ligament croisé, elle réalise un documentaire sur le joueur appelé  » Met beide benen » (Sur deux jambes en VF). « Il est peut-être parfois maladroit et je comprends qu’on le critique, mais c’est tellement facile », dit-elle. « Moi, j’ai rencontré quelqu’un qui fait tout pour ses amis, qui s’intéresse vraiment à eux et qui se donne du mal. Quelqu’un qui a un talent incroyable et qui s’inflige une discipline militaire, qui ne supporte pas l’injustice et la malhonnêteté et qui n’a pas peur de payer de sa personne, comme lors du mouvement Black Lives Matter. Il sait qu’il a un rôle d’exemple, même si je pense que souvent, il se fiche pas mal de ce que les gens pensent de lui. Il est très concentré sur ses objectifs. Au niveau sportif, il ne doute pas de ses capacités et il l’affirme, mais je pense qu’il regrette que les gens le jugent aussi rapidement pour ce qu’il fait en dehors du terrain. »

Memphis justifie son comportement extravagant par la black culture, qui veut qu’on juge la position des gens dans la société par leur voiture et leurs vêtements. Il veut atteindre ses objectifs contre vents et marées, c’est pourquoi il se fait tatouer une énorme tête de lion dans le dos et célèbre ses buts en mettant ses index dans ses oreilles – c’est même le logo de sa ligne de vêtements. Il veut dire par là qu’il se fiche de la critique, que rien ne peut l’atteindre. Dans France Football, il parle de son attitude comme ceci: « L’évolution, ça commence par soi-même. Quand on est mal dans sa peau, il est difficile d’aider les autres. Je pense que nous devons avant tout être reconnaissants de pouvoir nous lever chaque jour: tout le monde ne peut en dire autant. Ensuite, on commence à apprécier sa propre vie et on trouve une sorte de paix intérieure. »

Arrivé à Manchester United pour 35 millions d'euros, Memphis Depay avait battu le record du transfert sortant le plus cher de l'histoire de l'Eredivisie, mais il n'a pas convaincu pour autant.
Arrivé à Manchester United pour 35 millions d’euros, Memphis Depay avait battu le record du transfert sortant le plus cher de l’histoire de l’Eredivisie, mais il n’a pas convaincu pour autant.© BELGAIMAGE

Lyon, la bouée de sauvetage

À Manchester United, avec José Mourinho, il passe plus de temps à la salle de fitness – il a pris huit kilos de muscles – que sur le terrain. Et même si The Special One loue son éthique de travail, il est clair qu’il doit partir pour relancer sa carrière. L’agence SEG, qui défend ses intérêts, fait alors appel à une société spécialisée dans les datas pour trouver le club qui lui conviendrait le mieux. C’est Lyon, en Ligue 1. Memphis laisse donc tomber des propositions du PSG et d’Everton (où Ronald Koeman le veut). Il fait le bon choix. Sous la conduite paternelle de Bruno Génésio, on revoit le vrai Memphis Depay. Celui qu’on surnommait  » fake Neymar » à Manchester joue désormais dans le même championnat que le Brésilien, avec qui il devient même ami.

Depay retrouve également son niveau en équipe nationale. Après avoir raté deux grands tournois consécutifs (l’EURO 2016 et la Coupe du monde 2018), les Pays-Bas ont besoin d’un nouvel élan. Ils font appel à Ronald Koeman, qui fait de Depay le leader de sa ligne d’attaque. Il ne l’aligne plus sur le flanc, mais en faux 9. Un coup de maître, tant pour l’équipe que pour la carrière de Depay. Les Oranje renouent avec la victoire et Depay ne cesse de marquer. Avec 35 buts, il rejoint un attaquant aussi célèbre que Ruud van Nistelrooij. Seuls Robben, Dennis Bergkamp (37 buts chacun), Kluivert (quarante), Klaas-Jan Huntelaar (42) et Robin van Persie (cinquante) font mieux que lui. Depay possède déjà un record: avec les trois buts inscrits récemment face à Gibraltar, il en est à quatorze réalisations en 2021. Jamais un Néerlandais n’avait marqué autant sur une année civile.

Fort de son succès en équipe nationale, il n’est donc pas étonnant que Ronald Koeman ait insisté pour que le Barça le transfère l’été dernier. D’autant qu’il était gratuit puisque son contrat à Lyon prenait fin. Malgré le vide laissé par le départ de Messi, ses premières semaines à Barcelone sont magiques. Le Camp Nou découvre le nouveau Messi(e), et un rappeur de talent. Au cours de ses trois premiers matches, Depay inscrit deux buts et délivre un assist, permettant au Barça new look de prendre sept points sur neuf. La presse espagnole est unanime: « Memphis Depay est la nouvelle idole du Camp Nou », écrit Marca après son but victorieux face à Getafe. « À lui seul, Memphis offre des garanties à une équipe qui joue moins mal que la saison dernière. L’attaquant est le sourire auquel les Catalans s’accrochent », affirme AS, tandis qu’ El Mundo Deportivo écrit: « Il confirme que son arrivée à titre gratuit est un succès. Grâce à lui, les fans du Barça peuvent à nouveau rêver. La saison est encore longue, mais l’impact positif de Memphis ne fait aucun doute. »

Au lieu de « Meeeessi, Meeeessi », on entend désormais « Meeeeemphis, Meeeeemphis » dans les tribunes du Camp Nou. Plus besoin de se mettre les doigts dans les oreilles.

Comment Memphis Depay est devenu le nouveau Messi(e) du Barça
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Memphis Depay et…

… son prénom

« Memphis est une ville d’Égypte mais aussi des États-Unis, dans le Mississippi. J’ai demandé à mes parents pourquoi ils m’avaient appelé comme ça. Ça a un lien avec le parcours effectué par ma famille avant ma naissance. Mes aïeux étaient esclaves à Memphis. Ce prénom est puissant, car ils étaient forts. »

… le leadership

« Je me considère comme un leader à tous points de vue. Avec l’expérience, on apprend à réagir ou à parler, mais souvent, le leadership n’est pas lié à la communication. Il faut parfois se taire et agir. Résoudre les problèmes et être là où on peut aider. »

… le placement

« Je suis quelqu’un qui analyse les choses, notamment l’adversaire. J’essaye de trouver les espaces, de me défaire du marquage de l’autre équipe. C’est une question de feeling. Il faut sentir quand on doit aller dans les espaces et quand il faut rester. Ce n’est pas seulement une question de tactique. C’est pratiquement inexplicable car c’est naturel. »

… la passion

« Je ne peux pas rester sans rien faire. Le football m’a beaucoup apporté, mais je ne joue pas 24 heures sur 24. Je veux découvrir de nouvelles choses chaque jour. Ça fait de moi un homme accompli. J’ai plusieurs passions et du talent pour plusieurs choses donc pourquoi pas? »

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