“C’est qui ce mec qui nous met la misère en marchant?”: Hans Vanaken, éternel sous-estimé
En route vers un troisième Soulier d’or, Hans Vanaken n’aura jamais brillé hors du championnat belge. De quoi en faire un joueur loin d’être reconnu à sa juste valeur.
Le match ne devrait être qu’une anecdote. Une rencontre amicale planifiée au cœur de la trêve internationale, pour maintenir le rythme de ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de rejoindre leur équipe nationale et donner une chance aux jeunes les plus prometteurs ou aux joueurs en manque de temps de jeu de se montrer. Hans Vanaken appartient à la première catégorie, mais ne semble pas véritablement étonné par ce statut: «Domenico Tedesco vient de l’école Red Bull. Toutes leurs équipes ont le même style, avec des joueurs qui doivent parcourir de grandes distances à une haute intensité. Si l’entraîneur considère cela comme important, je ne devrais pas être surpris de ne pas entrer dans ses plans», justifie le meneur de jeu du Club de Bruges au magazine Humo.
Ce jour-là, la surprise est plutôt dans le camp d’en face. Homme fort du milieu de terrain de Dunkerque, le jeune Enzo Bardeli a déjà eu l’opportunité de croiser quelques gros calibres au cœur du rectangle vert en une petite centaine de matchs chez les professionnels. Il quitte toutefois le terrain bluffé, et glisse à son staff, en désignant ce grand milieu de terrain à l’allure désarticulée affublé du numéro 20: «C’est qui ce mec qui nous a mis la misère en marchant?»
Tout Hans Vanaken est là. Un homme que ses détracteurs ont toujours jugé trop lent, trop nonchalant. Envoyé en rendez-vous particulier avec le préparateur physique de Lommel dès ses premières apparitions dans l’antichambre de l’élite parce que son cardiofréquencemètre ne montait pas assez haut dans les pulsations à l’entraînement, mais capable de faire jeu égal avec les gros bras du continent au milieu de terrain lors d’un match de Ligue des Champions. Meilleur homme des play-offs qui ont sacré Bruges au printemps dernier, sans pour autant inscrire de but et en se contentant d’une passe décisive sans importance lors d’une large victoire face à un Genk résigné.
Le 4 février prochain, c’est lui qui devrait se chausser du si convoité Soulier d’or, pour la troisième fois de sa carrière. Un privilège que n’ont connu que des légendes du championnat: Wilfried Van Moer, Jan Ceulemans et Paul Van Himst (sacré quatre fois). Rares sont ceux qui trouveront à redire à ce triplé doré. Ceux qui ont croisé sa route autour du rond central seront même unanimes.
Le rendez-vous raté des Diables
C’est une question classique, qui se pose généralement à toute nouvelle tête qui pose les crampons sur les terrains d’entraînement des Diables Rouges. Thomas Meunier n’y échappe pas, et l’interrogation devient presque un rituel au fil des années passées à faire le grand écart entre une équipe nationale remplie de stars mondiales et un championnat belge que ses propres suiveurs adorent gentiment dénigrer: «Etes-vous impressionné par le rythme des entraînements?», ose souvent un journaliste, parce que les Belges qui côtoient la Jupiler Pro League doivent forcément avoir l’impression d’assister à un excès de vitesse quand ils se retrouvent soudain à taper le ballon avec des joueurs de l’élite anglaise. En 2015, sans doute en entendant une énième fois cette question hors des micros, Meunier le Brugeois répond à contre-pied: «Vous savez, moi, je m’entraîne tous les jours avec Hans Vanaken.»
Le milieu de terrain doit pourtant attendre cinq ans de plus que l’arrière latéral (repris pour la première fois par Marc Wilmots en 2013) pour goûter à la sélection. Roberto Martínez lui offre une première opportunité en septembre 2018, avec une grosse demi-heure passée au poste d’Eden Hazard lors d’un match amical contre l’Ecosse. S’il sera l’un des artisans de la qualification pour la Coupe du monde 2022, avec trois buts et quatre passes décisives (dont une superbe prestation contre la République Tchèque, principal adversaire des Diables dans leur groupe), Vanaken passera tout le tournoi sur le banc, devenant un sujet de railleries après avoir déjà dû se contenter d’une seule petite minute de jeu lors de l’Euro 2021. Avec le tournant générationnel demandé par la Fédération à Domenico Tedesco, l’heure de lumière internationale semble passée.
Une machine à millions sans transfert
Pour Hans Vanaken, ce n’est probablement pas grave. Six fois champion de Belgique, le meneur de jeu a toujours balayé la perspective d’un départ vers l’étranger, préférant jouer les premiers rôles (et la Ligue des Champions) dans son stade Jan Breydel que lutter pour le maintien en Premier League ou ailleurs. Le flirt le plus prononcé avait eu lieu avec West Ham à la fin du mois d’août 2022. Alors sacré champion avec Bruges pour la cinquième fois, le double Soulier d’or semble ouvert à un départ, mais son Club demande beaucoup d’argent pour un joueur de son âge. Trop, même pour les Anglais. Vanaken ne met pas la pression sur ses dirigeants pour partir, ce n’est pas son genre.
Les patrons du Club, eux, savent que les millions reçus en contrepartie seront insuffisants par rapport à la perte sportive. Parce que depuis des années, avec ses ballons bien calibrés entre les lignes et son sens de la passe décisive, l’homme fort des «Blauw en Zwart» fait briller de nombreux jeunes talents étrangers qui rapportent ensuite à ses couleurs des sommes colossales lors de leur départ. De José Izquierdo à Antonio Nusa en passant par Noa Lang, Wesley Moraes ou Krépin Diatta, tous doivent une partie de leur trajectoire aux caviars partis des pieds dorés de Vanaken. «Il m’a rendu bien plus efficace», confirme l’ancien buteur brugeois Jelle Vossen, aujourd’hui en deuxième division à Zulte Waregem. «Hans te donne de la sécurité. Tu peux lui donner le ballon, tu sais qu’il en fera quelque chose d’utile. Sa passe en profondeur est juste parfaite. En tant qu’attaquant, tu dois seulement courir, parce que tu sais que le ballon arrivera.»
«Tous les attaquants aiment jouer avec des footballeurs comme Hans Vanaken», renchérit Hamdi Harbaoui, ancien artificier de Lokeren sacré meilleur buteur du championnat à deux reprises et souvent servi à merveille par l’intéressé lors de leur passage commun dans le pays de Waes. « Il joue simplement, et sa technique lui permet de faire ce qu’il a en tête. »
A Lommel, premier club de Vanaken chez les professionnels, le coach Franky Van der Elst (légende de Bruges et double Soulier d’or) s’était régalé de ce jeune milieu de terrain qui envoyait systématiquement avec justesse le rapide Alessandro Cerigioni dans la profondeur. C’est pourtant son assistant d’alors, Philip Haagdoren, qui trouve la meilleure formule pour décrire le phénomène: «Hans joue au football comme Mathieu van der Poel monte sur son vélo. Avec une autorité naturelle. Cet air de dire qu’il suffit de lui donner la balle pour que l’équipe joue bien au football.»
Thierry Henry était impressionné
Hans Vanaken est pourtant renfermé. Un capitaine par l’exemple plus que par les discours envolés ou les gueulantes effrayantes. Avec ses bras interminables, ses jambes a priori bien trop longues pour qu’elles répondent rapidement à ce que voient ses yeux, il a parfois l’allure de l’albatros de Baudelaire. Sans doute aussi parce qu’il donne l’impression de contempler le terrain depuis le ciel pour garder un temps d’avance sur ses adversaires et compenser le manque de vitesse de ses jambes. Michel Preud’homme disait de son meneur de jeu brugeois qu’il avait une «vision panoramique du terrain».
Pourtant, en Belgique, beaucoup d’observateurs ont plus souvent pointé les limites de Hans Vanaken que ses vertus. On l’a alternativement dit uniquement bon à domicile, trop souvent fantomatique dans les matchs au sommet, incapable de se défaire d’un marquage individuel, voire tout simplement trop lent pour le très haut niveau. Les critiques se sont progressivement éteintes, alors que les compliments venus de l’étranger n’ont jamais cessé d’affluer. Chez les Diables Rouges, on raconte que Thierry Henry est très vite tombé sous le charme de ce joueur atypique, capable de se démarquer systématiquement dans les zones les plus embouteillées du terrain. Fréquent adversaire lors de son passage à Eupen, l’Espagnol Luis García (finaliste d’Europa League avec l’Espanyol de Barcelona, aujourd’hui sélectionneur du Qatar) admire en fin connaisseur: «Il manque un peu de vitesse, c’est vrai. Mais sa tête va beaucoup plus vite que ses jambes. C’est le meilleur en Belgique pour marquer la pause, faire respirer le jeu à son rythme. Il a cette tranquillité, et cette façon de toujours sentir quand le ballon doit aller dans les pieds ou dans l’espace.»
Quand on sait comment faire courir les autres, à quoi bon le faire soi-même?
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