Comment Benjamin Nicaise est monté dans la hiérarchie du Standard
Depuis son retour à Sclessin, il y a deux ans, Benjamin Nicaise gravit les échelons, au point de passer du statut de voisin attentionné à celui de patron de la cellule sportive. Récit d’une ascension presque silencieuse, au prix de quelques accrochages.
Un personnage de série Z, une machette, une tête arrachée et la toile s’embrase. Le 25 janvier 2015, les Ultras Inferno garnissent la T3 de Sclessin d’un gigantesque tifo. Ils y expriment un amour déchu, transformé en haine profonde, à l’encontre d’un capitaine adoré devenu ennemi héréditaire : Steven Defour. Dans un contexte délicat, entre attentats de Charlie Hebdo et décapitations de l’État islamique, les plus fervents défenseurs du matricule 16 provoquent des réactions en chaîne, qui établissent dans la foulée des parallèles tout aussi caricaturaux.
La saison dernière, il facilitait le travail de tout le monde au quotidien. » – Emilio Ferrera
Benjamin Nicaise, alors acteur de la masse médiatique, choisit de nager à contre-courant. Il est l’un des seuls. L’ancien coéquipier de Defour, joueur qu’il n’a jamais caché trouver » surfait « , avoue même avoir eu un » petit sourire en coin » à la vue du fameux calicot. » Le message, de la part des supporters du Standard, il est clair : On t’a tellement aimé. Aujourd’hui, on te déteste autant qu’on t’a aimé « , analyse le consultant de Complètement Foot, sur les ondes de la RTBF, avant d’avancer l’argument de la liberté d’expression.
Bien qu’il ait quitté le Standard en 2010, après deux saisons et un titre de Champion de Belgique, le Français de naissance n’a plus jamais lâché ses attaches en Cité ardente. Habitué aux travées rouches, qui lui offrent une vue imprenable sur son complexe de foot à cinq, posté de l’autre côté de la rue et où il croise bon nombre de suiveurs acharnés du club des bords de Meuse, il sait, aussi, à qui il s’adresse.
Des passionnés, des forts en gueule, comme lui, mais également des amis et des clients. » La grosse erreur « , poursuit-il, » c’est de penser que les supporters qui sont là, à faire ce tifo, sont des simples abrutis et que ce sont des gens en faveur de la violence. À aucun moment, on considère que le supporter est quelqu’un qui pourrait avoir un peu de second degré, l’envie de choquer ou d’aller sur un terrain où certains dessinateurs étaient, il n’y a pas si longtemps. »
Et d’ajouter : » Je n’ai pas été voir un match de foot, j’ai été voir un spectacle « . Soit, une grande foire dont il redevient l’un des animateurs, si ce n’est l’une des attractions.
Retour à Sclessin
Mai 2017, c’est officiel : Benjamin Nicaise effectue son retour dans les couloirs du Stade Maurice-Dufrasne, à 36 ans, sept ans après son départ. Une suite logique à l’heure où Bruno Venanzi martèle l’importance d’un ADN rouche que le Français personnifie » dès son arrivée « , selon Réginal Goreux, auteur de ces mots à son égard, en 2015 : » une personne abordable, sincère, et un salopard sur le terrain « .
La personnalité plutôt atypique du Parisien d’origine est connue et détonne dans un milieu aseptisé. Mais c’est le rôle attribué qui frappe par surprise : team manager. Dans les termes, il a pour mission principale de se charger de la logistique et de la gestion des vestiaires pros et espoirs.
» Son travail consistait à s’occuper des joueurs, de la mise en place des stages, des amicaux, de la réservation des hôtels… Benjamin a mis une structure en place, il a uniformisé un tas de choses, des détails qui ne sont peut-être pas parlants mais qui sont importants dans la vie de tous les jours d’un club. La saison dernière, il facilitait le travail de tout le monde au quotidien « , assure Emilio Ferrera, +1 de Michel Preud’homme sur le dernier exercice.
Le désormais coach de Dudelange, au Luxembourg, apprécie particulièrement Benjamin Nicaise, notamment pour l’avoir eu sous ses ordres chez les Grecs de Panthrakikos, en 2011. La même année, le médian de Mons confesse dans nos colonnes son regret de ne pas avoir travaillé avec MPH, l’homme responsable de sa venue initiale à Sclessin, et qui l’aurait bien engagé à Gand, puis à Twente.
» Malheureusement, il ne m’a pas appelé cet été pour Al-Shabab ( entité d’Arabie saoudite entraînée par Michel Preud’homme de 2011 à 2013, ndlr). Si ça avait été le cas, j’aurais racheté mon contrat et je l’aurais rejoint sans hésiter « , dit-il. Pour revenir en terre sainte, Benjamin Nicaise, qui se voit en ersatz d’un Demetrio Albertini au Milan, contacte Alexandre Grosjean, le directeur général, et lui expose un projet qui parle au board liégeois.
Intendant 2.0
D’abord, il veut remettre de l’ordre dans la maison rouche. Il met par exemple le holà concernant l’octroi des numéros des joueurs, jugés trop farfelus. Si, en juillet 2018, Orlando Sa doit ainsi troquer son 70 fétiche pour le 7 à la fin de son épisode chinois, les règles qu’il tente d’imposer sont loin d’être du goût de Ricardo Sa Pinto, qui n’hésite pas à afficher d’entrée, devant le groupe et de manière virulente, ses désaccords avec le nouvel intendant 2.0 du RSCL.
Très vite, les deux fortes têtes ne s’adressent plus la parole. » Merci, mais parler de cette personne ne m’intéresse pas « , répond aujourd’hui par message le technicien lusitanien, comme pour illustrer le malaise. Surtout, Benjamin Nicaise peine à se faire entendre par les cadres du vestiaire, au sein duquel il aurait pu espérer des relais grâce à la présence, entre autres, d’ex-partenaires tels que Réginal Goreux ou Mehdi Carcela.
» Tu peux avoir des joueurs qui arrivent en retard, qui foutent un peu le bordel – c’est pour ça notamment que Nicaise est là pour surveiller tout ça – mais tant que sur le terrain, le gars est là ( il tape du poing), c’est le principal. Le Standard des deux titres n’a pas été champion avec des moutons « , déclare Paul-José Mpoku, fin 2017.
En vérité, les méthodes coup de poing du natif de Maisons-Alfort agacent en interne. À l’époque, son autorité contestée est symbolisée par une violente altercation avec Luis Pedro Cavanda, qui vaut au back droit une suspension d’un match par mesure disciplinaire. Celui qui déclarait à Sudpresse en novembre 2010, suite à une prise de bec similaire avec Tomasz Radzinski au cours d’un entraînement au Lierse, que » si les mecs se retrouvaient dans le noyau B après chaque bagarre, le championnat des réserves, ce serait le Calcio « , a l’humilité de se mettre sur la touche.
Pour lui, quelle que soit la valeur d’un joueur, ce dernier doit respecter le blason. » – Grégory Ernes
Il ne participe ni à l’organisation du stage hivernal en Espagne, ni au voyage, et délègue davantage ses tâches, conscient de ses inimitiés avec Sa Pinto et des limites de son rôle de flic.
La police du club
» Ce n’était pas spécialement un team manager au sens traditionnel du terme. Pour le chambrer, je l’appelais » La police du club« , taquine Grégory Ernes, avocat aux barreaux de Bruxelles et Marseille, devenu l’ami de Benjamin Nicaise à l’occasion d’un imbroglio contractuel qui a permis au pitbull du RAEC de rallier librement Liège depuis Mons, en 2008.
» Son objectif était de réinstaller une certaine discipline à l’Académie et chez les pros. Ce n’est pas quelqu’un qu’on imaginerait avec la casquette de policier, puisqu’il n’est pas le plus grand amoureux de l’autorité, mais pour lui, quelle que soit la valeur d’un joueur, ce dernier doit respecter le blason. »
En tout cas, Ernes le concède : » Je ne pense pas qu’il aurait fait cinq ans à ce poste-là « . Parce que l’ambition de Benjamin Nicaise ne s’arrête pas à bousculer des habitudes et à gonfler des ballons. Retraité prématuré, à seulement 32 printemps, il enchaîne les activités diverses et variées, jamais loin du cuir.
Entraîneur éphémère du Brussels, actif six mois à la Review Commission, parce que » les anciens braconniers font les meilleurs garde-chasses « , sa » grande gueule » séduit la RTBF qui l’engage en tant que consultant, fonction qui lui permet de commenter l’EURO 2016 de sa mère patrie.
Aux abords de son complexe de mini-foot peint de rouge et de blanc, de façon peu anodine, il jouit d’une aura qui contraste avec une carrière somme toute modeste, résumée par un caviar délivré sur la tête de Sinan Bolat, lors d’une soirée européenne dont Sclessin a le secret.
Mais, dans cette ville où il s’investit, il lui manque une chose. » Si j’avais pu, j’y serais resté le plus longtemps possible « , glisse-t-il en 2012, au sujet d’une période au Standard trop courte. » C’est un type très intelligent mais un écorché vif qui a horreur de l’injustice et qui est psychologiquement un peu fragile « , avance dans le même temps Jean-Paul Colonval, qui se vante d’avoir fait passer la frontière au garçon, d’Amiens à Mons, pour » zéro franc » et » zéro centime « .
Liste noire
En bref, Benjamin Nicaise se cherche et se définit alors comme » quelqu’un qui traîne deux, trois casseroles, deux, trois cicatrices. Mais je commence à trouver mon équilibre. Un journaliste avait écrit que j’avais un besoin de reconnaissance. Il avait vu juste. »
Force est de constater que le Nancéen de formation avait un plan. Celui de s’asseoir dans les bureaux du directoire liégeois pour y définir les grandes lignes de sa politique sportive. Sans broncher, pendant presque deux ans, il mange son pain noir et avance ses pions.
En mai dernier, sa nomination au poste de directeur de la cellule de recrutement coïncide avec la prise de pouvoir progressive de Michel Preud’homme, le directeur sportif officiel. Elle intervient une semaine après le départ d’ Olivier Renard, avec qui les relations sont également compliquées, qui n’avait plus voix au chapitre depuis plusieurs mois et qui avait déjà vu son bras droit au scouting, Christophe Lonnoy, rejoindre la structure de management de Bob Claes, autre ancien de la maison, au début de l’année.
Épaulé par Thierry Verjans et Laurent D’Affnay, précédemment analyste vidéo de l’Académie, Benjamin Nicaise doit encore se construire un réseau digne de ce nom et aura besoin de plusieurs mercatos pour faire ses preuves. » Il a la légitimité pour le faire « , pose Emilio Ferrera. » C’est un ancien joueur de bon niveau, qui a pas mal de facettes et qui a l’avantage d’être une personne intellectuellement brillante. Il avait l’ambition de grandir dans ce club et il aurait très bien pu le faire à une autre position « .
En apprentissage, Benjamin Nicaise se contente essentiellement de jouer les sorteurs, dans le but de dégraisser le noyau principautaire. Dès son retour rue Ernest Solvay, il s’attèle à rédiger des lettres pour les joueurs excédentaires et dresse la liste noire des indésirables. Une vocation à indiquer la porte de sortie qu’il poursuit en janvier dernier, signifiant aux agents de Mehdi Carcela que le Belgo-Marocain peut se trouver un nouveau point de chute, ou tout récemment, multipliant les appels pour organiser la vente de Renaud Emond.
Cours d’anglais
Le Gaumais, double buteur samedi et artisan des six points pris sur six possibles par le Standard en ce début de championnat, figure parmi les CV ronflants priés de partir, aux côtés, donc, de Carcela, mais aussi de Mpoku. S’il se renseigne auprès de l’Union concernant les profils de Percy Tau, désormais Brugeois, et de Faïz Selemani, révélation des PO2, son apport dans le sens inverse revient pour l’instant à suivre le mouvement orchestré par les Mosans : dépoussiérer les dossiers déjà lancés par le duo Renard-Lonnoy (Gavory, Avenatti, Dragus) et assurer le relai de Mogi Bayat, conseiller adopté à la fin d’une carrière balbutiante ( voir cadre).
C’est un type très intelligent mais un écorché vif qui a horreur de l’injustice et qui est psychologiquement un peu fragile. » – Jean-Paul Colonval
Les signatures de Selim Amallah, d’Anthony Limbombe, finalement préféré à Omar El Kaddouri, de Mergim Vojvoda, bien que l’international kosovar était clairement ciblé comme le maillon faible de la défense mouscronnoise lors d’un nul en Cité ardente en mars (1-1), additionnées à celle de Noë Dussenne, ne font que confirmer ce constat.
Alors que l’inévitable agent franco-iranien est en pantoufles à Sclessin, Benjamin Nicaise suit des cours pour perfectionner son anglais, désireux de négocier en langue universelle. Titulaire d’un diplôme en gestion des organisations sportives, le bon élève réalisait pour l’occasion un mémoire intitulé » La gestion des clubs est-elle choisie ou subie ? «
À cette question, il répondait, en 2012 : » J’ai tendance à croire qu’elle est majoritairement subie. Ce n’est pas non plus utopiste de croire qu’on peut rentrer dans le milieu du foot tout en gardant ses idées. Je ne prétends pas vouloir changer le monde du football, je n’ai pas cette prétention, mais il doit y avoir une alternative à ce qui se pratique actuellement « .
Bon à savoir.
Un fidèle de Mogi
» Je sais que dans la tête de certains – ils sont peut-être nombreux -, je suis étiqueté « Standard ». Mais je ne pense pas à ça. […] Si certains doutent de ma neutralité, dommage pour eux, je n’ai aucun temps à perdre là-dessus. J’ai déjà prouvé plusieurs fois que je ne suis pas tendre avec le Standard, loin de là. Il faut savoir faire la part des choses. »
En juillet 2015, Benjamin Nicaise tente de se détacher de l’étiquette qui lui colle à la peau. Il vient alors d’intégrer la Review Commission qui a, comme son nom l’indique, pour objectif de revenir sur des fautes non-signalées des rencontres de la JPL. L’homme aux plus de 80 cartons jaunes passe ainsi du côté obscur, contacté par Pierre François, qui lui renvoie la balle après qu’il l’eut introduit auprès du White Star de John Bico, en 2013.
Une maison bruxelloise qui fait alors office de résidence secondaire pour Mogi Bayat, qui valide au passage la venue de l’actuel CEO de la Pro League dans la capitale. Benjamin Nicaise, lui, cultive tout au long de sa carrière de footballeur son atypisme et préfère choisir Éric Cantona pour modèle, question de style, d’attitude et de personnalité surtout, séduit par le côté rebelle du King de Manchester.
Il n’hésite pas non plus à dénoncer les dérives du milieu, ni à dire à voix haute ce que la majorité pense en cachette. Le discours rafraîchit, mais nourrit parfois les contradictions. Bloqué au Lierse suite à une embrouille avec Tomasz Radzinski, il jure en 2010 sa fidélité à l’un des acteurs principaux du jeu.
Mogi Bayat le sort du bourbier lierrois pour l’emmener en Grèce, où Emilio Ferrera l’accueille à bras ouverts. L’ancien directeur général du Sporting Charleroi lui permet ensuite de terminer là où il s’est révélé dans le Royaume, à Mons. » Je savais pourquoi il était mon agent, je n’attendais pas de lui qu’il me sonne pour savoir si j’ai bien dormi. Ceux qui attendent qu’on les biberonne ne sont pas lucides par rapport aux attentes d’un agent « , explique, dans nos colonnes en 2015, le principal intéressé, regrettant au passage ne pas avoir rencontré plus tôt un manager qui fait certainement dans le » volume « , mais qui est terriblement efficace. » Il travaille à mon avis deux fois plus que le reste. Quand tu fais appel à lui, tu as la garantie que le job va être fait. Il va s’acharner sur le dossier. » Des mots qui, quatre ans plus tard, trouvent un bel écho.
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