Comment bien recruter quand on est fauché: le dilemme de la Pro League pour le mercato de janvier
En difficulté financière, les clubs belges doivent pourtant presque tous recruter en janvier. Promenade sur les pistes les plus fréquentées du mercato des bonnes affaires.
A tous les étages du classement, la course fait rage. Ça se bouscule dans les volées d’escalier pour atteindre les deux paliers les plus convoités du début d’année. Tout près du grenier, les gros bras jouent des coudes pour s’inviter dans le précieux Top 6, synonyme de participation aux «Champions Play-offs». Un étage plus bas, s’ils sont nombreux à tenter de se rassembler sur le palier des «Europe Play-offs», c’est surtout parce que tous veulent quitter la périlleuse cave des «Relegation Play-offs», qui condamne deux de ses quatre participants à une descente en deuxième division et oblige un troisième à se confronter au hasard d’une double confrontation contre le troisième de D2. C’est cette période de la saison où, encore plus souvent que de coutume, les analystes diront que «tout va se jouer sur des détails».
En 34 jours, tous ceux du mois de janvier et les trois premiers de février, le mercato d’hiver est un détail plutôt colossal. L’opportunité pour chaque club de se renforcer à l’aube de ce musculeux sprint final, même si le championnat reprend déjà son cours en parallèle de l’ouverture du grand marché hivernal. L’heure de dénicher des opportunités, en jetant un œil prudent à l’état de ses finances. Car entre des dépenses toujours à la hausse, notamment dans la surenchère salariale permanente pour attirer de jeunes talents, et des revenus qui diminuent à l’image d’un contrat de droits télévisés en pleines négociations mais qui s’annonce déjà moins gourmand pour les clubs professionnels, le temps n’est pas aux dépenses irréfléchies.
Tout l’exercice d’équilibriste consiste à se blinder financièrement sans trop se déforcer sportivement.
Partout, ou presque, on parle d’ailleurs de vendre plutôt que d’acheter. Il n’y a que le Club Bruges qui signifie à tous ceux qui frappent à sa porte que personne ne part cet hiver, même si une offre exceptionnelle ou un joueur aux envies d’ailleurs pourraient faire déroger à la règle. Ailleurs, janvier est une opportunité d’équilibrer le bilan comptable pour éviter que le rouge soit trop prononcé lors de sa conclusion au soir du 30 juin. Puisque vendre avant le début du mois de juillet est presque impossible, le premier mois de l’année sert alors de séance de rattrapage. Tout l’exercice d’équilibriste consiste à se blinder financièrement sans trop se déforcer sportivement. Pour ça, il faut vendre à bon prix et acheter pas cher, voire gratuit. Un défi qui n’est pas à la portée de toutes les directions sportives.
Le prêt, facile mais aléatoire
La formule la plus classique des clubs fauchés passe par la case des prêts. D’un joueur excédentaire dans un club plus huppé, car devenu trop léger pour se mesurer aux poids lourds de son effectif ou parce qu’il n’entre pas dans les plans d’un nouvel entraîneur. Ceux-là sont faciles à détecter, leur agent informe souvent tout un tas de dirigeants que leur client est sur le marché. Parfois, c’est carrément le club lui-même qui informe que son joueur est à disposition des candidats, sur des plateformes comme TransferRoom. L’objectif est généralement de le vendre, mais l’opération est difficile et le prêt sonne comme un bon compromis.
Pour que l’opération soit une réussite, il faudra toutefois prendre en compte deux paramètres essentiels: le rythme du joueur et sa motivation.
Si un club désire envoyer un joueur ailleurs, c’est inévitablement parce qu’il ne joue pas chez lui. Lors du mercato d’hiver, marché des prêts par excellence, le recruteur doit alors s’assurer que son joueur temporaire est en ordre physiquement, histoire d’apporter une plus-value sur le terrain et surtout de pouvoir le faire sans risquer une blessure précoce qui amputerait déjà une bonne partie des trois ou quatre mois qu’il est amené à passer dans son point de chute provisoire. Il y a bien sûr les traditionnels tests physiques, faits lors de la transaction, mais ceux-ci sont parfois bâclés, faute de temps suffisant jusqu’à la fin de la fenêtre de transferts ou grâce à un agent persuasif, conscient que son joueur ne pourra pas les réussir. Parce que si le prêt minimise les risques de fiasco financier, il augmente aussi probablement ceux d’échec sportif.
Sans doute, également, parce que le risque que le joueur manque de motivation pour ce challenge temporaire est plus important. Rares sont ceux qui partent en prêt avec une réelle possibilité de convaincre leur club de recevoir une nouvelle chance à leur retour, à l’exception des jeunes talents partis pour s’aguerrir. L’idéal, pour le club acquéreur, est alors de glisser une option d’achat dans la transaction, histoire d’aider le nouveau venu à se projeter dans une nouvelle vie potentielle. Le problème est que les prix fixés pour les bons joueurs sont trop souvent inaccessibles pour les clubs belges qui bénéficient de leurs services l’espace de quelques mois. «On aurait bien voulu mettre une option d’achat, mais on n’aurait de toute façon pas pu la lever», entend-on souvent chez les dirigeants dans la foulée d’un prêt «sec», scénario qui ne satisfait souvent personne. Parce que lorsqu’il sait qu’il n’a aucune chance de rester, et que les opportunités de revenir à la maison quelques mois plus tard avec un nouveau statut sont faibles, le joueur doit trouver des ressources ailleurs pour se convaincre de se donner corps et âme sur le terrain lors de sa location.
«On a besoin de gars qui ont faim de prouver leurs qualités.»
La quête de l’appétit
Le piège du gratuit est évident, même s’il est parfois un passage indispensable pour les clubs en galère financière. Dans ce cas de figure, certains préfèrent relancer des joueurs libres de tout contrat. Avec une logique simple: ceux-là doivent débarquer avec un appétit gargantuesque de prouver qu’ils méritent de rester dans le circuit. Dans la plupart des cellules de recrutement, on recherche désormais des joueurs qui «ont la dalle», arrivant au club avec des choses à prouver plutôt qu’avec l’estomac rempli de ceux qui ont déjà trop mangé à la table du football professionnel.
«Le critère le plus important, c’est de prendre des joueurs qui sont dans une spirale positive de leur carrière. On a besoin de gars qui ont faim de prouver leurs qualités», confirme le directeur sportif de Malines, Tim Matthys. S’il s’est offert les services du routinier Islam Slimani la saison dernière pour une opération de quelques mois, c’était après s’être assuré que le buteur algérien ne venait pas se la couler douce entre Bruxelles et Anvers. Dans le vestiaire du «Malinwa», sa rage de vaincre fut unanimement appréciée autant que contagieuse.
Cette logique de recherche de l’appétit pousse de plus en plus de clubs à revoir leur raisonnement en matière de dépense prudente. Plutôt que de miser sur le prêt d’un jeune bien coté ou l’arrivée gratuite d’un joueur chevronné, les directeurs sportifs préfèrent poser une petite somme sur le marché des transferts pour permettre à un joueur prometteur de franchir un palier, en lui offrant un salaire moins lourd. Trouver quelqu’un pour qui rejoindre le club est une véritable opportunité plutôt qu’une sécurité est le nouveau guide de la logique sportive d’une bonne partie des entités belges, et n’est pas dénué de réflexion financière. Parce qu’un joueur acheté 500.000 euros mais payé 8.000 euros par mois avec un potentiel à la revente sera inévitablement moins cher à terme qu’un autre qui débarque en fin de contrat en position de force pour exiger un salaire plus important et un contrat plus long, le tout faisant peser bien plus lourd son arrivée au décompte final.
Le terrain des agents
Pour dénicher les opportunités qui ne peuvent pas se louper ou les failles des contrats qui permettent de réaliser une bonne affaire, le réseau du directeur sportif est sans doute le facteur X du football actuel. C’est ainsi que, grâce à sa parfaite connaissance du marché danois, Jesper Fredberg avait pu activer la clause libératoire d’Anders Dreyer, l’ailier gaucher d’Anderlecht arrivé à Bruxelles au mois de janvier 2023 à la moitié de sa valeur estimée. Le problème est que l’ancien directeur sportif des Mauves peinait à étendre ses bons filons au-delà de ses frontières nationales.
Sur ce terrain, ce sont les agents qui font évidemment la pluie et le beau temps. Bien introduits dans de nombreux clubs, intimes de certains directeurs sportifs, ils glissent opportunément des conseils avisés au dirigeant adéquat et en sont récompensés par la commission, cette somme souvent équivalente à 7% à 10% du transfert qui leur revient en cas d’opération conclue. A ce petit jeu, on dit que Mogi Bayat reste le roi du marché belge. Au terme du mois de janvier, il sera en tout cas l’un de ceux dont le téléphone n’arrêtera pas de sonner.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici