Comment Brighton est devenu la bonne surprise de la Premier League
Un football brillant, une évolution linéaire et des coaches révolutionnaires: Brighton a tout du nouveau club à suivre en Angleterre.
Lorsqu’on parle de la Premier League, le maillot rayé bleu et blanc de Brighton & Hove Albion ne fait sans doute pas partie des vareuses les plus légendaires qui ont pu fouler les pelouses de la compétition. Et pour cause, malgré quelques petits passages en première classe durant les années 80, les mouettes ont plutôt déployé leurs ailes dans les divisions inférieures, n’arrivant dans l’élite anglaise qu’à l’aube de la saison 2017-2018.
Cette année-là, les joueurs de Chris Hughton sont auteurs d’une dernière ligne droite de feu avec un 24 sur 27 qui leur offre le second ticket d’or de Championship, synonyme de promotion dans la juteuse Premier League. Cette montée est le symbole du travail incroyable accompli dans un club à la gestion optimale depuis le rachat en 2009 par un certain Tony Bloom, nom familier en Belgique depuis sa success-story avec l’Union Saint-Gilloise.
L’arrivée de Graham Potter
L’arrivée en première division nécessite évidemment tout de suite de nouveaux investissements. Le club côtier s’aligne rapidement aux standards financiers de la Premier League en sortant le chéquier pour consolider les ailes de la mouette, parfois trop tendre pour le ciel du High Level. Les deux premières saisons dans l’élite traduites par deux maintiens consécutifs sont alors considérées comme concluantes sous les bons ordres du coach Hughton.
Après avoir stabilisé le navire dans l’élite, le club côtier démarre une nouvelle ère durant l’été 2019 avec l’arrivée sur le banc de Graham Potter, jeune entraineur anglais au profil plutôt atypique. Diplômé en sciences sociales, Potter prend les rênes d’Östersunds, un petit club suédois de quatrième division, qu’il va finalement amener dans l’élite et même en seizième de finale d’Europa League en moins de six ans et demi. Impressionnés par son abnégation et son football novateur, les dirigeants de Brighton décident de faire confiance au coach anglais, dont le passage à Swansea l’année précédente fut très satisfaisant.
Dès son arrivée, l’équipe se structure sur des principes de jeu offensifs qui constituent l’une des bases du jeu actuel des Seagulls. Après deux nouvelles saisons fructifiées par le maintien, la neuvième place acquise au terme de la saison dernière entre dans l’histoire du club comme étant la meilleure performance au classement pour cette cité balnéaire au sud-est de la Grande-Bretagne. Un classement record qui a commencé à attirer l’oeil sur Brighton et sur son coach, Potter, qui met énormément l’accent sur les relations humaines au profit des performances sportives.
Sa gestion d’un groupe intrigue en Angleterre, tant elle casse les codes et est finalement couronnée de succès. Il n’est par exemple pas rare que Potter propose à ses joueurs d’aller se vider la tête en organisant des activités culturelles comme aller au théâtre, écrire un livre ensemble ou encore aller interpréter le célèbre ballet Le Lac des Cygnes.
Le meilleur classement de Brighton
Sur le terrain, l’équipe de Brighton parait bien rodée. Les idées de jeu du coach anglais sont parfaitement récitées sur le terrain par les joueurs disposés la plupart du temps en 3-4-3. Le plan est basé sur une défense assidue permettant un jeu offensif débridé. Potter garde généralement son équipe-type, sans être un grand friand des rotations. Le tacticien anglais apprécie les défenseurs habiles avec le ballon, ceux qui n’hésitent pas à prendre des mètres et tentent de casser des lignes avec une passe verticale vers les joueurs offensifs. Ses gardiens, Matthew Ryan puis Robert Sanchez, doivent pouvoir compter sur un jeu au pied performant pour accompagner l’équipe dans ses sorties de balles.
Les deux pistons sont également des positions cruciales dans le jeu de Potter où les dédoublements et les appels de balle sur la ligne sont indispensables pour créer des zones de supériorité numérique voulues par le coach. Ces rôles requièrent évidemment des capacités physiques extraordinaires. Un jeu de combinaisons facturant la dernière saison entière de Graham Potter à Brighton à la neuvième place avec 51 points, soit seulement cinq de moins que le premier qualifié pour l’Europe.
Au-delà des résultats, le développement de certains joueurs est impressionnant et rapporte vite quelques millions aux Seagulls, pour le plus grand bonheur de la trésorerie. Ainsi, Leandro Trossard, Yves Bissouma, Ben White ou Marc Cucurella cèdent aux chants des sirènes les plus mélodieuses de Premier League et rapportent respectivement 25, 30, 58 et 65 millions à Brighton. De belles plus-values qui placent désormais le club bleu et blanc parmi les plus sains financièrement de la compétition.
La continuité par De Zerbi
La progression de l’équipe ne s’arrête pas au terme de la défunte saison. Malgré la vente de nombreux éléments clés durant la traditionnelle trêve estivale, les Seagulls maintiennent leur niveau de forme avec un recrutement ciblé sans réelle folie, où seul Pervis Estupinan fait figure de titulaire régulier. Les autres recrues sont plutôt des paris d’avenir dont certains sont prêtées pour accumuler du temps de jeu ailleurs, à l’image de Simon Adingra à l’Union, pour marcher sur les traces de Kaoru Mitoma.
Le début de saison en trombe place les Seagulls au pied du podium, ce qui va pousser Chelsea et son nouveau richissime propriétaire à débaucher l’entraineur au football progressiste et aux méthodes que l’on dit novatrices. La hype s’éloigne donc légèrement du South East pour s’installer désormais à Londres, où les bookmakers sont impatients de voir à l’œuvre le coach Potter à la tête du grand club du nord de Londres, lui qui fut surnommé à l’occasion d’une émission « The magician of the poor”. Tout est relatif.
A la recherche d’un nouveau coach, les dirigeants vont rapidement mettre le grappin sur Roberto De Zerbi, coach italien orphelin depuis la fin prématurée de son aventure au Shakhtar Donetsk, avec l’arrivée du conflit russo-ukrainien. Nouvelle preuve d’une bonne gestion de club, De Zerbi est connu pour pratiquer un football total, entre conservation du ballon et contre-pressing intensif, le genre de football offensif aux antipodes des UK Standards mais qui donne un feu vert à la transition des idées de jeu de Graham Potter.
Considéré comme sans égal, De Zerbi ne fait pas comme les autres, il est unique. Très influencé par le Tiki-Taka du Barça de Guardiola, l’Italien déclare même à Bobo TV : “Pour moi, dégager la balle devant et essayer de gagner le deuxième ballon, c’est l’équivalent d’un pari. Et comme je n’aime pas parier, je préfère entrainer une équipe à sortir prudemment le ballon depuis la défense”, une manière de rapidement annoncer la couleur.
Dans les faits, De Zerbi est tout aussi psychologue que son prédécesseur. L’anticipation des ressentis de ses joueurs est essentiel pour lui, tout en restant très intéressé par ce qu’il se passe sur le rectangle vert. Et pas que sur celui du Falmer Stadium. Il n’hésite pas à demander régulièrement à ses joueurs s’ils ont suivi tel ou tel match en prenant leur ressenti sur la tactique ou l’ADN footballistique de l’équipe en question. Une manière de concerner ses joueurs pour ce personnage entier, pour qui griller une cigarette en interview n’est pas un problème. Repousser des séances d’entrainement ou des interviews dix minutes avant non plus. Mais lorsqu’il est sur le terrain, De Zerbi est très méticuleux. Le contraste peut être saisissant lorsqu’on sait qu’il peut faire recommencer tout un exercice si la passe n’est pas donnée au millimètre près.
Le bordel organisé de Brighton
Un souci du détail cher à l’école italienne. Mais à côté des circuits préférentiels désirés par le technicien transalpin, De Zerbi laisse aussi à ses joueurs une grande liberté de création pour convertir leurs séquences de possession de balle. Une liberté de décision plus présente que lors de l’ère Graham Potter qui tranche parfois avec la grande discipline tactique que demande le système De Zerbi.
L’obéissance au schéma de jeu combiné à un désordre monstre offensivement qui crée de nombreuses brèches où le système en 4-2-3-1 peut parfois rappeler le “chaos organisé” développé chez nous, dans les laboratoires Achter de Kazern puis transféré à la Cegeka Arena de Genk, par notre Wouter Vrancken national.
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La philosophie de jeu du coach transalpin est plus poliment surnommée le “De Zerbi Ball” par nos amis anglo-saxons, comparée au “Sarri Ball” de l’époque Maurizio Sarri à Chelsea, non pas pour l’amour porté à la cigarette par les deux tacticiens italiens mais plutôt pour le football chatoyant proposé par leurs équipes. Un jeu de passes mécaniques construit de l’arrière qui force évidemment la comparaison notamment dans la Botte où la culture de la gagne ne laisse que très peu de place aux courants de jeu très moderne où le jugement est souvent rattrapé par les tableaux de résultats.
À l’instar de Sarri, qui a dû s’exiler outre-Manche pour pouvoir s’installer sur le banc de touche d’une grosse locomotive italienne, De Zerbi n’a jamais réellement été courtisé par un top club de Série A après son excellent travail à Sassuolo. Déçu, il a ainsi transposé en Ukraine puis en Angleterre les bases d’un jeu divertissant qui a cassé les codes de l’historique Catenaccio.
Pour De Zerbi, la clé de la réussite est le plaisir : le football est un jeu et pour faire des résultats, il faut s’amuser, toucher le ballon et repousser les limites des joueurs sans que cela sonne comme une corvée. De Sassuolo à Brighton, la disposition des pions de son échiquier se place de manière similaire : chaque joueur doit former des triangles avec ses compères pour être utilisé en sortie de balle, toujours au sol. La relance propre, du gardien à l’attaquant, est l’un des points principaux pour l’Italien qui aime passer ses soirées à dessiner les meilleurs schémas pour mettre les joueurs capables de faire la différence dans les meilleures conditions possibles.
Le bordel organisé se trouve ici, où les joueurs d’instinct comme Kaoru Mitoma et ses 35 % de dribbles totaux de l’équipe ou Julio Enciso sont laissés en totale liberté dans le dernier tiers du terrain, après une ressortie de balle propre, laissant le talent faire le reste. Une prise de risques encouragée qui s’estompe lorsqu’on recule sur le terrain.
Les chiffres de Brighton font chavirer l’Angleterre
Dans les chiffres, De Zerbi a clairement posé sa patte sur Brighton. Avec 60,9% de possession de balle par match, les Seagulls se classent deuxièmes dans un classement dominé par le City de Guardiola avec 65,3%. Le match aller contre les SkyBlues a d’ailleurs impressionné l’Angleterre. Malgré la défaite à l’Etihad Stadium, pour la première fois depuis longtemps, Brighton a contraint City à devoir faire l’impasse sur la possession. Une réelle performance qui avait poussé Guardiola à déclarer après le match : “Roberto change des choses en Angleterre. Il joue un football merveilleux”, des éloges à son adversaire souvent présentes dans la bouche du Catalan qui sonnent néanmoins cette fois comme très sincères.
Également deuxièmes dans les datas de passes réussies, les Seagulls sont la quatrième meilleure attaque du championnat en étant l’équipe qui frappe le plus par matches en Premier League. Un jeu offensif qui laisse tout de même des traces défensivement. Malgré le fait que Brighton soit la quatrième équipe qui subit le moins de frappes par matches, les Seagulls ne sont que la neuvième défense de l’élite. Le bloc haut entraine quelques fois de la naïveté défensive comme lors de la défaite surprise 1-5 face à Everton, qui a parfaitement fermé le jeu et qui a pris à défaut l’équipe de De Zerbi grâce à des contres éclairs, bien aidé par les absences défensives de certains joueurs des Seagulls.
Dans l’autre sens, après avoir perdu quelques plumes, la dernière victoire des Mouettes à l’Emirates Stadium est un modèle de réaction. Plus de possession, plus de passes et de tirs cadrés, les Seagulls ont littéralement gifflé Arsenal 0-3 en leur infligeant leur plus grosse défaite à domicile cette saison, alors que les Gunners menaient la course en tête durant presque tout l’exercice 2022 – 2023. Un plan tactique minutieusement préparé par RDZ où le meneur de jeu Martin Odegaard fut suivi durant l’intégralité du match pour lui empêcher d’orchestrer la partition de l’équipe de Mikel Arteta.
Un sacré coup qui a vite étiqueté la déroute face à Everton comme un simple accident de parcours, surtout quand on voit dans le rétroviseur qu’en plus d’Arsenal, Brighton s’est déjà payé le scalp de Liverpool, Chelsea ou United, ce qui place le club du sud de l’Angleterre dans les places qualificatives pour l’Europa League avec leur sixième place.
Loin des coups de poker et des jeux de hasard qui ont construit la fortune de son patron Tony Bloom, Brighton continue son perpétuel développement. Modèle de gestion et de fonctionnement d’un club de football, les Seagulls espèrent désormais transmettre leur histoire aux générations futures. Une histoire qui sera marquée par le classement de cette saison, où Brighton est désormais sûr de faire mieux que la récente neuvième place. L’occasion de voir une fois voler une mouette parmi les aigles.
Par Robin Maroutaëff
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