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Comment le Standard et Anderlecht s’attaquent au marché chinois

Afin de monnayer leurs méthodes de formation, de développer leur marque à l’international, voire de dénicher l’un ou l’autre talent, le Standard et Anderlecht intensifient actuellement les échanges avec la Chine, prête à sortir le chéquier pour s’acheter une crédibilité. Explications.

Le 25 avril dernier, le Standard valide officiellement un partenariat avec la Fédération de football chinoise en devenant son troisième centre d’entraînement en Europe. Pour retrouver trace d’une connexion footballistique sino-liégeoise, il faut remonter à novembre 2013. À l’époque, Sudpresse évoque un possible rachat du club par un fonds d’investissement de Hong-Kong, Speed Media, derrière lequel se cache un groupe pétrolier américain, toujours inconnu à ce jour, et représenté en principauté par un ancien banquier d’affaires, Stéphane Di Maria.

Le Standard va accueillir les différentes catégories d’âge des sélections nationales chinoises.

 » J’ai rencontré cinq ou six fois Roland Duchâtelet « , assure l’intéressé, agent de joueurs de seconde zone et alors décrit comme  » le petit-cousin d’Angel Di Maria « , élément-clé du PSG, malgré des origines palermitaines.  » J’ai laissé les journalistes rêver « , sourit le Verviétois, aussi tête de liste aux prochaines élections fédérales.  » Ce qui a bloqué le rachat, c’est peut-être qu’il y avait un peu trop d’écrans, mais aussi que Roland Duchâtelet était déjà en cheville avec l’actuelle direction.  »

Le projet révèle effectivement une coquille vide, alors épinglée par Marianne Belgique, et se retrouve tué dans l’oeuf par Duchâtelet.  » On fait toujours un check pour voir si tout est crédible. Là, ce n’était pas le cas et ça ne valait pas la peine qu’on aille plus loin « , rembobine l’ex-président rouche. Une histoire courte, mais un beau micmac qui rappelle l’association longtemps faite entre foot chinois et arrangements opaques, quand les terrains du Royaume gardent les traces de l’affaire Zheyun Yé.

Le Standard est appelé à accueillir au Sart Tilman le gratin du football chinois.
Le Standard est appelé à accueillir au Sart Tilman le gratin du football chinois.© BELGAIMAGE

Si ces temps ne paraissent pas nécessairement révolus, l’Empire du Milieu s’implante depuis plusieurs années sur le Vieux Continent pour développer ses facultés balle au pied, avec détermination, et louche sérieusement sur la Belgique, connue pour ses Diables et via sa participation au SV Roulers.

Liège après Prague et Madrid

D’une plaque, vissée sur les murs de l’Académie Robert-Louis Dreyfus, le Standard scelle donc une collaboration avec la fédé chinoise, dans l’air du temps depuis plusieurs mois. Sur les hauteurs du Sart-Tilman, la poignée de mains de fin avril métaphorise un échange de bons procédés.

Après Prague et Madrid, où la Chine du ballon dispose déjà de pieds-à-terre, les prés liégeois accueilleront les différentes catégories d’âge des sélections nationales venues de Pékin. Un contrat à durée indéterminée qui a vu les U18 chinois, encadrés par un staff français, bénéficier du savoir-faire des entraîneurs rouches en matière de coaching, pendant dix jours.

De son côté, le board du RSCL en tire des ressources supplémentaires et compte, pourquoi pas, dénicher l’un ou l’autre talent du cru.  » Les Chinois se sont demandés comment la Belgique, un petit pays de onze millions d’habitants, a pu finir troisième de la dernière Coupe du monde. Ça les intrigue, ça les intéresse, mais on ne les a pas vraiment choisis, ils investissent partout où ils pensent que les choses se déroulent bien « , tente Jean-Michel De Waele, politologue à l’ULB, adepte des relations entre politiques et football, qui décroche avant de prendre un vol pour donner cours en Chine.

Cet hiver, le transfert de Marouane Fellaini au Shandong Luneng, a terminé de mettre en lumière la réussite de la formation de l’Académie RLD et, plus largement, du pays tout entier, suite à une première pierre jetée par Axel Witsel, qui avait rejoint le Tianjin Quanjian pour l’exercice 2017-2018, puis par Yannick Carrasco, au Dalian Yifang depuis l’été 2018.

Effet de mode

En vérité, l’accord du Standard suit la tendance générale et relève presque d’un effet de mode, afin de sauter naturellement dans le train en marche. En Espagne, un grand nombre de clubs professionnels collaborent depuis un moment avec des groupes chinois, à l’instar de l’Atlético Madrid, du Rayo Vallecano ou de l’Espanyol, qui met actuellement en vitrine le joyau de l’Empire, Wu Lei.

En janvier, la Liga, dirigée par l’expansionniste Javier Tebas, a même annoncé un partenariat sur quatre ans avec la Chinese Super League (CSL). En Allemagne, la coopération est allée encore plus loin. En 2017, la version U20 de la Grande Muraille a intégré le quatrième échelon teuton.

Initialement prévue pour seize rencontres, l’entente a été écourtée en raison de manifestations pro-tibétaines en tribunes. Quoi qu’il en soit, la poignée de mains de fin avril ne doit rien au hasard.

En avril 2016, la Fédération chinoise montre les crocs et publie un plan clair. Elle veut compter 50 millions d’adhérents en 2020, un terrain par tranche de 10.000 personnes d’ici 2030 et devenir une référence du ballon rond en 2050, après avoir, si possible, participé, organisé et gagné la Coupe du monde.

De très hautes ambitions qui peinent à se concrétiser, à l’heure où l’équipe nationale – fraîchement larguée par son sélectionneur Fabio Cannavaro après seulement deux rencontres – ne figure qu’à la 74e position du classement FIFA, à égalité avec le Panama, mais qui sont motivées par le Président Xi Jinping en personne.

Agenda politique

 » Derrière tout cela, il y a évidemment un gigantesque agenda politique « , reprend De Waele.  » Aujourd’hui, on ne peut plus imaginer être une grande puissance mondiale sans être une puissance du foot. Pour la Chine, une victoire en Coupe du monde viendrait attester de son hyperpuissance.  »

Raison pour laquelle l’Ambassadeur de Chine en Belgique, Cao Zhongming, a fait l’honneur de sa présence à l’Académie Robert-Louis Dreyfus, fin avril. Son Excellence en vacances, le service presse de l’ambassade prend le relais pour l’expliquer :  » Sa présence prouve notre attitude. Nous sommes très heureux de cette collaboration. La Belgique est un très bon pays de football et la Chine en a beaucoup à apprendre.  »

À ses côtés, à Liège, le bourgmestre de la Cité Ardente, Willy Demeyer (PS).  » C’était très important pour nous d’y être « , assure ce dernier.  » Cela consolide l’image de Liège à l’international, pour son tourisme et pour son économie, par rapport à un pays qui compte. J’avais reçu une délégation, il y a un peu plus d’un an, pour parler de ce projet. Les Chinois accordent beaucoup d’importance à des signes comme ceux-là : avec eux, un partenariat sportif débouche toujours sur autre chose.  » Demeyer se considère justement  » comme faisant partie d’une équipe. La ville joue sa part dans une grande entente collective dont les retombées bénéficieront à chacun.  »

Après une première collaboration établie en Lituanie, les Mauves s’attaquent au marché chinois, plus complexe.

La Principauté entretient depuis plusieurs décennies des relations étroites avec la Chine. En 2015, la Province de Liège réactive les échanges en tous genres et déterre une charte d’amitié signée en 1986 avec son homologue de Fujian, postée sur la côte est-asiatique, face à Taïwan. En parallèle, les connexions sino-liégeoises, via l’aéroport de Bierset, où vient de s’implanter le géant de l’e-commerce Alibaba, convergent avec de solides relations à l’international et les récentes rencontres entre les deux Premiers ministres, Charles Michel et Li Keqiang.

Le Standard est appelé à accueillir au Sart Tilman le gratin du football chinois.
Le Standard est appelé à accueillir au Sart Tilman le gratin du football chinois.© BELGAIMAGE

Export de savoir-faire

 » On ne se rend pas forcément compte de la qualité de notre expertise. Nous avons un véritable savoir-faire dans plusieurs domaines, qui est reconnu et qu’ils n’ont pas « , pose Thomas Reynders, du Bureau des relations extérieures de la Province de Liège, qui répond à la douce abréviation de BREL.

 » Pour ce qui est du football, l’Académie Robert-Louis Dreyfus représente ce qu’ils n’ont pas réussi à faire : sortir des jeunes de talent. Nous avons la chance de pouvoir leur montrer le chemin.  » Une voie ouverte dès septembre par Chris Van Puyvelde, passé de directeur technique de l’Union belge au même poste côté chinois pour professionnaliser l’encadrement local.

Un  » transfert  » qui montre aussi que le moment est venu de capitaliser sur les succès d’une génération dorée. Xavier Chen, ex-Malinois et ancien international taïwanais, actif trois ans au Guizhou Renhe :  » En Chine, il y a maintenant davantage une vision sur le long terme, comparé à mon époque. Cela prouve que les instances ont su se remettre en cause. Côté belge, c’est l’occasion de faire connaître notre savoir-faire au niveau mondial et j’ai l’impression qu’on ne sait pas tellement se vendre à une telle échelle. On pourrait mieux s’exporter.  »

RSCA en Chine

 » Avec Chris Van Puyvelde, on a notre propre ambassadeur sur place « , abonde le directeur général d’Anderlecht Michael Verschueren, qui se montre aussi à l’affût, au cours d’une interview mi-mars.  » Grâce à tout cela, on avance très bien. Maintenant, à nous de choisir quel type de partenariat nous allons mettre en place. Avant toute chose, il faut former des entraîneurs. On peut vendre tout ce qu’on veut, mais ce que je veux vendre c’est une méthodologie pour sortir les meilleurs joueurs de Chine.  »

Dans cette optique, la direction anderlechtoise lance le programme  » Train the trainer « , effectif dès la saison prochaine et qui a pour but de faire voyager le  » Game model  » made in Neerpede. Les sélectionnés, qui doivent au minimum posséder le diplôme UEFA B, suivront un cursus d’un an, à raison d’un module de trois jours par mois, contre la modique somme de 3.000 euros. Le procédé permettra également de recruter de la main d’oeuvre en vue d’une expansion de la marque RSCA.

 » La Chine est vaste donc nous allons avoir besoin de plus de monde. Nous cherchons avant tout à sélectionner ceux qui auront le style et les idées les plus compatibles avec notre philosophie « , précise Aaron Kanwar, le nouveau visage du club à l’international (voir cadre).  » Les meilleurs auront l’opportunité de travailler à Anderlecht.  » Les autres pourraient s’envoler vers les terres de Confucius pour propager la pensée mauve.

Au passage, le Sporting veut se muer en  » consultant  » et compte déjà monnayer des vidéos de sessions d’entraînement, sorte de  » syllabus « , qui a notamment fait ses preuves en Youth League.

Coaching à distance

Un  » coaching à distance « , selon les mots de Verschueren, agrémenté d’un autre accord, celui de collaborer avec des académies étrangères.  » Elles pourront envoyer des jeunes ici, trois ou quatre fois par an. Ces jeunes passeront des tests et, s’ils sont bons, ils pourront rester chez nous. Par la suite, s’il y a plus-value sur un futur transfert, un pourcentage sera reversé à l’académie d’origine « , glisse le DG du Parc Astrid, qui ne se soucie pas d’une éventuelle pénurie de talents en Chine, encore à la recherche de son Messie.

 » À ce que je sache, il y a plus d’un milliard de Chinois dans le monde.  » L’enthousiasme est contagieux et partagé, du moins en façade, par Bruno Venanzi, qui espère ramener l’un ou l’autre crack dans ses valises.  » En rejoignant l’Espanyol en janvier, Wu Lei a ouvert une porte. Si on ne peut pas encore parler de réussite, son premier but en Liga a suscité d’énormes réactions.  »

 » Le seul problème, c’est que les joueurs chinois gagnent beaucoup d’argent chez eux. La plupart n’ont pas envie de se faire violence pour aller en Europe, encore moins en Belgique « , souligne Xavier Chen, dont l’ancien club a été délocalisé à Pékin en 2016. C’est de là qu’est sorti Hao Zhang, arrivé en bord de Meuse lors du dernier mercato d’été.

Le transfert du médian de 20 printemps, qui attend toujours son heure au sein du noyau U21, intervient dans le cadre d’une coopération plus large, axée sur la formation et diligentée par la société Star Union. La même qui avait invité, fin août, les U15 rouches à un tournoi à Shangaï, là où Pierre Locht, directeur de l’Académie Robert-Louis Dreyfus, a signé trois mois plus tard un partenariat avec une école de jeunes du district de Putuo.

Suning Cup

En août 2017, les U17 anderlechtois s’étaient déjà rendus sur le terrain et avaient remporté la Suning Cup, du nom de l’actionnaire majoritaire de l’Inter Milan, un temps pressenti pour reprendre Mouscron. En bref, la toile chinoise se tisse lentement, mais solidement dans le Royaume.

 » J’ai l’impression qu’on se précipite. On ne verra pas de résultats tangibles avant cinq ou dix ans, il faut favoriser une politique du long terme et se montrer patients. Or je ne suis pas sûr que cela soit une des qualités des clubs de football « , tempère Jean-Michel De Waele.

 » Ce qui me frappe, c’est surtout le manque de culture footballistique en Chine. Quand j’y vais, je vois les clubs européens défiler, mais pas les gamins jouer dans les parcs. Or, le foot se joue d’abord dans les rues. Le foot ne peut pas se créer par le haut, parce qu’il est toujours l’émanation du bas.  »

Aaron Kanwar, à droite au côté de Michael Verschueren, doit déblayer le terrain pour les Mauves en Chine.
Aaron Kanwar, à droite au côté de Michael Verschueren, doit déblayer le terrain pour les Mauves en Chine.© BELGAIMAGE

Anderlecht prend son temps

En septembre, un nouveau profil débarque à Neerpede. Aaron Kanwar, Londonien d’origine, Bruxellois d’adoption, prend la tête du secteur international par l’entremise de Michael Verschueren. Passé aussi bien par Nike que par l’ATP et FedEx, le jeune Kanwar a pour objectif principal de développer la marque RSCA à l’étranger. Après une première collaboration établie en Lituanie, les Mauves s’attaquent donc au marché chinois. Pas simple.

 » C’est un marché complexe « , analyse Kanwar, calme.  » Nous prenons notre temps afin de choisir le bon partenariat. Nous savons qu’un mauvais choix peut nous emmener dans une mauvaise relation que nous allons traîner ensuite. Il faut souligner que les négociations prennent du temps parce que nous ne devons pas seulement discuter avec un club ou une fédération, mais aussi avec les autorités locales.

Chaque région possède sa propre fédération, son propre gouvernement et il y a beaucoup de différences entre elles. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’Ambassadeur de Chine en Belgique était présent dans notre stade, pour l’un de nos derniers matches à domicile. On nous répète sans cesse de foncer en Chine, où nous pourrions exploser sur les réseaux sociaux. C’est vrai, certes, on en est conscient, mais il ne faut pas se précipiter.

Le « directeur Asie » du FC Barcelone, dont 40% de la fanbase se trouve sur ce continent, me l’a dit récemment : tout le monde est en Chine mais pour le moment, personne n’y gagne gros, parce que de tels projets coûtent chers. Il faut investir, s’installer durablement et pouvoir envoyer beaucoup de gens sur place. Ceci dit, on ne peut plus ignorer ce marché.

D’autant que c’est plus facile pour nous de nous y implanter, sachant qu’aux États-Unis, nous allons devoir nous battre avec la renommée des franchises NBA, comme les Los Angeles Lakers, ou avec celle de Boca Juniors en Amérique du Sud. En Chine, il n’y a pas ce genre de rivalités et c’est à nous d’y développer notre visibilité.  »

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