Comment le spectre des agents plane toujours sur Mouscron
L’Excel Mouscron vient de rater son examen de fin de saison devant la commission des licences. En cause : des doutes sur l’avenir financier du club et sur l’influence qu’y jouent certains agents. Fin 2018, Sport/Foot Magazine révélait déjà ces liaisons dangereuses dans une enquête.
Sur la tunique destinée aux rencontres à l’extérieur de l’Excel, une nuit étoilée brille sur le fond bleu marine. Un clin d’oeil ? En tout cas, depuis 2015, le club hennuyer cultive son côté lunaire, avec Mouscron au centre d’un système opaque de la galaxie Zahavi- Ramadani. Un an après la reprise du duo israélo-macédonien, via un fonds maltais, le rideau tombe. En avril 2016, la commission des licences refuse l’octroi de cette dernière à ce qui s’appelle encore le » RMP « . Les entités de Louvain, Saint-Trond et Westerlo fustigent alors le Royal Mouscron-Péruwelz pour ses liens avec des agents. Sept joueurs de l’effectif hurlu appartiennent à Lian Sports, agence de management dirigée par Abdilgafar dit » Fali » Ramadani et basée sur l’archipel paradisiaque de Malte, à la même adresse que Latimer, société qui vient de reprendre le matricule 216.
» Le refus ne tient pas de cette raison « , coupe Nils Van Brantegem, le Monsieur licence de la Pro League. » La vraie raison, c’est qu’il y avait un emprunt du club vers l’actionnaire et de l’actionnaire vers l’ancien propriétaire du club. » Deux mois plus tôt, Latimer rachète les parts de Gol Football Malta Ltd (GFML), pour la modique somme de… dix euros, » payables en cash « , selon le document de cession.
Latimer, dont le capital culmine à 1.200 euros, se permet ensuite d’injecter 2,4 millions dans les caisses mouscronnoises. Un montant que Mouscron doit rembourser à Latimer, sur cinq ans, mais qui serait en réalité un prêt de GFML. Derrière ce fonds, Pinhas dit » Pini » Zahavi, dont le fils, Gil, et le neveu, Adar, siègent au conseil d’administration. Ces derniers y côtoient en théorie Marc Rautenberg, présenté comme » un indépendant « , simple » consultant financier « .
Rautenberg n’est autre que l’associé de Fali Ramadani chez Lian Sports. En janvier de la même année, le Suisse négocie le transfert du Serbe Luka Jovic à Benfica, avec le président lisboète et son partenaire macédonien. Preuve qu’il poursuit ses activités d’intermédiaire, ce qui est formellement interdit.
Sauf que, comme le révèle Sport/Foot Magazine à l’époque, le directoire mouscronnois aurait antidaté le procès-verbal d’une assemblée générale extraordinaire pour authentifier le départ de Rautenberg. Le PV, daté du 27 février, est seulement déposé au Tribunal de Tournai le 1er avril suivant, soit trois jours avant la défense devant la commission d’Edward Van Daele.
» C’est n’importe quoi « , réfute l’ex-Président. » Quand on a vu que la réglementation changeait, on a évolué et on a adapté nos structures pour qu’il n’y ait plus d’agents dans le club. » Maître Van Daele le concède quand même, » il y a eu des liens, on ne peut pas le nier « .
Début mai 2016, la Cour Belge d’Arbitrage pour le Sport (CBAS) réforme malgré tout la décision de la commission et accorde la licence à Mouscron. Dans son compte rendu, la CBAS ne trouve rien à redire sur » le simple fait que la composition du conseil d’administration de Mouscron n’ait pas été modifiée après la cession des actions « , d’autant que Ramadani et Zahavi » n’étaient pas membres de ce conseil d’administration avant la cession « . Van Brantegem abonde : » Jusqu’aujourd’hui, personne n’a réussi à démontrer que le club est aux mains d’agents. Ni les clubs plaignants, ni nous, à la Pro League. »
TRIANGULATION À LIMASSOL
Ce n’est pourtant pas une découverte. Dès la reprise, fin juin 2015, Marc Rautenberg, Johannes Diederich, Gil et Adar Zahavi s’assoient au CA aux côtés des régionaux de l’étape, Edward Van Daele, Michel Franceus et Yves Dekegeleer. Gil Zahavi effectue parfois les trajets jusqu’au Canonnier, depuis l’Université d’Oxford, où il enseigne l’hébreu moderne.
Une profession qui pose question concernant ses qualités de dirigeant de club de football, mais pas d’homme de paille à la botte de son père. Pini, le géniteur, se montre une fois, casquette vissée sur sa moue de septuagénaire. Ce soir-là, le 16 octobre 2015, les visiteurs gantois l’emportent (1-2). Son ami Fali se découvre plutôt du côté d’Anderlecht, où ses poulains Luka Milivojevic, Filip Djuricic ou Lazar Markovic évoluent tour à tour.
Sinon, ils se font rares. » Je ne les ai jamais vus « , rembobine Hans Galjé, le coach des gardiens hurlus, de 2015 à 2016. » De temps en temps, après un match, j’ai entendu dire : Ils sont là. » » Je crois que je ne saurais pas mettre un visage sur leurs noms « , converge Frank Defays, engagé en février, remercié fin août.
Normal, les deux agents, qui figurent parmi les plus influents de la planète, préfèrent commanditer en sous-marin. Dès janvier 2015, le Camerounais Teni Yerima, un proche de Zahavi au pedigree controversé, et le Français Jean-Luc Gripond, ancien patron du FC Nantes, amènent un projet de reprise tout droit sorti du Sultanat d’Oman. Le rachat ne se concrétise pas pour des raisons obscures. Six mois plus tard, on retrouve le même duo d’entremetteurs à la baguette.
La holding Gol Football Malta Limited pose 2,4 millions d’euros sur la table, avec la promesse d’investir six millions de plus sur trois ans, contre les 90 % appartenant au LOSC. GFML est une sorte de succursale de Gol International, agence de management de Pini Zahavi, installée à Gibraltar, autre paradis fiscal.
» Je préférais de loin le projet de Lille à ceux qui ont suivi. Au moins, ce partenariat avait du sens « , confie Van Daele, parmi les actionnaires » historiques » qui détiennent les 10 % restants. Il y a longtemps que l’avocat a laissé derrière lui le doux rêve d’investisseurs locaux majoritaires. » On a dit que j’avais vendu mon âme au diable, mais c’était ça ou ne plus avoir de club à Mouscron. »
D’entrée, le refrain claque. Les finances seront meilleures, le Futurosport renforcé et l’ancrage mouscronnois. La présence de Zahavi se fredonne ouvertement. Celle de Ramadani tarde un peu. Les deux businessmen se rencontrent à Londres à la fin des années 10, mis en relation par un ex-ambassadeur de l’Albanie, ami de Ramadani, désireux d’étendre son Empire aux Îles.
Dans le Hainaut, ils viennent d’abord contourner la Third Party Ownership (abrégée en TPO : le fait pour un club de céder une partie de ses droits économiques sur un joueur à un ou plusieurs fonds privés, ndlr), fraîchement interdite en mai 2015, pour contrôler directement un club peu soumis à la pression populaire. Ils placent ainsi le RMP dans une triangulation dont le coeur se trouve à Chypre, à l’Apollon Limassol, où des joueurs signent sans jamais y mettre un pied, d’après les révélations de Football Leaks. La Belgique offre d’autant plus un championnat visible, des droits TV intéressants et une régulation légère, soit l’environnement adéquat.
LE SALAIRE DE PAÏVA
Contacté, Pini Zahavi assure ne pas être » la bonne personne à qui s’adresser concernant ce sujet « , avant d’ajouter un » plus maintenant » qui veut tout dire. » C’était il y a très longtemps « , conclut-il, bref. Début août 2015, Teni Yerima, installé au poste de directeur sportif, prend le relais de la communication. » On n’est que de passage, mais on veut que ce passage s’écrive en lettres d’or « , lance celui qui ne se dit plus agent » depuis deux ans « , mais qui se targue d’avoir » grandi sous les baobabs « .
Un mois et demi après son arrivée, Yerima prend la porte. » Il y avait une trop grande différence entre ses paroles et ses actes « , justifie Van Daele à l’époque. Aujourd’hui, il évoque » quelqu’un de peu fiable « . Peu importe, le carrousel doit tourner.
Le duo Humberto Païva-Jurica Selak le remplace. Le premier, un trentenaire brésilien, autre proche de Zahavi, jouit déjà d’un joli CV. S’il travaille un temps pour les Corinthians au Brésil ou à Reading en Angleterre, il s’occupe également de deals aux noms ronflants tels que Lucas Moura, Philippe Coutinho ou Neymar.
À Mouscron, il se charge de » l’international « . En coulisses, on raconte que son salaire serait payé par Zahavi himself, via Gol International. Ce que n’infirme pas, en substance, le compte rendu du CBAS de mai 2016, qui précise qu’il » aurait abandonné son agrément d’agent auprès de la fédération brésilienne de football » : » Il semble qu'[Humberto Païva] n’est pas salarié du club même s’il est envisagé qu’il le devienne à l’avenir « . Au passage, la CBAS ne considère pas que son poste de » directeur sportif » ait une » influence notable » sur le RMP.
Le même PV fait état d’une lettre adressée le 17 août 2015 par » Yuri » Selak à la Fédération, signifiant qu’il rend aussi sa licence de manager. S’il nie l’apport financier de Pini Zahavi, Selak, que nous n’avons pas réussi à joindre, cite les exemples du Standard de Lucien D’Onofrio et du Genk de Dirk Degraen. Que des agents de formation.
» Nous ne sommes donc pas les seuls « , déclare le Belgo-Croate, en janvier 2016, dans nos colonnes. » Pour survivre en D1, il faut acheter bon marché ou zéro des joueurs qui ne sont pas connus et les revendre à bon prix. Qui est bien placé pour faire ça ? Les agents, évidemment. » Quelques mois plus tard, ses querelles intestines avec Glen De Boeck jettent un froid sur le Canonnier. De Boeck lui demande des recrues, Selak se fâche, mécontent qu’il n’aligne pas son fils, Martin, aujourd’hui dans la réserve du Dinamo Zagreb.
À la fin de l’exercice 2016-2017, dans la foulée du sauvetage à Courtrai, la doublette de directeurs sportifs n’est pas reconduite. Païva, qui file conseiller le PSG avec son mentor, s’y » attendait « . Selak n’aurait pas continué, » de toute façon « , selon ses mots dans La Dernière Heure. De Boeck, lui, nage presque comme un poisson dans l’eau, nouant avec Zahavi et Ramadani » un contact très étroit et chaleureux. Je me suis rendu compte que ces gens s’intéressaient très fort au sort de ce club familial. »
Il les rencontre, à Londres, pour un » entretien constructif « , glisse-t-il à Het Laatste Nieuws. Ils parlent surtout prolongation. Cedomir Janevski reçoit également un SMS de la part d’Humberto Païva et Pini Zahavi, qui le félicitent pour sa participation à la mission maintien.
LES VIEUX AMIS RÖBER ET RAMADANI
Pour remplacer le duo Selak-Païva, plusieurs noms circulent. Deux en particulier. Mbo Mpenza d’un côté, jugé trop tendre ; Pedro Pereira de l’autre, le dirigeant officiel de Lian Sports pour Forbes, qui classe l’agence 12e dans sa catégorie, sur l’année 2018. Finalement, l’Excel accueille l’Allemand Jürgen Röber, ancien joueur et entraîneur d’envergure.
En janvier dernier, Pereira est présent au stage espagnol de Cadix, où il » conseille « , dit-on, Röber et Mircea Rednic. Röber, adepte des pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle, revient de loin. D’Osmanlispor, plus exactement, d’où il sort d’une expérience au même poste plutôt fructueuse.
Au sujet des fameux » actionnaires « , il rétorque, du tac au tac. » Personne ne peut me mettre la pression. Je suis trop vieux pour avoir la pression « , rigole-t-il, à l’aise, en octobre 2017. En fait, Jürgen Röber sait très bien où il vient de débarquer. Lors de notre rencontre, il confesse que des connaissances lui ont proposé le job. Il s’agit en vérité de Fali Ramadani.
À la fin des années 90, Ramadani est encore restaurateur. Il tient notamment Il Gallo d’Oro, à Berlin. La plupart des têtes pensantes des clubs de la capitale teutonnes s’y retrouvent, dont Jürgen Röber. Des liens se tissent et Röber, bien installé en Allemagne, lui permet » d’entrer dans le Milieu « . Ramadani rend la monnaie et lui ouvre les portes du Partizan Belgrade, en 2005.
Cette même année, les deux hommes se retrouvent dans une affaire de blanchiment d’argent en Albanie. Damir Fazlic, citoyen bosnien, objet d’enquêtes dans différents pays des Balkans, profite du retour au pouvoir de son ami Sali Berisha, ex-Président, néo-Premier Ministre, pour créer plusieurs sociétés. Elles ne payent ni taxes, ni impôts et n’exercent pas d’activité repérable au pays des aigles.
Parmi ces dernières, Virtu Acquisition, revendue à 55 % par Fazlic à Jürgen Röber et Fali Ramadani. Le désormais agent macédonien acquiert également la moitié des parts de SRF Developments, postée à la même adresse, à Tirana, comme stipulé dans des documents récupérés par Balkan Insight (BIRN).
Trois ans plus tard, l’arrestation de Fazlic dans un café de Sarajevo n’aboutit pas à son inculpation mais braque les projecteurs sur ses liens avec les hautes sphères. Le sulfureux homme d’affaires, capable de poster sur Twitter un selfie avec Donald Trump suite à une partie de golf, se veut d’abord proche de Rauf Ramadani, le grand frère de Fali.
Cette famille de la communauté albanaise prend racine à Tetovo, au nord-ouest de la Macédoine, à 40 kilomètres de Skopje. Là, en 2003, Fali tente de financer un projet immobilier illégal. Pour ce faire, il participe à une vaste opération de prêts frauduleux organisée avec la bénédiction d’une banque allemande située à proximité d’Hambourg.
Ramadani aurait récupéré un million d’euros et également servi de prête-nom aux frères Osmani, originaires du Kosovo, véritables représentants du crime en col blanc. Jürgen Röber aurait été lié au projet illégal de Skopje, d’après le quotidien sportif roumain, Gazeta Sporturilor. Il n’a pas répondu à nos sollicitations.
UNE PLACE POUR LES » FILS DE »
L’Excel est » un club où on se rend service « , souffle-t-on. Logiquement, fin août, quand il s’agit de trouver un remplaçant à Frank Defays au poste de T1, c’est le fidèle assistant de Röber, Bernd Storck, qui pose ses valises dans la cité des Hurlus. » C’est une plate-forme où les gestionnaires du club ont la possibilité de placer deux ou trois joueurs potables par an « , explique un agent.
» C’est très simple : en échange d’un potentiel » gros » joueur, appartenant à un agent partenaire et qui pourrait devenir très bon dans le futur, ils placent l’un ou l’autre » petit » joueur de ce même agent partenaire. C’est un échange de bons procédés. » En clair, on partage le gâteau, en espérant qu’un jour, l’un de ces agents se montre reconnaissant sur le deal de l’une de ses pépites. À Mouscron, leur temps de jeu n’importe finalement qu’assez peu ( voir cadre).
Le rachat des fameux 90 % par Pairoj Piempongsant, annoncé en mars, ne change pas sensiblement la donne. Cet homme à tout faire, tour à tour courtier, sélectionneur ou diplomate – fonction qui lui permet de rencontrer Bill Clinton -, reste un collaborateur de Pini Zahavi. Ensemble, ils travaillent à la reprise de Porstmouth ou Manchester City, en 2008, via Bogo Ltd, la holding derrière l’Excel actuel.
Piempongsant joue également l’entremetteur dans les ventes de Reading, où l’on croise Humberto Païva, et de Sheffield Wednesday, à qui Zahavi prête directement de l’argent sorti de la poche de Gol International et où Phubate Piempongsant, le fils actuellement au CA du REM, fut directeur du recrutement à l’international. Basé à Londres, le Thaïlandais dirige Carabao, l’entreprise de boisson énergétique qui sponsorise, entre autres, Chelsea, l’une des nombreuses » maisons » de Zahavi.
Paul Allaerts, ex-arbitre devenu directeur général à Mouscron en juin 2016, le certifie pourtant : » À mon arrivée, il n’y avait plus d’agent dans le club « . La simple présence dans le conseil d’administration, jusqu’en avril dernier, de Johannes Diederich, confirme le contraire. » Il était dans le club mais il n’avait pas de liens avec des agents « , poursuit Allaerts, sur la défensive, visiblement » pas au courant « , au même titre que son Président Patrick Declerck, que Diederich, qui répresente d’abord GFML puis Latimer, est également membre de la société de management Soccertalk.
Si Pini Zahavi garde du recul, Abdilgafar Ramadani conserve plusieurs joueurs dans le noyau mouscronnois, dont Rijad Sadiku, arrivé en janvier, blessé depuis.
En juillet, Aleksa Damjanac signe à son tour. Son père ? Nikola, ancien gardien de but du Partizan, bras droit de Fali Ramadani chez Lian Sports, avec qui il gère notamment les transferts des frères Markovic, Lazar et Filip. Sauf que le 29 octobre dernier, l’Excel résilie le contrat du jeune Damjanac, ainsi que celui de Luka Lukovic, quatre mois après leur entrée au Canonnier.
Quant à Pairoj Piempongsant, concentré sur le Panathinaïkos, il veut déjà vendre. La moitié, voire la majorité de ses parts. En interne, on évoque la piste sud-américaine, qui pourrait prendre sa source en Colombie ou au Panama. Patrick Declerck attend de voir. Mais la figure de l’entrepreneuriat local prévient : » Je veillerai toujours à garder l’intégrité de ce club. «
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