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Coaches et communication: « On ne peut plus se comporter comme des machos »

Les coaches sont soumis à une pression énorme et cela nuit parfois à la façon qu’ils ont de communiquer. « En football, la mentalité doit changer à tous les niveaux car j’y vois souvent des symptômes d’une culture machiste. » Jusqu’où un coach peut-il aller ? Nous avons posé la question à différents acteurs du football.

Depuis le début du championnat, on a beaucoup parlé de la façon dont les meilleurs coaches du championnat de Belgique communiquaient. Francky Dury s’est demandé si l’arbitre-vidéo du match entre Zulte Waregem et Bruges dormait, Hein Vanhaezebrouck a dit que certains de ses joueurs avaient déjà dépassé la date de péremption.

Insulter les arbitres n’est pas nouveau et des mesures ont déjà été prises. Par contre, qu’un coach critique publiquement ses joueurs et même ses patrons… Marc Degryse, qui apprécie beaucoup Vanhaezebrouck en tant qu’entraîneur, a écrit dans Het Laatste Nieuws qu’il devrait plutôt aider ses joueurs à sortir du trou. Mais comme l’a fait remarquer Patrick Janssens, CEO de Genk, dans Humo. « Ils sont nombreux à ouvrir leur parapluie alors que le football est un sport d’équipe. »

Les grands arbres

Aimé Anthuenis a été élu trois fois Entraîneur de l’Année. À Genk, à Anderlecht et chez les Diables Rouges, il a connu la pression mais s’est toujours montré très respectueux dans les médias. « Un coach doit savoir que les grands arbres prennent beaucoup de vent », dit-il.

« Il est facile de communiquer quand on gagne. Les joueurs n’aiment pas que leur coach les critique publiquement, même si on reproche parfois à certains entraîneurs de trop protéger leurs joueurs. Certaines choses ne doivent pas sortir du vestiaire. L’entraîneur doit se limiter à parler des choses courantes du football, pas des problèmes privés ou des lacunes d’un joueur. Il doit se forcer à se taire. Avec les années, on apprend à rester calme et à tourner deux fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Mais quand on perd à la 92e minute suite à une erreur d’un joueur ou de l’arbitre, c’est difficile. Avant, les journalistes débarquaient dans le vestiaire deux minutes après la fin du match et il arrivait souvent que l’entraîneur doive passer la matinée du lundi à réparer les bêtises dites le dimanche. Il doit savoir qu’il sera jugé par les médias et qu’il a un travail de relations publiques. Il doit d’abord défendre son club, ses joueurs puis seulement lui-même. Et on ne gagne rien à sans cesse critiquer les autres. C’est comme en politique. On tire trop souvent sur les arbitres, par exemple, alors que leur tâche est difficile, qu’ils doivent prendre des décisions à la seconde. Mais c’est difficile pour un coach de rester neutre. J’ai tout appris sur le tas mais à la fin de ma carrière, j’étais content de pouvoir compter sur un attaché de presse, surtout s’il était issu du monde du football. Je me sentais moins seul. »

Intelligence émotionnelle

Chris Van Puyvelde est directeur technique de l’Union belge et conseiller sportif de la Pro League. Pour lui, les coaches devraient tenir compte du fait que la société change, que tout ce qui se dit est partagé, déformé et commenté à la seconde. « Il faut donc se montrer plus prudent », dit-il. « Bien réfléchir à ce qu’on va dire pour mettre le doigt sur un aspect important sans provoquer une tempête. Ça change la façon de communiquer. Aujourd’hui, il faut être flexible. Je vois, par exemple, que tous les Diables Rouges font appel à des conseillers en communication. »

Pour lui, l’intelligence émotionnelle est très importante. « On ne peut pas non plus s’entourer d’une carapace et ne plus avoir aucune sensibilité car c’est la fin de l’espèce humaine », dit-il. « Mais dans les grandes entreprises, l’intelligence émotionnelle a autant d’importance que le diplôme. Beaucoup de petits et de grands problèmes naissent d’une erreur de communication. Celui qui communique avec son ego se met en difficulté. »

À la fin de la saison dernière, lorsque le procureur fédéral Marc Rubens a fait appel de l’acquittement de Michel Preud’homme, Vincent Mannaert, directeur du Club Brugeois, l’a traité d’andouille. Ne devrait-on pas codifier en détail ce qu’un coach ne peut pas dire ou faire et stipuler davantage les sanctions ? « Je ne suis pas très fort en matière de règlements », dit Van Puyvelde. « Pour moi, avant le règlement, il y a le respect. Quand on est fâché, dans le feu de l’action, on peut déraper mais il faut pouvoir s’excuser. Mais c’est vrai qu’on pourrait codifier. Roberto Martinez m’a dit que c’était le cas en Angleterre et qu’il y avait moins de discussions qu’ici. »

Ressources humaines

Tim Smolders est un ex-joueur professionnel, il a été entraîneur adjoint et fait partie de la review commission. « J’ai l’impression que les coaches changent leur façon de communiquer, qu’ils ont compris qu’on les observait et qu’ils risquaient des sanctions », dit-il.

« J’aime le système anglais : les coaches et les joueurs doivent faire attention à ce qu’ils disent de l’arbitrage, sous peine d’être suspendus. Ici, on a déjà pris des sanctions mais on ne change pas les mentalités en trois coups de cuiller à pot. Certains coaches vont encore trop loin. Je sais que l’enjeu est énorme mais il faut un minimum de respect. On ne peut pas accuser l’arbitre de tous les maux et je ne suis pas partisan de tout étaler dans la presse. La qualité de l’arbitrage est parfois inégale mais ce sont des hommes et je les crois bien intentionnés. Sans eux, il n’y aurait pas de football. »

Il joue toujours en P1 flandrienne, à Zwevezele, et remarque que là, c’est encore plus grave. « Parce qu’il y a un phénomène de mimétisme. J’estime que, quand on est un personnage public, on ne devrait jamais s’en prendre à d’autres hommes : ni aux arbitres, ni aux joueurs. Un coach qui fait cela ne tiendra pas longtemps car les joueurs sont rancuniers et le font payer. Un entraîneur doit avoir conscience de la portée de ses paroles. C’est du management de ressources humaines. Les meilleurs coaches sont ceux qui parviennent à motiver leurs joueurs. Ceux qui sont négatifs finissent pas créer des tensions. Résumer un match de 90 minutes à une phase et désigner un coupable, ce n’est pas correct. Et plus encore que le contenu du message, ce qui compte, c’est son destinataire. Si le message est public, il est vite déformé et ça prend des proportions énormes. Il n’y a plus de contrôle. »

Comme des coqs

Stefan Van Loock est issu du monde des médias et est désormais responsable des relations des Diables Rouges et des Red Flames avec la presse. Il plaide pour un changement de mentalité. « Je suis sûr que de nombreux coaches regrettent leurs paroles », dit-il.

« Tout le monde a droit à l’erreur mais je constate qu’on est moins compréhensif à l’égard des arbitres qu’à l’égard d’une équipe. Pourtant, louper un but tout fait ou effectuer un mauvais changement n’a pas moins de conséquence qu’une erreur de l’arbitre. Je comprends la déception d’un coach mais eux devraient aussi se montrer plus magnanimes. Comment voulez-vous qu’un arbitre décide sereinement lorsqu’il est houspillé ? Il faut que ça change. Je ne sais pas si punir davantage est une solution. Faut-il suspendre les coaches ? Retirer des points ? En tout cas, il faut qu’on arrête de se comporter comme des machos. Je reviens de l’EURO féminin, c’était un autre monde. Il y avait de l’ambiance mais elles ne se comportaient pas comme des coqs, ne cherchaient pas à se mettre en évidence et les coaches non plus. La mentalité doit changer à tous points de vue car je relève trop de symptômes d’une culture machiste, que ce soit chez les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants, les arbitres et même les journalistes. Mais ça prendra du temps. »

Être plus strict

Franky Van der Elst, international à 86 reprises, est adjoint de Gert Verheyen en équipe nationale U19 et consultant pour des chaînes de télévision. Pour lui, il est difficile de dire jusqu’où un coach peut aller.

« C’est la Fédération qui devrait déterminer cela. Les Anglais sont beaucoup plus stricts que nous en matière de comportement sur la touche. Je sais qu’il n’est pas toujours facile de se maîtriser dans des situations de stress, surtout quand on se sent floué à plusieurs reprises, mais il ne faut pas non plus rejeter les lacunes de son équipe sur l’arbitre ou se lamenter chaque semaine. Les arbitres ne sont pas plus mauvais en Belgique qu’ailleurs et nous devons les soutenir. »

Pour lui, critiquer ses propres joueurs dans les médias n’est pas malin non plus. « La rupture est inévitable. À un certain moment, ils montreront qu’ils en ont assez. Je n’ai jamais critiqué un seul joueur dans les médias car je savais que, le lendemain, je devrais travailler avec lui. Je n’avais rien à gagner. Les exemples de joueurs qui ne se sentent pas bien avec des entraîneurs qui parlent beaucoup sont légion. Chacun a son caractère, bien sûr. Certains coaches gardent davantage leur calme que d’autres sous pression. Il y a des gens que le stress transforme carrément. »

par Christian Vandenabeele

« Il faut connaître ses limites »

Le Hollandais Cees Wijburg est un ancien journaliste devenu conseiller en communication et coach médias. Il a donné cours de médias aux élèves de l’UEFA Pro License en Belgique, a travaillé pour le Club Bruges et pour Francky Dury et a été conseiller de l’ex-président de l’Union belge, François De Keersmaecker.

« Critiquer un arbitre n’est jamais très intelligent mais ça frappe l’imagination », dit-il. « Ça ne s’oublie pas et, lors de la prochaine rencontre, il ne sera plus aussi à l’aise pour siffler. La remarque de Francky Dury au sujet de l’arbitre vidéo était cynique et humoristique. C’était un coup bas. Dury est sincère et authentique. Quand on est frustré, il est normal qu’on exprime ses émotions. C’est aussi comme cela que j’analyse les déclarations de Hein Vanhaezebrouck au sujet de ses joueurs, du scouting et des transferts. La Gantoise a pris un mauvais départ, la pression est énorme et la frustration se fait sentir dans la communication. »

Coaches et communication:
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Pour Wijburg, Ivan De Witte a pris des risques en parlant pour la première fois publiquement de titre. « Ou alors, il devait transférer Messi ! Parler de titre ne relevait pas de sa compétence. De plus, il a augmenté la pression. Hein est un entraîneur très compétent et il a du caractère et est très émotif. J’apprécie. Je me souviens qu’à Courtrai, il avait réagi lorsqu’un supporter de Genk lui avait crié quelque chose. Je comprends tout ça. La pression médiatique est intense, un entraîneur est sans cesse dans ses petits souliers. Mais viser ses joueurs individuellement dans la presse, ce n’est vraiment pas malin. Quand je lis qu’à Gand, on a décrété le silence vis-à-vis des journalistes, je me dis que c’est la panique. Il faut faciliter la tâche des journalistes, leur répondre et les respecter car ils constituent le meilleur vecteur de communication avec les fans et les sponsors de tout le pays. Mais il faut aussi connaître ses limites, être prudent dans ses déclarations et conscient de la portée de chaque mot. Hein est un grand entraîneur en Belgique, il doit savoir qu’il fait autorité et que chacun de ses mots est pesé. Je comprends que certains entraîneurs sortent de leur rôle : ils sont sous pression, doivent diriger, répondre sans cesse aux même questions. Mais un entraîneur est le patron et doit se comporter correctement. Hein est souvent cynique, il dit que la Belgique est un cimetière d’entraîneurs mais beaucoup d’entraîneurs acceptent un job sans savoir dans quoi ils se lancent, sans discuter clairement avant. Je trouve aussi que trop de clubs négligent l’encadrement de leur entraîneur en matière de médias et d’exposition. Un directeur de la communication, c’est très important. J’incite les clubs à parler régulièrement de cela avec leur entraîneur et à désigner quelqu’un qui puisse évaluer la communication. Ils sont nombreux à venir me voir. »

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